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26 octobre - Mon père

J'ai écrit ce texte il y a quelques mois et comme j'ai peu de temps en ce moment pour en écrire de nouveaux...

Mon père ce sont mes traits, mes lèvres et deux sillons qui encadrent mon sourire.
Mon père ce sont mes emportements, l'intériorité magma, ma dureté affichée, mes jugements incisifs mais il faut bien trancher pour avancer.
Mon père s'il était un mot serait générosité.
Mon père c’est une famille romanesque digne des Rougon-Macquart.
Mon père c’est on prend les deux, à condition qu’on les appelle Chat et Pacha.
Mon père ce sont mes bleus de ciel, de mer, à l’âme lorsque l’intégrité est identité éraflée.
Mon père ce sont mes blancs de la page, des façades à la chaux et du déracinement.
Mon père c’est l’or du soleil et du sable, l’ocre de la terre remuée, travaillée, celui de son visage et de mon chemin.
Mon père c’est les chats de Tunis, de Sousse, de Paris, tous ceux que je croise, ceux qu’il aime et qu’il enterre.
Mon père c’est mes heures de sieste et la brise fraîche qui joue avec les rideaux d’une chambre d’été.
Mon père c'est le feu de cheminée.
Mon père c’est au moins trois vies, la sienne vécue, la sienne qu’en lui il pétrit, la mienne.
Mon père c’est la troisième partie de ma thèse et quelques auteurs de polar.
Mon père c’est les colères en impasses, le grand écart entre les extrémités, les gestes retenus, les maux en mots tus.
Mon père c’est les amis perdus parce que l’essence est éphémère et qu'aucune liberté ne se conquiert sans morts.
Mon père c’est mon enfance en bribes salées et les instants du présent qui saisissent, traversent et laissent coi.
Mon père c’est mon premier lecteur et mes premiers écrits.
Mon père c'est ma peau sensible au rasoir de la vie.
Mon père c’est le silence, la maladresse de nos présences mais c’est l’évidence.
Mon père c’est quelque chose qui s’est apaisé ou résigné, toujours éruption brûlante en moi.
Mon père, il paraît qu'il faudra le tuer, mais personne ne se coupe une jambe.
Mon père c’est l’affection en gestes et en attentions, mon élan vers l’écrit pour pallier l’impossibilité de dire.
Mon père, et il me le rend bien, je l’aime père, homme, je l'aime être et c’est l’occasion de le lui écrire.

21 juillet - Cédric- Place des Vosges

Il y a longtemps maintenant et pourtant…
Si j’étais animal, je serais un chameau

Tu t’appelais Cédric et ça ne m’allait pas
Dans ma tête je t’avais surnommé p’tit chat
Tu avais des yeux bleus, un sourire poupin
Et des boucles de châtain

En me faisant rire tu as allumé
Une vaillance à l’aune d’un défi
J’attendais tes messages,
T’écrire, objet de mes journées
Te lire, onguent de mes soirées

Des rires, éclats d'enfance
Jeux de gamins tempérés

D'une douce sagesse
Ressuscités les monstres antiques
Les dragons, les flammettes

Crinières vertes et casquettes
Camus, chevalier d’or du Verseau
Les manteaux violets et les lourds bracelets
En commun des héros policiers
Pour toi dans la presse j’avais signé
Un article du nom de Fantômette
Clin d’œil à ciel ouvert survolant tout Paris

Je t’avais écrit l’histoire d’Aurèle et de ses amis
De leur écureuil bleu et elle t’avait ému
Tu m’avais demandé de lire
Les Cerfs-volants de Gary
Toi et moi dans le même espace temps
Jamais tu ne m’as déçue et pourtant
J’en ai tendu des pièges

Un soir nous avons dîné
C’était dans le Marais
La nuit avançant, tu m’as raccompagnée
J’ai voulu t’embrasser
Tu m’as repoussée
Et c’est le long des grilles
De la place des Vosges
Que nous nous sommes quittés
Là que mon écureuil bleu s’est envolé

