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11 janvier - Laver

J’aimerais marcher dans ta chanson, laisser aller mes pensées le long de ses pulsations, s’il te plaît je voudrais aller à Bahia. A Bahia peut-être pas, plutôt la saison des pluies dans les rizières et tes eaux vagabondes. Au creux d’une nature moussée de vert, j’allongerai mon corps sur une planche de bois, rite d'offrande. J’ouvrirai grand les yeux d’abord en fixant le ciel jusqu’à ce que son coton blanc teinte ma pupille. La pluie s’engorgera dans mes paupières comme à Paris les larmes dans un caniveau. Alors je les fermerai et écouterai la pluie s’affaler sur les feuilles, ruisseler en pinceau esquisse du monde, je guetterai de tout moi la pluie se heurter sur ma planche de bois. Et puis je laisserai se hisser dans mes précipices les odeurs exhalées par l’humidité, bouquets de paysages méconnus comme autant de possibles. Gorgée de nouveaux mondes où peut-être..., je goûterai la pluie tiède sur ma peau. Je goûterai ton caresse-moi. Je la laisserai me piquer, filtrer le long de mes bras, imbiber mes cheveux, déborder de mes yeux, m'immerger. Je resterai là des heures rythmées par son pouls salvateur, celui de ta chanson, je resterai là jusqu’au naufrage de mes frontières. Jusqu’à ce que mon corps ait la douceur du sable pour couler serpent au monde. Je me redresserai lavée des histoires des hommes, l’âme polie comme un galet.

6 janvier

Il me demande ce qui me fait le plus peur. Dehors, il neige vraiment. Je lui réponds la mort des miens, douleur sans frontières. Demain, ça glissera dehors, peut-être devrais-je renoncer au scooter. Il m’interroge sur ma propre mort, je lui dis que je ne la crains pas, sans doute parce que je n’ai pas suffisamment grandi pour l’envisager. J’allume une cigarette. Demain sera toujours mieux. On fera une bataille de boules de neige. Demain, ça glissera dehors mais il faudra aller travailler. Demain c’est tout à l’heure, si loin parce qu’il me demande. Si ce qui compte c’est aimer. Oui, quelqu’un, plusieurs, un projet, un livre, un oiseau à ma fenêtre, le regard fissuré de tendresse d’un chat. Cela faisait bien longtemps que demain ne m’avait pas semblé si loin. Bardamu a connu ce froid qui règne dehors et il l’a gardé en lui. Tu me demandes encore ce qui me fait souffrir. L’incompréhension, la mienne devant toi ou devant le monde, la vôtre, la tienne, l’incompréhension est pli de l’impuissance. A mesure que la neige recouvre Paris, ta présence s’insinue en moi, chez moi et je songe à ceux qui dorment dehors. Le monde est vaste, dit-il, non, le monde a mes limites, le jour où je fermerai les yeux il disparaîtra. Il y a deux ans déjà nous avions toi et moi parlé longuement durant la nuit. Une nuit d'hiver aussi. Doucement pour ne pas froisser le sommeil des autres, ceux qui roupillent sans se douter que non loin s’échappent des secrets. Confidences ouatées d’une ville assoupie. As-tu déjà connu la mort ? Oui, elle a plusieurs visages. Je lui demande si je devrais régler quelque chose à l’issue de cet échange. Il me répond non j’aime t’écouter parler. Il dit je, moi aussi. Et la solitude, interroge-t-il. Alors, je mens, tout ne se dit pas. Il est des contrées qu’on n’a pas explorées suffisamment loin encore pour les délimiter de mots. Ou trop sauvages. J’ai eu la grippe tu sais, dans la fièvre, j’ai revu ton visage. J’ai eu la grippe, j’avais froid tout le temps, mais il fallait sortir tout de même faire des courses. Demain matin, tout à l’heure, je me dirai que j’ai rêvé. Comme toujours. Il me demande si j’ai déjà écrit seulement pour dire ce que je suis. Non, je ne veux pas. Je rêve d’écrire mais n’écris pas pour de vrai. Je ne suis pas des mots. Pourquoi alors ? Pour maintenant par exemple, pour que ta voix franchisse l’aurore. La tour Montparnasse a disparu dans la neige. Hugo s’est transformé en monstre. Non, Hugo était marionnettiste de tous ses personnages, il ne les a pas investis, ne s’y est pas mis en danger. Il en a fait des êtres autonomes. Mais je peux te parler d’autres, j’en lis un en ce moment justement qui… T’ouvrir des poèmes ? Je ne lis pas tu sais bien, lis-moi toi quelque chose de toi. Il fait noir, je ne vois rien, je ne veux pas allumer. Sur mon ordinateur alors, je te lis la première page de Sur le Fil, j’aurais pu te lire un poème que j’ai écrit sur toi et la place Vendôme. Tu m’as laissé un des mes plus beaux souvenirs. Mais tout ne se dit pas. J’aime la vie pour ces moments surprenants où tu surviens quand je ne t’attendais pas. Tu as écrit un livre et l’as fini hier. A l’autre bout de quelque part, ta voix ravive tes yeux verts. Tu sais, j’ai changé, je peux maintenant soutenir ton regard. C’est que, à l’aune d’autres yeux et de vieux souvenirs, j’ai sondé depuis la profondeur de mes faiblesses. Et des joies en feux. Je ne joue plus joues-tu. Je ne te crains pas, je voudrais… mais j’aimerais ne plus parler et si je te revois, je saurais te dire.

27 novembre - Réveil

Ce matin, j’ai été éveillée avec la chanson que j’aurais précisément choisie si un quart d’heure plus tôt le dieu du réveil m’avait interpellée dans mon sommeil pour me demander : « dis-moi, il est bientôt temps... avec quelle chanson aimerais-tu émerger au monde merveilleux de la conscience ? ». Plus incroyable encore, le réveil s’est allumé à la minute même de la première note de cette chanson. Enfin, encore plus incroyable (si, si), il s’agit d’une de ces chansons que l’on connaît comme un voisin de palier, familière mais sans nom, sans étoffe mais légère comme un "bonjour, bonne journée", de sorte que, en fait, si plus tôt le dieu du réveil m’avait interpellée dans mon sommeil pour me demander « dis-moi, il est bientôt temps... avec quelle chanson aimerais-tu adoucir ton atterrissage dans le monde de la conscience ? », jamais je n’aurais pu lui désigner précisément la chanson que je voulais car elle n’existait pas avant que mon réveil la joue. Peut-être en est-il de même avec les voisins de palier. J’ai constaté en tous cas que dans mon immeuble, mes voisins semblent partir sans jamais revenir : l’ascenseur est toujours au rez-de-chaussée. La morale de cette histoire serait alambiquée d'abord parce qu'il n'y a pas d'histoire.