20 juillet - Laurent - Place Vendôme

Nous nous étions retrouvés place Vendôme
A l’époque, je lisais un roman qui débutait par la découverte d’un corps suspendu à la colonne de cette place
En t’attendant, j’ai failli rebrousser chemin huit fois au moins
L’endroit était désert, les bijoux eux-mêmes avaient abandonné leurs vitrines
Leur prix seuls, exorbitants pour du néant
Tout me semblait prémonitoire, il faisait froid, il faisait nuit
Et puis tes yeux verts en coquillages et un sourire effilé d'une ironie acérée
Impeccable dans un costume gris
Et tout ce qui allait avec, gentleman-cambrioleur d’une nuit
On s'est juchés à deux sur un moment nacelle
Sans futilité nous nous sommes racontés
De restau en bar, ta fille et ta vie là-bas, mes héros de polar et ma vie ici
Je ne parvenais pas à regarder tes yeux, je n’ai jamais bien su mentir
Tes paroles à mon égard en couteaux, tout chez toi découpait
Disséquée, émincée
Tu étais bloc d’une belle pierre, fissurée par endroits
J’aurais aimé avoir les outils du sculpteur ce soir-là
On a coulé ta pierre et mes morceaux de chair dans des étreintes tendres
En parenthèses du monde, de la douceur à en pleurer
S'arrête la pensée, repos du guerrier
Et la découverte au matin de l’aube hivernale sur Paris
C’est sous les arcades de la rue de Rivoli que nous nous sommes laissés
Sous les arcades de la rue de Rivoli que toi et moi nous sommes arrêtés
Un souvenir depuis est suspendu à la colonne de la place Vendôme

1er mai- Pour Cédric, un brin de muguet

On ne perd que ce qu’on a eu
Ce que tu as eu est acquis

Page de ton livre

Intouchable et inénarrable

Exhale une vie durant

Un arôme, une note

En souvenirs

Souffle brise

Ou violente tempête

Et son enseignement

En piqûres de rappel

Ne pas se retourner
Pour disséquer
Laisser vivre
Le passé
En murmure
Au fond de soi


Puisqu’il faudra mourir
Seule gravité

Autant vivre d'ici là

Tenter, escalader, essayer

Naïf y croire toujours

S’élancer

A 20, 30 ou 40 ans

Conserver intacts

L’envie, l’aplomb et l’élan

De l’enfant

Savourer tout comme la première fois
Comme le premier jour de printemps
Emeut chaque fois

21 avril- Pour Lychee


Je t’avais donné ce prénom de fruit en raison de l’étoile blanche sur le noir de ton pelage.

Petit tu dormais dans mes cheveux, très vite tu n’as plus supporté l’appartement exigu.
Si tu avais été un acteur, tu aurais été Lino Ventura, besoins de tendresse derrière des dehors de loubard bougon.
Lorsque ces dames, KKhuette et Nadjma sont arrivées, tu as fait ton mâle, tu as fait ton homme, tu grognais, crachais, marquais ton territoire et ça n’a pas marché.
Devant nous tu t’allongeais en carpette pour qu’on te caresse, râlais lorsqu’on s’arrêtait. Tu ronronnais du cou.
Tu nous suivais loin lorsqu’on allait se promener, comme un chien. Tu gambadais à nos côtés. Indépendant, solitaire, tu partais plusieurs jours.
Cette fois-ci, t’es parti bien loin, bien seul et bien vite pépère, même pas eu le temps d’être vieux.
On dira ce n’est qu’un chat, c’est faux, c’était un chat.
Un chat c’est des années, des moments, une personnalité.
Un chat c’est une présence constante et quotidienne.
Un chat c’est des rires, de l’affection, de l’émerveillement constant devant des mimiques, des poses et une beauté féline.
Un chat est un chat, y en a pas d'autres, il y a des chats.
Voilà le quatrième que je ne verrai plus et on ne s’y fait pas, chaque fois ça fait mal même si oui ainsi va la vie.
Alors bye bye Lychee, t’as été un chat heureux je crois, mon premier chat noir, ta place restera. Là.

12 janvier- Pour Cécile

Danse, tu es une flamme
Dans ta robe rouge
Juchée sur tes talons

Danse, tu es belle

Ferme les yeux
Reste avec toi
Ne les regarde pas
Ondule et bouge

Je t’aime mon amie

Te voir là en vie
Dans ton corps
Tes deux pieds au sol
Pour mieux t’en éloigner

Ton âme se délite

Tu arpentes la
Partition de musique
Comme chaque jour
On essaie de faire son chemin

Les notes deviennent tiennes
Brunes comme tes cheveux
Tu grimpes dessus
Les domptes d’un lasso

Parmi toutes et tous

Tu es la plus belle
Au milieu d’eux
Et dans ta danse libérée
Femme assumée
Je vois le chemin parcouru
A tâtons puis à talons

Dans ta danse ce soir

Je sens des moments de ta vie
Et ceux passés
A parler ou à rire
Pour dissiper les nuages
Dans ta danse ce soir
C'est toi et puis
Notre amitié que je vois
Danser

11 novembre- A l'absent

Sens-tu ma solitude
N'oses-tu pas l'effleurer
Moi qui dormais dans la tienne
Comme dans un igloo?
Ne plus entendre notes ni mots
Les cris seulement, gémissements

La bête qu'on mène à l'abattoir
Je suis son pressentiment
Tout le long du voyage
Celle sortie de la tanière
Abattue d'une balle dans le flanc
Par le chasseur
Je suis son agonie, ses yeux qui se révulsent
Et leur dernier éclat
Je m'endors la main sur le cœur
Surprise qu'il batte encore

Peur de la nuit, de l'étau glacé
Tes bras s'en sont allés
Ne retiennent plus mes rêves
Tu m'as brûlé les doigts
Ne sentent plus le chaud, le doux, le froid
Ni les pulsations du coeur d'un autre
Eraflent, blessent et je me sens
Edward aux mains d'argent

Tu ne le sais pas, ne sais rien
Mais tu m'as condamnée
A la solitude, au flegme roide
Je ne suis plus émue
Tu m'as muée en toi
J'ai consenti
Et seule je t'ai aimé
Comme une possibilité de vivre

Seigneur de mes ténèbres
La couleur de tes yeux
Feux follets, intenses étincelles
Partition dans les miens
Dans mes souvenirs s'estompe
J'écrivais pour eux
Une histoire à deux
Que j'ai vécue seule

Tout reste mais passe
Un jour tu ne seras plus
Je sortirai grandie
Mais ma plume se tarit
Tourner la page peut-être?
Reléguer les lignes noires
Que j'ai écrites pour toi
Affronter la page blanche
Et dépasser enfin
Ta deuxième lettre de l'alphabet

17 octobre- Série lettre ouverte à (1)

Cher Martin,
Pendant que tu écris et vogues en mer baltique, tout ça pour revenir et pouvoir crâner en bobo du 11e arrondissement, alors qu’il s’agit de deux activités inutiles et tout à fait dignes d’un intermittent du spectacle, sache qu’ici il se passe des choses. Imaginons d’abord ton périple : il fait gris, froid, humide, ça sent le sel, le poisson et les odeurs de vie d’un équipage confiné là pour des semaines. Tu as du vomir déjà trois fois au moins, sur le pont tu affrontes la bruine pour guetter la trace de MON ours, mais rien. Mais alors, rien de rien, nulle part, à bâbord, à tribord, seulement le ciel où des milliers de canards se sont pendus. Néanmoins, n’oublie pas de dire bien fort les bras ouverts: « je suis le roi du monde ! » à un moment donné, afin de définitivement sceller ton destin à celui du 7e art. Si tu peux, au point le plus haut du navire, crie que tu existes parce que là où tu te trouves, il faut avouer que ce n’est pas une évidence. Tiens, je vais acheter une mappemonde, c’est joli une mappemonde.

As-tu déjà reçu les avances du capitaine du navire ou d’un de ses matelots? Si non, cela ne saurait tarder. A mon avis, remballe jeux de mots, cynisme, humour noir et degrés de conversations si tu veux conserver tes degrés… de latitude. Alors qu’ici… Ici, il pleut mais il fait doux, ça sent les feuilles mortes en tas sur les boulevards, la lessive devant le pressing, le crottin fumant boulevard Sully-Morland. Ce matin, j’ai fait du scooter (tandis que toi, niet), la course avec une mouette, vu la Seine écumer et des canards, pas du tout dépressifs, s’envoler en effleurant la surface de l’eau. Je me suis aussi battue avec une feuille qui m’a littéralement agressée, bref, c’est peu dire qu’il se passe des trucs. Tiens, as-tu vu une seule feuille depuis ton départ ?