13 novembre- Voilà c'est là

Gentes dames et damoiseaux, annonce faite sur cette place publique : j’ai enfin une nouvelle maison !
Elle n’est pas en carton.
Elle est d’un bordeaux couleur vin et ses boiseries sont chaudes.
Elle est pensée dans ses moindres détails et toute chose y trouve une place.
Dans la cuisine, la petite lumière de la hotte tisse des rideaux autour de mes gestes et concentre, comme un projecteur de cinéma, la confection de plats en un moment unique.
Il y fait doux et grand jour même sous le ciel de novembre.
La nuit, les lumières s’y tamisent.
Je crois qu’il fera bon y écrire.
Au matin, plus de voisins bruyants, mais le pépiement des oiseaux.
Des voisins, je n’en ai d’ailleurs pas, sauf en dessous.
Je n’en ai même pas en face, finie la fenêtre sur cour, si bien que je peux même me balader toute nue (et wééé)…
La rue est pavée et agreste. Il y a tellement peu de bruits que je résiste à la tentation d’ouvrir les fenêtres et de crier : « y a quelqu’un ?! ».
Pourtant je suis au coeur de Paris.
Dans la salle de bains, il y a un radiateur spécifiquement dédié à l’accueil des serviettes.
L’entrée de l’immeuble fleure bon.
Juste en bas, il y a un grand parc, mes fenêtres ouvrent sur ses arbres et sur le sifflet du gardien le soir à 17h.
Je suis au dernier étage, la pluie et le vent seuls marchent sur ma tête.
Le ciel est grand ouvert. Je peux m’allonger (entièrement !) et regarder courir les nuages ou le faisceau de la tour Eiffel.
Je vois aussi la tour Montparnasse et le Panthéon surplomber toits gris et cheminées fumantes.
Je suis un peu étonnée de me voir là. Je me dis, tiens, que font donc mes affaires ici ? C’est chaud, c’est grand, c'est calme, ce n’est pas chez moi. Mais je vais m’y faire, Ratatouille, lui, s’y est vite senti comme chez lui.
Ah et puis aussi, j’ai une vraie chambre (si, si) avec un dressing à faire pâlir les copines.
Cet appartement, je le regarde, on se jauge. C’est un écrin douillet et je me demande de quels souvenirs, moments et visages je vais le peupler.
Je vais commencer par essayer d’être plus souvent chez moi.
Bien sûr j’ai quitté le quartier où je sortais, dînais, que j’aime et où sont mes amis, mais enfin j’ai un cheval d’acier et eux ont des jambes.
En tous les cas, pour arriver là et poser mes valises (minute d’émotion, tention), je remercie mes amis, Nadège notamment qui m’a nourrie et hébergée, ma famille et celle éloignée qui m’offre la possibilité de ce logis. Monsieur Georges aussi qui d’un bras d’un seul a soulevé l’ensemble de mes cartons, les a hissés sur un tapis magique et les a déposés là.
Et bientôt, un jour peut-être, pourrai-je remercier Free d’avoir déposé chez moi un œuf qui m’ouvrirait les portes d’Internet à domicile.

3 novembre - L'actu cruciale du jour

"Consommer des cacahuètes jeune prévient des risques d'allergie
Publié le 03 novembre 2008 - 09:46 (ici: http://www.larep.com/bien_etre-7677.html)

Les enfants qui ne mangent pas de cacahuètes durant leur petite enfance ou enfance ont 10 fois plus de risques de développer une allergie à cette arachide, que ceux qui y ont été exposés, d'après une étude publiée dans l'édition de novembre de The Journal of Allergy and Clinical Immunology.
Les chercheurs ont comparé l'incidence de l'allergie à la cacahuète parmi des enfants aux données sur la consommation de cacahuète provenant de mères d'enfants âgés de 4 à 24 mois."


Absolument!

31 octobre - Coup de vent

Ce soir c’est le coup de vent froid. Il arrive parfois, je le connais. Il s’abat par surprise, il est sombre, effilé, il dévaste les certitudes, arrache ces minuscules branches dont j’étais fière. Après il faut tout refaire. Il a dans son souffle des notes et des bribes d’instants fétides, il fait vaciller en déroulant sous les pieds un tapis de néant, sa cagoule couvre des yeux clairs, il glace les sourires, pétrifie les rires, sort de ma bouche des mots que je ne voudrais pas dire. Il fait le vide autour de moi à mesure qu’il emplit mon esprit de gouache noire. A mesure qu’il emplit ma tête des questions sans réponses des cours de philo. Il vient des montagnes, là-bas dans l’âme, il vient des montagnes des hommes, des montagnes du monde, poussé là jusqu’à moi par un tas de petits moments amoncelés, un tas de poussières que j’aurais dû cracher. Elle pique les yeux, chatouille les mots tassés là dans la gorge. Il arrive parfois, je le connais, vous aussi, il reviendra toujours. Et c’est pour ça qu’on en parle pas, parce qu’on sait qu'il passera et qu'on ne va pas en parler chaque fois, non ? Je l’éconduis seule, par ma propre chaleur. Ma victoire c’est de ne jamais le laisser devenir rivet à mes paupières. C’est un coup de vent froid, c’est mon mistral gagnant, une chanson toujours si près de moi.