Pendant que tu es SEUL à écrire sur ton bateau, j’ai rencontré un voyageur, caressé un chien, parlé à un boulanger et envoyé mes écrits pour qu’ils ne soient plus seuls. Ce week-end, lorsque tu t’éveilleras dans les bras du capitaine Chabal et que tu mangeras tes harengs en petit déjeuner, j’attaquerai vers 12h un petit-déjeuner bien français, avec du PAIN et des croissants. Le soir venu, peut-être savourerai-je la choucroute nouvelle, miam… A propos, hormis les harengs, tu manges quoi ? Dois-tu tuer pour te sustenter ? Les nuits sont longues, non ? Le bruit des flots verts, la cheminée qui siffle, les portes des cabines qui claquent, le lit qui tangue, le maigre repas lyophilisé qui remonte, la couverture trop petite, l’humidité pénétrante et ta lampe de poche cassée. Allez va, j’irai boire un verre à ta santé dans ton bar préféré où il y aura plein de monde pendant que toi tu seras bien tout seul devant ta page blanche. Tu sais, il faut rompre les clichés du poète maudit et s’affranchir de la lueur vacillante de la bougie : nul besoin de souffrir pour écrire (ah, je ris de me voir...)! De fait, à ton retour, si tu reviens car enfin rien n’est moins sûr, tu seras heureux de m’avoir pour amie car je te présenterai alors le cercle des poètes de la Caravane et, éventuellement, faciliterai ton intégration.

Donc non, je ne t’envie pas le loin ni le moins du monde dans ta prison flottante. Si tu peux, envoie-moi un mot juste pour me dire que non, non, en plus tu ne vois ni phoques, ni pingouins et surtout aucun ours blanc. Aucun !

22 septembre- Pour Gaël

Comme au tarot
Appeler pour vaincre à deux
Contre trois
Appeler pour être épaulé
J’appelle… Gaël
Et un souvenir précis
Fleure bon dans ma mémoire
Le jardin du Pharo
Un crépuscule festonné de rouge coton
Le jardin éclatant de verts
Au creux du premier souffle frais
Nous nous asseyons

Sur la rambarde
Surplombons la mer
Bateaux et paquebots arrivent ou quittent
Pas un bruit seule l’hirondelle du soir
C’est la sérénité
Et le lendemain
Chaleur en plomb
Les îles du Frioul
Tout est simple si facile
L’eau forte de bleu
Exhale sa fraîcheur
Le plaisir d’être ensemble

La roue a tourné depuis
Comme un mauvais diable
Gouvernail du bateau
Te voici deux me voici une
Toujours trois finalement
Tout reste simple et facile
Le jardin du Pharo
Les îles du Frioul
C’est ici à Paris
Lorsque jamais tu ne penses
A ma place
Que tu ne m’ôtes pas les mots
De la bouche
Que tu es là
Je n’avance ni ne recule
Et sur l’instant rambarde
Me pose
C’est la sérénité

2 juillet- Pour mes amis

Les copains bof
Il n’y a que les amis
Découpent ma vie en lamelles

Je les convie sur des parcelles
Partage les émotions, l’intime
Les caps et les péninsules
L’écriture, des pages de calque

Nos histoires en livres ou en live

Se gaver d’humeurs et de rires

Déambuler le long d'âmes torsadées
Recueillir phrases, notes ou pensées
Et elles deviennent deux
Autour d’un verre ou d’une table
Le long d’un boulevard ou dans un ciné
Dans un supermarché ou sur une plage
Les amis enracinent, canalisent, insufflent de l’élan

Eux seuls lestent de l’humanité
Echange en flux, ancre bleue
Tendresse et immensité
Happée par des univers je plonge
Habitée, les frôle ou les sonde
Chaque ami est pays
Et le voyage périlleux

L’amitié se passe du langage amoureux
Privée de l’éloquence d’une caresse, d’un baiser
Elle se dit en générosité, présence à point nommé
Avec des mots sans les justifier
Se mettre de côté, oublier l'ego, sa susceptibilité
Fracasser les miroirs pour pouvoir écouter
Et briser ceux de l’autre pour le faire avancer

L’ami décille les yeux
Comprend tout avant moi

Aide à monter un lit
Ne dit pas je suis là est là
Sacrifie son tube de dentifrice
Simple sain franc comme la vie
Voilà ce qu'est l'ami

28 mai- Pour Nadège

T’en fais pas mon p’tit loup, il arrive, l’été aux doigts de fée. On oubliera ton chef si con qu’il n’existe pas et tous les boulangers.