17 octobre - Question du jour

Je m'interroge actuellement sur une question cruciale d'orthographe.
Parfois, on pense à des choses et un stylo intérieur écrit le scénario de la pensée, non?
Exemple: si je m'interroge sur le menu du midi, je ne vois pas une pizza, non. Je vois sous mes paupières en pages une plume écrire, lettre à lettre: "qu'est-ce que je vais manger à midi?".
De fait, soudain, des questions d'orthographe surgissent qui supplantent la pensée première.
Exemple: hier je chantonnais, "ta maison est en carton, pirouette, KKhuuueette" (oui, oui, ça s'écrit comme ça KKhuette dans la chanson) et soudain je pris conscience que durant toute ma vie cette chanson n'avait révélé qu'un sens: ta maison est en carton et pas en briques (comme pour les petits cochons et le loup).
Mais en fait, il est également possible que ta maison soit en cartonS! Dans des cartons quoi.
Bien sûr le "tes escaliers sont en papier" qui suit, laisse penser au carton matière et non objet. Mais bon, les escaliers en papier ni les maisons en carton n'existent (même les trois petits cochons n'en ont pas, ni Gulliver, ni Tom Pouce ni personne), tandis que les maisons en cartons arrivent à beaucoup d'entre nous.
Je propose donc l'écriture universelle suivante pour que cette chanson exhale enfin tout son sens:
" Ta maison est en cartons
Pirouette KKhuette
Tes escaliers sont en pas pieds"

Pirouette KKhuette

15 octobre- En ce moment...

En ce moment je regrette d'avoir:
- moins de temps pour écrire
- moins de temps pour vous lire
- moins de temps pour vous écrire
- moins de temps pour publier vos commentaires
- moins de temps pour y répondre

Cher lecteur pardonne-moi une fois encore, mais:
- je fais mes cartons, je cartonne en somme
- je travaille toute la journée et le soir venu
- je travaille encore, j'écris pour d'autres et
- je fais mes cartons

Et puis parfois, je dors.
Mais... je rattraperai le temps qui n'est jamais perdu.

13 octobre- Pensée du jour

De la bouche de la vérité, sortent souvent des enfants.

8 octobre - Les escargots

Plusieurs semaines déjà que je me dis qu’il faut écrire ce texte. Mais je recule devant l’ampleur de la tâche et de l'aveu, je me dis aussi que, une fois n’est pas coutume, le fond sera privilégié à la forme et que ledit fond révèle une naïveté frôlant le ridicule. J'ai deux ans, je sais que c'est pas vrai, mais je n'en suis pas sûre.... Pourtant, j’ai besoin de formuler ces moments que je vis dans une grande solitude. Et, comme d’habitude, vous avez le droit de rire (il le faut...). Alors voilà, aujourd’hui je voudrais vous entretenir des escargots.

Entre chez moi et l’appartement de mon amie Nadège, il y a un petit parc, que je longe ou traverse, selon qu’il est ouvert ou fermé. Ceux qui me connaissent savent que me rendre chez Nadège n’est pas anecdotique car j’y vais souvent (en fait Nadège me nourrit, me concocte des petits dîners avec des légumes : merci Nadège :-)). Je rencontre souvent des chats et, dans l’obscurité de la rue Titon, je partage un câlin avec eux sur un bout de trottoir. Je suis parfois contrainte d’attendre que quelqu’un entre ou sorte d’un immeuble pour tenir la porte au chat qui miaule devant. Peut-être écrirai-je un jour sur les trois chats de cette rue.

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à mes escargots. Vous avez pu remarquer que cet été, et dernièrement aussi, il pleut pas mal. Alors sortent les escargots. Partout mais alors partout, je n’ai jamais vu pareil phénomène ailleurs. Il semble que tout d’un coup le parc transpire de tous ses côtés des centaines d’escargots. Résultat, je perds une demie-heure au moins chaque fois à les écarter des passages humains. Un par un je les décolle du bitume ou des allées du parc et les replace sur les feuilles, plantes et herbe du jardin. J’espère chaque fois que le temps qu’il leur faudra pour refaire le chemin vers les souliers des hommes sera suffisamment long pour que des hommes, il n’y en ait plus beaucoup à ces heures de la nuit. L’opération est parfois un peu compliquée par les grilles fermées du parc à travers lesquelles je dois passer le bras pour glisser le gastéropode vers la verdure. J’arrive en retard chez Nadège ou rentre tard chez moi mais, lors de mes opérations de sauvetage, je ne croise jamais personne et évite ainsi d’assumer le ridicule de la situation. Il n’y a personne et c’est normal parce qu’il pleut.

Hier soir, je rentrais (de chez Nadège pour ceux qui suivent) et soudain j’entends un crac sous ma chaussure. Je regarde. Je venais d’écraser un escargot. Croyez-le ou pas, je vécus là quelques secondes de profond désarroi. Je n’avais pas vu. Il pleuvait pourtant, j’aurais du prendre garde. Je n’osais me retourner pour voir dans quel état je laissais la limace par crainte de connaître une nouvelle insomnie. Oui, me disais-je, ce n’est qu’une limace. Mais non, c’est faux et puis d’ailleurs, j’aime bien les limaces aussi, même si je me garderais bien de les toucher à mains nues. Les escargots ont une manière de se recroqueviller dans leur coquille dès qu’on les saisit qui fait d’eux des êtres réagissant au monde. Il y en a des gros, des petits, des moyens et j’aime leurs antennes tendues vers les cieux : elles semblent dessiner des parois invisibles. Je sens dans leur périple hors du parc une sorte de tentative d’avancer, même lentement, et de franchir les frontières. Quelque part, j’admire les escargots et leur maison sur le dos. Alors hier soir, je me suis remise à mon sauvetage avec d’autant plus de ferveur que je venais de tuer un escargot. Il y en avait beaucoup, à tous les angles du parc. Je regardais mes pieds fouler le bitume pour ne pas en écraser d’autres. A ma victime, je demandais pardon. Je demandais à chacun également de pardonner la frayeur en instinct qui les rétractait au fond de leur maison lorsque je les détachais du sol, leur expliquais que c’était pour leur bien. Peut-être est-ce cela le rapport à Dieu ? Je suis cette présence que les escargots ne pourront jamais comprendre ni visualiser. Présence qui annihile en un instant des heures de glissade pour sortir du parc. Ils ne savent pas eux que je leur évite la mort. Mais cette mort fait peut-être partie des conditions de leur espèce que je perturbe. Peu importe. Je relègue ces questions, sauve, momentanément, une bonne trentaine d’escargots. Car, pour me ménager, j’ai intégré très fort en moi que je ne peux rien lorsque je ne suis plus là, que l’important est de faire et de donner tout ce qu’on peut et ensuite...advienne le reste de la vie. Lorsque j’ai estimé avoir fini et nettoyé tous les trottoirs des escargots, je croise des gens dans la rue, assassins d’escargots en puissance et les assaille d’un regard noir. Je crois que, après les bébés animaux, me voici dans la totale incapacité d'avaler à nouveau un escargot.

Je suis vraiment contente de déménager dans deux semaines, il y aura moins d’escargots là-bas, c’est sûr. Il y aura sans doute des oiseaux et je leur mettrai des blocs de margarine pour l’hiver, c’est moins compliqué que les escargots.

Je sais que si un jour un de mes amis se trouvait avec moi, il m’aiderait dans ma tâche et c’est pour cela que j’aime mes amis et que je suis fière d'eux. Lorsque j’étais encore plus petite qu’aujourd’hui, mon père me disait qu’un ami c’était quelqu’un capable de ne pas poser de questions devant un cadavre qu’on lui demande de transporter. Je n’en suis pas là, du moins pas au sens propre. Mes amis ce sont ceux qui, sans poser de questions ni contredire des raisonnements qui n’en sont pas, décolleront patiemment les escargots du bitume, attendront avec moi devant une porte pour faire entrer un chat, suivront un chien perdu dans la rue pour le recueillir ou pouvoir lire son collier.

26 septembre- Pédagogie

Ce soir j’ai vu un beau père, ou plutôt un père qui était beau, avec son fils, de cinq ans au plus, dans une rue du 5e arrondissement (logique, tiens et si nous grandissions par arrondissement parisien puis, une fois les vingt ans dépassés par département jusqu'au 97? Idée romanesque déposée, copyright KKhuette). Revenons... là, ici, à l'histoire... Donc je les regardais tous deux remonter la rue… bande de p'tits bonhommes va ! Mon coeur d'artichaut s'emplit de mansuétude devant cette vision car... (je règle à cet instant présent des points de supension un moment douloureux de mon passé, celui où en 5e -encore!- mon professeur de français nous mit au défi de trouver une phrase d'auteur débutant par "Car". Car... cela n'est pas français grammaticalement, affirmait-il, de débuter une phrase par "car". Il promit la récompense d'un 20/20! Wouah, 20/20 en ne faisant rien! Je me dis alors que le soir même , je relèverai le défi en demandant à ma môman, professeur de français itou et plus forte que tous les zôtres profs, de français ou pas, de m'indiquer une phrase débutant par "Car" -en trichant quoi...-. Mais, dans la demie-heure qui suivit, mon camarade de classe, Aël, trouva dans notre manuel de classe, l'extrait d'une oeuvre dans lequel figurait une phrase débutant par car. Il obtint alors son 20/20 et riva son clapet à un vrai adulte. J'appris ce jour-là à ne jamais remettre au lendemain ce que je pouvais faire aujourd'hui et à associer de manière irréversible le mot "car" à son "i" pluôt qu'a son "orni", mais j'ai l'immense plaisir, tout de suite maintenant et toute auteure que je ne suis point à débuter une phrase par "car". Attention, regardez bien) Mon coeur d'artichaut s'emplit de mansuétude devant cette vision... Car j’aime les hommes, leur pudeur, leur douceur craquelée, révélée à l’aune d’un sourire de gosse ou de l’épaule d’une femme qu’ils aiment. J’ai de la tendresse et de la compassion pour le rôle que, d’une manière ou d’une autre, à un moment ou à un autre, ils doivent endosser. Bref, revenons à ces deux là qui remontent la rue Henri Barbusse, tous deux plongés dans une conversation de mecs. Ca se sentait, ça se voyait, le genre de conversations où une femme, même maman, n’a pas de place. Comme dans les films en somme. J’étais béate devant la poésie de la scène et l’émotion que j’en dégageais, je voyais déjà le haut de mon blog, à défaut de l'affiche, orné de vers émouvants pour vous transformer en escargots bavant de larmes tout le week-end durant. Tournant la tête l’un vers l’autre, ils ne regardaient plus devant eux, gesticulant de mains et de sourires, d’yeux écarquillés d’enfants. Puis les voici arrivés à ma hauteur, si je puis dire. "Tu vois", continue le papa, "l’argent a été inventé pour ordonner les choses, pour que le monde soit plus simple. Par exemple, on a pris la tomate et on a dit, tiens une tomate ça vaut tant ". Je me suis dit alors que de trois choses l’une, soit le papa n’était pas pédagogue, soit le papa n’était pas poète, soit son p'tit bonhomme était sourdoué au point d'être en avance sur moi! Je me suis dit aussi beaucoup d’autres choses mais je les ai oubliées depuis afin de continuer à écrire.

25 septembre - Une histoire!

Je m’appelle Léa. Enfin non, enfin si, c’est simple pourtant, je vous assure. Pour les autres, je suis Léa. Pour moi et pour ceux qui me sont si proches qu’ils sont moi, je suis Leila. Durant des années, instituteurs et professeurs ont écorché mon prénom. J’étais un lait tourné, laaaaaait caillé de la. Ou bien j’étais une princesse aux oreilles en macarons de nattes. Je n’ai jamais été lait ni princesse, Leila ni Léa. Ni pays ni empire, je crois que j’étais juste comme vous. J’étais.

Vous pensez que je suis une enfant parce que j’écris comme une enfant. Que mes phrases sont élémentaires et sans vocabulaire. C’est que je pense ainsi. Ca me calme, ça m’apaise. Ma voix intérieure me parle comme si j’étais un bébé. A voix haute je ne parle pas ainsi sauf aux animaux. Je bêtifie en somme. Ca m’apaise autant que le regard d’un chien. Mes mots simples ordonnent le monde, en douceur et sans heurt. Rien n’existe tant que je ne lui ai pas trouvé un mot simple. Aucune question sans réponse non interdite aux moins de six ans. Viens, nous allons être heureux. Dis, c’est quoi nous ?

Je suis un enfant, je suis Leila, je suis Léa, je suis les autres, je suis comme vous, je suis vous. Je+je+je+je+je = nous. Nous. Nous devrions prendre garde à nous parler comme aux enfants. Doucement. Prononcer distinctement, avec des mots simples. Mon cœur, ma chérie, mon loulou, petit chou. N’aie pas peur, ne crains rien, je suis là et regarde sur le mur, le soleil dessine pour toi des morceaux de chocolat. Se ménager comme un rêve, se fâcher dur lorsqu’on fait des bêtises. Je m’appelle Léa et lorsque j’en ai décidé ainsi j’ai fait une bêtise. Je n’avais pas compris que ceux auprès desquels je pouvais décider de m’appeler je les avais choisis. Qu’on choisit les autres au gré de ce qu’on est, pas selon un prénom ni une identité mouvante. Je n'avais pas compris qu'on ne décide pas. Quel prénom désigne le pays de mon esprit ? Parfois, je suis la Marianne évanescente des paquets de Gitanes. La Marianne aux seins cancérisés, le coeur croustillé par le regard d'un chat.