A la terrasse du Centaure, on se posera, on regardera passer les garçons et on déblatèrera sur leurs chaussures de Jésus. On verra même Romain Duris faire du vélo et on dira, « hannnnnn, c’est Romain Duris ! ».

Quand le ciel rosira, le cri des hirondelles nous dira, c’est l’été, c’est léger ! Si tu veux, on ira voir Isa et on s’extasiera sur son alien-né, on le trouvera mignon à sourire aux étoiles et on glissera ses petits doigts dans nos menottes.

Aux abords du Canal, on fera du roller et je ne commettrai pas le moindre progrès afin de cumuler les gamelles qui font rire. On sera de vraies filles : on mangera des p’tites salades avec des p’tits légumes (tu manges plus tes frites ?), on regardera les photos des rugbymen que je rapporterai, on réfléchira plus que la lumière, car les psychana-lisses seront partis en vacances, ces fainéants, et on te trouvera un pantalon blanc.

Sur les quais animés, bariolés de couleurs, on marchera en musique avec Willy Jean, tu crâneras avec tes super lunettes de soleil violettes. On se transformera en limaces, et on s’aplatira sur ta nappe pour prendre des couleurs et des joues roses carotte. On pique-niquera et on mangera des pastèques, des pêches et du melon. A nos côtés, plus de fou qui plonge dans la Seine, mais des tas d’Anglais avec lesquels nous pourrons initier des conversations-débats sur des bases sérieuses maintenant que nous sommes allées à Londres.

Le 14 juillet, on ira au bal des pompiers pour rattraper celui, raté, de l’athlétisme et on contemplera le feu d’artifice(s), en émettant des « oh, la belle verte, oh la belle bleue, oh le beau pompier ! », et on rigolera comme mon chien de MSN.

En sauterelles, on ira rue Oberkampf, de Ménilmontant ou au bassin de la Villette. Et puis le week-end, pas plus d’une demi-heure chez soi : fenêtres ouvertes, musique à fond et oreilles au vent, direction la campagne ou la plage où on mettra le feu (au figuré hein !) à la maison de ton grand-père qu’est con. Dans le sable on se lovera comme sur un matelas, ses grains gommeront les peaux mortes et le reste, et on humera à plein nez l’odeur de la crème solaire comme celle des vacances. Si tu veux, on achètera même un tambourin et un youkoulélé pour faire la gigue.

A Paris, tu verras, l’été est sucré: ils sont tous partis en vacances ou assister aux vagues de mariages annuels. En scooter, on se ballade aisément, tu monteras dessus avec tes p’tites jupes et tu diras « mince, suis toute nue » et moi, j’aurai un super casque Momo-design pour nous assurer un look d’enfer. On prend l’air, on va à la piscine ouverte et, d’une manière ou d’une autre, les nuits sont courtes. Des concerts et des parcs, des sorbets et des restos, où on est si bien qu’on se dit à quatre reprises, « bon, on bouge ? ». On verra l’Olive qui t’appellera Na-dè-jeuhhh et te dire, « ah, Nadège, que tu as de belles dents… », ce qui me rappelle un conte ;-). A Marseille peut-être qu’on ira voir Izzo et il te murmurera à l’oreille « la douceur du soleil sur son visage. C’était bon. Je ne croyais qu’à ces instants de bonheur. Aux miettes de l’abondance. ». Là-bas, tu découvriras un autre bar rouge où il fait bon boire une bière ou une mauresque, et dégusteras le chausson à la brousse du Péano.

Bref, tout cela aura des airs d’une soirée légère et insouciante qui s’acheva au Poppin… t’en souviens-tu Mary ? J’en ris encore, c’est ton tour maintenant. Puis quand viendra la fin de l’été, sur la plaaaaaaaaaaaaaage, les parisiens regagneront leur quotidien, ton chef aura attrapé un coup de soleil si énorme sur le crâne qu’il aura explosé, et alors on … partira en vacances. Alors, Grèce ou Andalousie ? L’été est un concept, il peut durer longtemps. Et l’été, nous, on a besoin de personne, ni qu’on nous raisonne, pour le rencontrer un jour.

25 mai- Pour Stéphane

Faut pas devenir vieux
On risque de devenir con
Et puis on décrépit
Dans une maison
Comme ils disent
Euphémisme
Antichambre mortuaire
Les cinglés
Les incontinents
Les handicapés
Ca sent la pisse
Le rance
Et les médicaments
On te parle comme à un enfant
Elle veut pas boire son verre d’eau ?
Allez, on va être gentille et se lever…
Je te foutrais des baffes
Et te poignarderais
Du haut de tes vingt ans
Tu veux m’apprendre la vie ?
J’en ai quatre-vingts
J’ai porté, enduré, donné, profité
Préparé des milliers de repas
Aimé des centaines de chansons
Quelques hommes, mes enfants
Des fleurs, des odeurs, la mer
Ecrit des poèmes
Tenté de partager
Changé des destinées
Mille-feuilles de tendresse
Maintenant je n’entends plus
Le cri de l’hirondelle
Je ne vois plus assez
Pour lire les histoires des autres
C’est ton tour à présent
Ecoute et regarde avec humilité
Ma mémoire en livre d’images
Et tu sauras
Que je peux encore rire
Me foutre de toi
Et puis de celle
Maîtresse du dernier mot
Et du mot dernier
Scandaleuse beauté
Mais brodeuse mal baisée
Me découpe de ses dagues rouillées
Je ne peux plus bouger
Me lever, me souvenir
On me torche le cul
On me donne la becquée
Une cuillère pour papa
Une autre pour maman
En plus faut dire merci
Et même s’il te plaît
Où sont passés mes gosses
Pourquoi m’ont-ils mise là ?
Posée sur un buffet comme une antiquité
Laissé loin d'eux pourrir leurs racines
Exsudant de détresse
Jusqu’au bout j’ai soigné
Chez moi
Mon père et puis ma mère
Leur ai tenu la main
Pour qu’ils partent tranquilles
Assurés rassurés
Je vous aime, je suis là
Juste retour des choses
Ou peut-être de bâton
Et moi je meurs ici
Sans ronronnement de chat
Dans l'odeur d'éther
D’être seule et légume
Comme si crever
N’était pas assez
Je ne suis pas malade
J’ai toute ma raison
Et c’est bien là le pire
Que pète un boulon à défaut d’une artère !
Et que dans mon sommeil
Baignée dans des songes
Pas même fanés ni décolorés
Bras d’honneur, de bonheur
Je m’endorme

12 mai 2007- Pour Majdi

Cela fait huit ans maintenant et pourtant je ne suis retournée qu’il y a peu boulevard Mortier. Je n’ai rien ressenti, demeurée de glace comme à l’annonce de la disparition. Seule la culpabilité m’étreignait de ne pas pleurer.

Boulevard Mortier, Majdi m’attend chaque matin pour aller au collège. On se tient par la main ou bras dessus dessous. Majdi, tu es ma première clope, l'amitié incandescente, lorsqu'il n’y a rien à expliquer ni à justifier; juste vivre, prendre et donner. On parle des garçons, des filles, de tes frères, de ma sœur, des profs et des parents. Quand dans les boums, les autres amorcent leurs premiers baisers lingués, toi et moi, sur le balcon ou dans la cuisine, on se moque, on se marre mais c'est parce qu'on est jaloux. Même aujourd’hui, avec le recul, je ne trouve pas stupides nos éclats de rire et j’ai toujours les photos de notre complicité. Et je me souviens aussi de la première fois où je tombais amoureuse et de ta peur de me voir m’éloigner.