Je suis Marianne. Les vacances c’est l’absence de parole. Retrouver la valeur des mots et du dire, ne plus parler pour ne rien dire sauf pour rire. Partir au plus près, au plus juste. Partir avec tout ce qu’il faut pour éviter d’adresser un mot ne serait-ce qu’à la boulangère. Economiser jusque dans les produits de première nécessité. Oui, bonjour, et pour vous ce sera ? Un euro dix, merci, bonne soirée, oui, bonjour, et pour vous ce sera ? Elle débite en boucle sa litanie stridente sauf lorsqu’elle parle aux enfants.

Après quelques jours, je recouvre l’espace de mon intégrité. Ne plus parler du tout, ça m’apaise. Ne plus parler du tout et j’entends mon pouls jusque dans mes chevilles. J’entends ma respiration en colonne vertébrale. Ne plus parler du tout, à mesure un pays s’installe qui ouvre ma bouche en sourire. Mes yeux sont des crayons de couleurs, je me tais et des paysages se précisent. Les peuples ont mes boucles brunes et courent en nomades. Dans leurs mains, sur leurs épaules ou sur leur dos, s’accrochent les animaux de ma terre. Ils s’engouffrent dans des courants de vent tiède et le soir, allongés sur le dos, tendent pieds et pattes vers la lune pour que ses rayons les massent. Puis ils s’endorment en amoureux au creux d’eux. Dans ce pays on parle avec les yeux verts ou bleus de la mer ; je n’ai vraiment plus rien à dire ni à ajouter, mieux serait insoutenable. Libérées de l'ancre des mots, les images virevoltent, se posent et je les colle. Je deviens Marianne, identité sans parole qu’on aimerait faire parler. Je deviens liberté, loin des sillons et du sang, moi Leila, je suis lait, je suis la d’une sonate, je suis Marianne, évanescente silhouette d’un paquet de Gitanes. Lorsque je reviendrai et qu'il faudra parler je serai l’enfant sans nom, de la bouche duquel sortent des pièces d’or à la place des mots.

12 septembre- Souvenir (1)

Ce matin, lors de mon trajet en scooter, j’ai croisé une horde d’enfants accompagnés d’un "mono". Alors que je les regardais traverser devant mes roues, je me remémorai un événement que je n’ai jamais oublié. Alors aujourd’hui, je vais vous raconter, en ex-clu-si-vité, et en prose (!), un morceau de ma biographie.

Je devais avoir dix ans, peut-être un peu plus, peut-être un peu moins, lorsque je pris conscience, frontalement, que la vie ne serait peut-être pas aussi simple que pour le Club des 5 et que les méchants poursuivis par Fantômette n’étaient que des brigands manichéens alors que l’existence déroulerait sans doute devant moi son lot de méchants subtils. J’avais déjà émis une réserve intérieure quant à l’immortalité du chien de François (ou de Nick ?), Dagobert, lorsque mon chat Pastel avait subitement disparu de mon quotidien, transformé le soir même en un nuage que j’avais vu filer dans le ciel. J’avais également assimilé l’idée de mes déconvenues à venir dans le domaine sentimental quand, à l’école primaire, les garçons précocement en proie à des quêtes identitaires et aux marasmes de l’âme qui naissent sur une humanité féconde et éraflée, assaillaient ma petite personne de doléances alors que moi j’étais secrètement amoureuse de Fabien Guy, simplement parce qu’il était beau. Voilà, ce cadre posé pour signaler que, à dix ans, déjà, je n’étais pas née de la dernière pluie ! Lorsque…

… je partis en colonie de vacances pour faire du cheval. Au niveau des vivants, je ne me souviens d’ailleurs que de mon cheval, Haïfa, une belle femelle camarguaise. Paix à son âme, elle fut des jours durant ma première amie féminine. Le dernier jour de la colo, allez savoir pourquoi, je fus chargée d’aller avec le "mono" faire des emplettes pour notre boum de départ. La vie était encore simple, aux allures d’un supermarché achalandé de bonbons où il suffisait de désigner les paquets pour qu’un homme, grand beau et fort, les mette dans le caddie et règle à la caisse avant de ramener princesse et friandises à bon port.

Une fois la mission accomplie, j’allais me doucher. Les douches étaient une enfilade de cabines et, alors que je briquais ce corps dormant (selon l’expression de quelqu’un que je connais bien,sans que toutefois je sache si elle cultive un lien avec une belle et un rouet…), j’entendis quelqu’un pénétrer dans le couloir des douches, en claquant la porte et en hurlant. (Ici, suspense).

«Qui a fait les courses pour la boum de ce soir ?! Elle est où la coooonne qu’a fait les courses pour la boum de ce soir ?!». C’est moi, mais évidemment, je ne le dis pas tout de suite (la vie m’apprit ensuite qu’il valait mieux même parfois éviter de le dire tout court). Je finis par émettre un timide « euh, c’est moi », en ouvrant ma cabine. Nue devant une fille habillée, inculpée de quelque chose, mais de quoi ?, face à une hystérique, je pris soudain conscience que, un jour ou l’autre, aujourd’hui peut-être, je mourrai. Bref. La fille me dit, toujours en criant : «et tu t’es jamais dit dans ta p’tite tête que y avait des gens qu'aimaient pas le chocolat ?!». (C'était une petite fille qui, sûre d'elle, parlait sans aucune négation).
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Alors là, non. Je ne m’étais jamais dit qu’il y avait des gens qui n’aimaient pas le chocolat. Je pris la mesure de la désespérance de cette petite fille, évincée, à mesure qu’elle ouvrait les sacs de victuailles, de la boum à venir car je n’avais en effet choisi que des friandises à base de chocolat, mais également de sa colère disproportionnée parce que bon, ne pas aimer le chocolat, c’est tout de même de l’ordre du pas possible. Je me sentis coupable et pourtant si innocente, ayant fait tout ce que je pouvais pour que mes compagnons de chambrée se régalent…Je me demandai si le ce "tout ce que je pouvais faire" était véritablement honnête et si je ne devrais pas employer le reste de mon existence à tenter d'apporter une réponse quotidienne à cette question de Damoclès. Je m'interrogeai aussi sur la capacité de mon esprit à intégrer, dans l'avenir, l’ensemble des possibles du monde, même incongrues. Comment faire pour comprendre, intégrer, voire accepter, ce que je ne peux appréhender ni même formuler ? Il y a des gens qui n’aiment pas le chocolat ! Diiingue, non ? Elle n’avait qu’à le dire aussi, en amont, qu’elle n’aimait pas le chocolat, afin que je me familiarise, à mesure de mon périple en carrosse vers le supermarché, avec cette idée affilée.