Ensemble tout le temps toujours. A quelques ruelles ou quelques mètres de plage, tes étés et les miens à Sousse, nos images à la rentrée, la joie de nous retrouver. Le théâtre. On grandit ensemble, ensemble nous restons. Des conneries à n’en pas finir de les échafauder avant d’en rire. Jamais je n’ai revu de rire aussi blanc et large que le tien. Tes campagnes et tractations en début d’année pour que je sois élue déléguée. Tu me défends et je te le rends bien. Je te file les anti-colles, te souffle toutes les réponses et t’écris tes rédactions. Dans la cour du collège un jour je me bats et toi, tu arrives, tu ne nous sépares pas: non; tu ne sais pas pourquoi, on verra après, mais pour l’heure tu le frappes aussi. Je n’ai pas de copine, clandestinement dans les toilettes des filles, c’est toi qui me « tient la porte ».

Toi et moi, les autres aussi, mais toi et moi surtout, à Paris, à Munich, à Berlin, à Rome. En bateau, en train, en car, dans le métro, ta main sur mon épaule. Sur les feuilles de papier de mon album souvenirs, il en est un pur nectar. Un soir de juin sur la terrasse d’un couvent, tout le monde est parti et il ne reste que nous. Nous savons que nous n’irons pas au lycée ensemble parce que je pars dans quelques jours. Il y a le soleil qui rougeoie et nous dominons Rome ; la brise se lève, effleure du linge qui sèche. Carte postale d'Épinal. Des cris d’hirondelles, un poste de radio passe Joe Cocker, Many Rivers to cross… Je sais que ces quelques minutes où tout parlait pour nous, la tristesse et la peur, mais aussi la force du lien avec des mots d’ados, tu les as gardées. Dans ces tournants où l’identité se forge, je les sens pierres fondatrices, compréhension que l'essentiel est indicible. Je pourrais m’épiler les poils des bras que la résurgence de l’instant les dressera malgré tout jusqu’aux cheveux. Aujourd’hui, j’ai l’image dans la tête et l’hirondelle au bout de la plume.

Majdi, tu débordes d’une générosité rare, flux vital. Tes yeux pétillent de malice, en une seconde ton visage s’illumine. Qu’est-ce qui nous unit ? L'intégrité vécue naturellement ados puis, plus tard, chaotiquement, morfler pour rester ancré à un centre de gravité que personne ne voit. Une sorte d’appétence et d’énergie, un goût pour l’essentiel que je n’ai retrouvé que bien plus tard, en Nora. Toi et moi sommes depuis des années, les seuls enfants, un mythomane mis à part, d’origine maghrébine de la classe : peut-être marchons-nous tous deux dans un pays que nous seuls connaissons, si bien que nous n’avons pas à en définir les limites. Plutôt d'un pays chimérique qui, parce que nous ne le comprendrons ni ne le prendrons jamais, est sans frontières. Même lorsque je suis partie, toi seul es resté, m’as écrit, n’as pas lâché.

A tes côtés et aux côtés de Frédéric, parti comme moi, jamais je n’avais connu la solitude. Dès l’instant où j’ai quitté l’asphalte pour le pré, elle ne m’a pas quittée et j’ai grandi d’un coup d’un seul. C’est moi qui t’ai lâché, la distance, le temps, les gens, puis je suis revenue. Je me suis dit, tu es là à présent et tu as le temps. Je me suis laissée dix jours avant de vous retrouver tous; vous étiez restés liés. Dix jours pour t’appeler, mais finalement, le neuvième jour on m’a appelée. Et merde ! T’as tout balancé, jeté contre le bitume mon enfance et mon adolescence. Tu t’es projeté dans l’avenir, connerie d'expression, collision d’un corps sur une surface lisse à mourir. Ton corps démantibulé a disloqué le groupe. Ils ne peuvent même plus se regarder tant le pourquoi? les obsède: un pourquoi aussi ridicule et vain qu'une raison d'être en vie. Ils m’ont interpellée pour te reconstituer avec des bribes de souvenirs. Je n’étais plus là depuis des années et je n’ai pas refait surface, parce que revenir en arrière et ressusciter les membres efflanqués du passé, c’est inutile. Avec toi, en une vague, partis tous mes amis d’enfance et quinze ans balayés par la lame.