Dans cet affrontement, sans doute ai-je inconsciemment arbitré de la manière suivante cette flopée de questions : les filles, vraiment, c’est bien trop compliqué et biscornu, elles ne disent pas les choses, calculatrices comme des lionnes dissimulées dans des fourrés (ou dans des couloirs de douche) à guetter une proie qu’elles acculeront de leurs propres responsabilités et désespérances (car, ne pas aimer le chocolat, c’est dur pour un enfant).

Quinze ans plus tard, peut-être un peu moins, peut-être un peu plus, un ami (car je n’eus alors que des amis sans –e-) me dit : «mais, toi aussi, t’es une fille !». Stupéfaction, consternation, yeux ronds… A quel point tout de même, les hommes, même les êtres chers, se laissent aveugler par les apparences… ! Dix-huit ans plus tard, peut-être un peu moins, peut-être un peu plus, j’eus ma première amie avec un -e-. Et vingt ans plus tard, peut-être un peu moins, peut-être un peu plus, ce matin exactement, la résurgence de cette anecdote me fit soudain prendre conscience que femme et homme étaient autant de clivages dépassés, et que ce matin, je me trouvais surtout, à ce feu, à avoir enfin l’âge de sortir avec le mono ! Et, qui sait, peut-être même avec le prof d’histoire ?

18 août - Objet

Je vais vous parler d’un objet redécouvert ce week-end, que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître : la lampe de poche carrée. Depuis combien de temps n’aviez-vous pas pensé à une lampe de poche ? Vous voilà peut-être même surpris de prononcer « lampe de poche » en votre for intérieur. La lampe de poche donc… Grande comme la paume d’une main, en métal bleu le plus souvent, carrée ; sur le côté une languette de plastique ouvre sur une grosse pile plate. Allez savoir pourquoi les lampes de poche, du moins mes lampes de poche, les vieilles, ont toutes une partie au dos, orange, dans un plastique en relief, un plastique qui gratte. Longtemps je me suis interrogée sur l’utilité de cette partie de l’anatomie de la lampe de poche. Je me dis finalement qu’elle permet, lorsqu’on tend la main dans le noir, d’identifier l’objet. La lampe de poche a une patte en métal pour la suspendre au clou rivé au-dessus du lit et une ampoule minuscule qui vire au jaune tamisé et vacille à mesure qu’elle faiblit. Cette lampe de poche on a joué aux ombres chinoises avec, effets de lumière au plafond et recouverte de draps, de vêtements ou de foulards, elle a mis des halos de couleurs aux murs des nuits. Dans les maisons de campagne, le lit est froid, tout l’univers craque et on serre fort la lampe de poche contre son cœur car en cas de grand danger ou de grande peur, elle se transforme en arme de choix. La lampe de poche c’est un rai de lumière restreint, l’escalier marche par marche, la densité du froid dans une grange et le reflet, soudain et terrorisant, des yeux d’un chat qu’on éveille. La lampe de poche c’est surtout des centaines de pages dévorées sous les draps lorsqu’on nous a intimé l’ordre d’éteindre et de dormir, des tas de morts et de crimes élucidés autour d’une cup of tea et sous mes couvertures. La tenir ouverte afin d’appuyer fortement la pile contre ses lamelles en métal et lui arracher ses dernières forces pour finir sa page. Au matin le réveil trouve les traces de l’aventure : autour d’un sommeil bouche ouverte trainent une lampe ouverte, un livre ouvert et, sous les draps, une pile carrée.

1er août- Châtiment

Aujourd’hui dans la rue j’ai vu un homme d’une trentaine d’années parler à son chien pire que comme on parle à son chien. Lui foutre des coups de pied, l’attraper par la peau du cou avec rage pour le jeter dans le caniveau. Alors on me dira, ça arrive aux enfants et y a la guerre dans le monde. Et moi je répondrai tatatata, ce type là, je placerais bien soigneusement sa tête blonde sur les bandes blanches d’un passage piéton place de la Concorde un matin vers 8 heures.

28 juillet- Recette pour passer maître du soleil

Il doit y avoir du soleil, même peu.
En ce moment, c’est possible, dépêchez-vous
Passez du vernis incolore sur l’ongle du gros doigt de pied
Allongez-vous face au soleil comme pour bronzer
Levez la jambe gauche pour toucher le ciel
Fermez l’œil gauche
Ou bien levez la jambe droite pour caresser un oiseau
Fermez l’œil droit
Alors vous verrez
Un rayon de soleil s’accrocher à votre ongle

Un rayon de soleil au bout de votre pied
Tournez, descendez, dessinez, écrivez ou pourfendez
De ce rayon faites ce que vous voulez

23 juillet- Bricolage (1?)

Hier, j’ai fait du bricolage. Si, si. Et si, justement, je savais dessiner, j’aurais pu croquer en trois vignettes la situation. Hélas, je ne sais pas dessiner mais comme il y a des gens qui ne savent pas écrire, me voici rassérénée.

Donc, le bricolage existe, schématiquement, sous deux formes : le bricolage constructif et le bricolage déconstructif (et hop, j’invente un mot au passage). Exemple pour illustrer : on monte une étagère ou on démonte une étagère. Je me souviens avoir sur ce blog établi une liste des trucs énervants dans la vie, eh bien j’avais oublié le bricolage (et les déménagements aussi).

Hier, je me suis attelée au démontage des portes d’un placard, sept portes en tout. Un chiffre lourd d’une symbolique -les sept péchés capitaux, les sept nains, les sept jours de la semaine et… le huitième jour, les sept merveilles du monde et cette huitième qu’on attend toujours, le septième ciel…(sans commentaires)- qu’il me fallait d’abord mentalement évacuer pour me convaincre que je ne m’attelai là qu’à du bricolage déconstructif.

En équilibre précaire sur une chaise IKEA en plastique orange, j’ai entrepris le dévissage. Au début tout allait bien, je gambadais, alerte dans la prairie du bricolage déconstructif, durant trois minutes au moins. Puis je suis tombée sur une vis retorse. Une vis, métaphore de l’esprit du type qui avait dû monter ces portes : on serre les boulons, on ressert encore. Il devait être un p’tit peu énervé ce jour-là ou bien, chaque jour et tous les jours, ce n’était pas un marrant. De mon côté, je me suis demandé pourquoi la vie devait parfois se montrer si difficile et pourquoi dévisser une porte pouvait soudain devenir obstacle insurmontable dans mon humble existence. Et pourquoi il était laissé aux objets le droit de se montrer tout aussi rétif et alambiqué que les êtres humains alors que nous étions censés, en concepteurs, les dominer. Beaucoup de pourquoi donc.

Je finis néanmoins par venir à bout de cette vis et de mes pérégrinations mentales d’énervée, non sans transformer cette vis en défi personnel. Je me tournai alors pour m’atteler à la porte suivante pour m’apercevoir, vu sa disposition, qu’il me faudrait la dévisser de la main gauche ! Scandaleux. Un nouveau challenge pour bibi quand le démontage d’un placard devrait relever d’un simple fait, « hier, j’ai démonté mes placards. Point. ». Là, il m’a fallu réfléchir… Le tournevis dans la main gauche, je pris rapidement conscience du fait que mes bras n’étaient pas musclés, mais alors pas du tout, et repensai aux commentaires très utiles des copains lors des déménagements successifs. Au moment où, après avoir tenté toutes les positions pour attraper un carton lourd de livres, on le tient enfin bien en mains, une voix, masculine toujours, s’élève qui dit : « non, tu ne portes pas bien là, tu portes avec le dos, c’est mauvais, il faut porter avec les bras ». Debout, avec les 25 kilos bien calés, on attend que la fin de la diatribe soit suivie d’une action de délestage de carton, mais non... C’était juste pour parler, pour dire un truc. Je me disais donc que si j’avais « bien » porté tous les cartons bougés des années durant, je ne me trouverais pas fort dépourvue lorsque cette vis serait venue.

J’ai, à mon tour, eu recours aux subterfuges psychologiques pour avoir raison de cette porte de gauchère, imaginant à la place des vis tout un tas de faciès connus sur lesquels me dépenser : un à un, je les ai déboulonnés, au propre et au figuré. Et, après avoir égratigné le tournevis et le pas de vis, j’ai fini par enlever la porte. Et de deux ! Non mais dis donc…

C’est alors que, après avoir déposé la porte au sol, au moment où j’entreprenais courageusement la suivante, mentalement préparée pour affronter des nouvelles difficultés, je ne trouve plus mon tournevis. Je le cherche, restituant mes gestes depuis le haut de la chaise au sol où j’ai posé la porte. Mais, pour que la vie soit facile, le tournevis est transparent ! Pratique ! Là, je sens la moutarde me monter au nez et suis en passe d’appeler à l’aide. Mais je me dis : « allons, courage, tu en as vu d’autres ! Un tournevis ne saurait avoir raison de ton mental » (puis blanc), puis : « Argh, où qu’il est ce p… de tournevis ?! ». Car, logiquement, il est forcément quelque part…

Il va falloir, pour finir le travail, aller chez M. Bricolage pour acheter un nouveau tournevis et l’entreprise de démontage, qui devait nécessiter une demi-heure, va se transformer en soirée entière… Ah non, sur une planche que jamais je n’ai atteinte durant l’année où j’ai habité ici, je retrouve le tournevis, pas visuellement, tactilement, du bout des doigts. Mais là, voilà, j’ai perdu confiance. Remontée en équilibre sur ma chaise, à démanteler une autre porte de la main gauche, je me dis que je vais tomber, que ma tête va cogner contre la table, que je m’affaisserai sur le carreau et qu’on ne retrouvera mon corps que dans plusieurs jours, lorsque les pompiers commenceront à dénombrer les morts d’une éventuelle canicule. Que je mourrai, assassinée par la septième porte… Toutefois, ne pouvant souffrir d’annoncer à autrui que je n’ai pu démonter que trois portes sur sept, car il ne s’agit pas de la bonne moitié et qu’une seule manque pour que l’honneur soit sauf, j’attrape le tournevis et je tape contre la porte, trois coups vigoureux, et voilà, elle tombe.

Moralité : pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? Résultat : KKhuette VS placard, KKhuette wins. Cinq portes sur sept démontées, ça s’appelle être une bricoleuse du mardi.

22 juillet- L'écureuil bleu

Une histoire écrite il y a deux ans (cf. blog d'hier), qui suivait le portrait de huit personnages. Dernier personnage de la troupe névrotique, un écureuil volant.

Cet écureuil volant, je l’ai trouvé dans les affaires laissées par Aurèle après que nous nous soyons fâchés. Il dormait tranquillement entre les pages d’un livre, je ne sais plus lequel, mais je retrouverai. Par mails interposés, j’ai demandé à Aurèle d’où venait cet étrange petit animal. Dégradé de bleu sur tout son petit pelage, du bleu marine au bleu azur en passant par le bleu roi ou électrique (du côté de l’œil gauche, bleu également). Aurèle (qui regrette amèrement d’avoir oublié l’écureuil) me dit l’avoir trouvé dans une ruelle malfamée de New-York, aux abords d’un sex-club où il tentait, une nouvelle fois, de se fixer quant à ses orientations. Ce petit écureuil volant, Aurèle l’a vu tomber de la poche d’un personnage bien connu, Phalène, mais devant la masse dudit personnage, Aurèle a estimé qu’il saurait bien mieux s’occuper de ce petit animal délicat. Et voilà comment c’est finalement moi qui l’ai récupéré.

Il est petit, il tient dans le creux de ma main et apprécie particulièrement les grandes virées en cheval d’acier à la recherche des cybercafés. Il aime aussi s’endormir en se nichant dans le creux de mon genou droit (celui qui, d’un mouvement souple, me permet de parachever les fresques picturales dessinées par mon pied droit). Lorsqu’il s’endort, il ronronne comme un chat mais parfois il fait semblant de dormir et, alors que je m’assoupis, hop il me griffe ou me mord gentiment. Il semble très joueur.

Cet écureuil, il est petit mais je le soupçonne d’être encore un bébé écureuil, de sorte qu’il risque de grandir. Peut-être même que sa bouille va muter ? Je compulse les livres et articles sur le sujet sans trouver encore de réponse sur la taille définitive qu’atteindra ce p’tit être ni sur les transformations que pourra connaître son joli minois. J’ai seulement cru comprendre qu’il s’agissait d’une espèce particulière, fruit d’un mariage mixte entre marmotte des neiges et chat de gouttière. Sur sa p’tite tête, il a une houppe blonde et je l’imagine être « le blond » du troisième spectacle de Gad.

J’ai découvert il y a peu qu’il volait. Il semblerait que, parmi ses p’tites quenottes s’en trouve une particulière, offerte par un komodo dont il avait caressé les écailles. Le komodo souffrait depuis des années d‚une démangeaison dans le dos et ne trouvait personne, en raison de sa réputation de vilain dragon, pour le soulager. L’écureuil, candide, naïf et innocent, accepta et, en échange, le komodo lui offrit une dent. Chaque fois qu’il veut voler, l’écureuil titille cette dent et voilà c’est parti ! C’est grâce à ce procédé magique, que je n’ai pas encore identifié mais qu’il conservera tant qu’il n’aura pas donné sa langue au chat, que ce petit écureuil est parvenu, entre autres, à faire le tour du monde en 80 jours.

Bon, cet écureuil, je le découvre au fur et à mesure, et on essaie de s’apprivoiser. Il a l’air un peu timide mais il commence à gagner en assurance. Et il sait écrire ! Il est capable de rétracter ses griffes de chat pour taper sur un clavier. J’ai été surprise de voir qu’il a du vocabulaire et même du répondant, qu’il semble avoir acquis, entre autres, en s’endormant sur les mots et les histoires des quatrièmes de couverture des livres d’Aurèle. Evidemment, parfois il oublie des mots mais bon, en même temps, c’est un écureuil !

Cet écureuil ne mange pas de noisettes mais se nourrit essentiellement de sushis, de makis et autres chairs crues de poissons, ce qui me pose de sérieuses difficultés parce que je suis obligée de courir la cité sur mon cheval d’acier pour chercher de quoi le ravitailler. Parfois, je suis obligée de le laisser à la maison parce que, là où je vais, je crains qu’il prenne froid, qu’on me le vole ou qu’il tombe de ma poche. Parce que, plusieurs fois, l’écureuil volant bleu est tombé, lorsqu’il apprenait encore à voler. Depuis, il s’est familiarisé avec les chutes et ne les craint plus. Mais tout de même, je le ménage, parce que je veux tester ses limites de résistance avant de le confronter à l’extérieur et de le faire passer à l’action.

L’écureuil bleu, je le regarde comme un phénomène : en entomologiste, je l’observe. Ses yeux semblent tout le temps me sourire mais je ne doute pas du fait qu’ils cherchent aussi à me débusquer. Parmi tous les écureuils volants bleus, celui-ci a une particularité : il ne parle pas. Enfin, parfois il baragouine des trucs, du genre langue exotique que je ne comprends pas. J’ai beau le chatouiller, lui tirer les moustaches ou lui piquer la plante des pattes : rien. Mais il y a peu, miracle : une phrase ! Il m’a dit qu’il gagnait à être connu. Je lui ai alors répondu qu’on gagne toujours à être connu, et que la véritable question était plutôt : qu’est-ce que les autres gagnent à le connaître ? Il est resté sans voix.

9 juillet- Les mouettes

Vers dix-huit heures les mouettes élancent un ruban argent au-dessus de la mer. Elles sont des centaines, frôlent l’eau et se frôlent des ailes, dessinent des tunnels dans les airs. Elles pêchent en dansant, leur vol blanc sur le bleu des flots éclate comme la glace. A Paris, leur cri déchire le ciel comme s’il était un drap.

30 juin- Carnet de voyage (5)

C’est lundi, les amis sont partis, le week-end est fini. Trop mangé de poissons, trop de plage, pas assez dormi. Je range puis, grand moment, j’asperge la maison de plusieurs bassines d’eau. Ici, on balaie à l’eau qu’on pousse vers les évacuations prévues, au sol, dans la plupart des pièces. On ne lave pas, on rince, le sable, les miettes, tout part et c’est soi que l’on lave, les pieds dans l’eau, durant ces heures de ménage, la maison puis la cour. Mon royaume de l’eau… couchée sur les flots à me noyer dans le ciel, sans l’ombre d’une vague ni d’une méduse. En rentrant de la plage, on se douche au tuyau dans le jardin, on rince maillots et serviettes. Toute la journée on boit de l’eau fraîche et, le soir venu, après les melons et les pastèques, on met les mains dans la vaisselle. Avant de dormir, on peut prendre un bain tiède, fenêtres ouvertes sur la mer pour ne plus trop savoir dans quelle eau on baigne avant de gagner les ondes, infinies en vacances, du sommeil.

Les vacances au soleil sont un retour au corps. S’adapte petit à petit à la chaleur, se découvre baigné de lumière. Pieds nus sur le marbre, le sable ou dans l’eau on retrouve le contact à la terre, redécouvre des points de rencontre, infimes comme autant de terrains de dialogue. Le sable polit, abrase, le vent décoiffe, le ressac tendre ouvre grand les oreilles et on sent les courants de la mer, ici tièdes et là frais. L’après-midi, allongé de tout soi sur le lit et non blotti, on fait la sieste, pour seul vêtement la brise de la mer filtrée par les volets entrebâillés. Le soleil donne bonne mine, en nageant ou en faisant la planche on s’étire en chat. Entre femmes, on s’occupe de ses cheveux, bouclés de sel, en faisant le henné, on enlève les peaux mortes au hammam, on s’enduit d’huile d’olive pour hydrater sa peau, on s’épile au sucre, on se met du vernis et on mâche des racines pour nettoyer la bouche. C’est le cerveau qu’on lave à mesure que le corps se détend, en témoignent les conversations entre marques de rouge à lèvres et tu savais que Julien Doré était avec la nana de la météo sur Canal ? Et comme il faudra rentrer, on se promet chaque fois de ne pas oublier, tout au long de l’année, de réitérer ces cérémonials… souviens-toi l’été dernier… mais à Paris l’eau est surtout dehors, en pluie.