J'ai juste dit Majdi est mort, et puis je me suis tue. A qui dire quoi? Parce qu'on vit tous des épisodes douloureux, ce n'est pas grave, on est plusieurs et ça rassure. J'ai repassé les deux années de séparation pour me convaincre que nous avions changé, que nous ne nous étions pas revus et que, finalement, nous étions déjà morts l'un pour l'autre. Je t'ai rangé et tout le reste avec comme un manteau à la fin de l'hiver. C'est con. Mais voilà, à présent, je vois ta jambe franchir la balustrade et ton corps tomber. C’est pas ta faute, ni la mienne, c’est forcément la faute au bon Dieu. Et aucun si. Si je, si tu, si il... non. C’est comme ça, gosse tu ne choisis pas la fin du conte. Tes yeux hagards se vident de leur substance. Les dents de ton sourire se fracassent à terre, là, exactement là, où durant des années, on se retrouvait. Ta mère m’a demandée mais rien de la suite ne me concernait. Tu as choisi de couper le fil net; respecter ta décision c'est stop, fin, plus rien. En Tunisie, tu es enterré dans la ville de mon père, en famille en somme. Et ça y'est, j’y suis allée boulevard Mortier juste pour te dire, et il était temps, que tu manques.

9 mai 2007- Pour l'Olive: les seins

J'ai un ami, c'est l'Olive (le propriétaire de Minette, cf. blog du 15 mars) et je l'aime beaucoup. Ce que j'aime, entre autres, chez l'Olive, c'est son regard sur les femmes. Des limbes de ma mémoire, il a réanimé toutes les scènes, dans leurs moindres détails, d'un film que je vis jeune, à plusieurs reprises: L'Homme qui aimait les femmes (Truffaut). Par magie, une phrase a même émergé, qui traînait sans doute depuis longtemps, lancinante, dans ma p'tite tête: "les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens".

Avec l'Olive, je bois un apéro au moins une fois par semaine et ses objets d'attention varient: de la cheville aux fesses en passant par les seins. La beauté féminine comme agrégation d'une kyrielle d'accessoires, chaussures et robes, boucles et parfum... Sur la femme, il porte le regard de l'enfant émerveillé par autant de différences qui forgent un mystère. J'aime ce regard, sensible et mouvant mais scrutateur, parce que c'est ce regard masculin, et seulement lui, qui permet à une femme de le devenir et de se sentir belle.

L'Olive me dit, raconte, m'interroge. Dernière conversation en date: les seins. C'était sa semaine seins, et il me rapportait ses constats. Les symboles et l'imaginaire posés là par les hommes, au creux d'une poitrine, m'émerveillent et me font rire. Or, curieusement, à ce moment-là, mes seins, oui, les miens que j'ai, étaient l'objet de bien des attentions. Je racontais d'abord à l'Olive que j'avais enfin fait avancer la collection de mon chef (cf. blog du 5 avril) en apportant ma contribution: l'étiquette (3e de la collection) d'un soutien-gorge que j'avais acheté, juste pour lui, la veille. Outre la joie de mon chef, cette contribution donna lieu à une longue conversation sur les tailles de bonnets, les largeurs de dos, les soutiens-gorge et les corsets, les balconnets et les sans-bretelles.

Puis, deux jours plus tard, j'effectuais ma première mammographie, dans un cabinet médical où dès l'entrée, une affiche avertissait ainsi: "savez-vous que votre médecin radiographe est aussi auteur de polars?". Je ressortais illico en maudissant, une fois n'est pas coutume, les coïncidences et en me demandant s'il était judicieux d'aller me faire palper les seins par un homme (première interrogation) que je retrouverais peut-être lors d'un cocktail mondain (seconde interrogation) ou, pire encore, avec lequel je serais amenée à travailler (ultime interrogation). Puis je balayais d'une miette de lucidité ces pérégrinations en me disant que, son nom m'étant inconnu, il s'agissait -forcément- d'un auteur de polars médiocre et que si je m'extirpais chaque matin de mon lit pour aller servir le pain c'était, entre autres, pour m'offrir le luxe de ne travailler qu'avec les bons (auteurs de polar pas les boulangers). On voit comment, même chez une femme, les seins peuvent être point de départ d'une rêverie périlleuse, de la reconsidération de ses choix de vie jusqu'au polar.

Bien, l'examen en lui-même et le docteur en lui-même, je les relatai à l'Olive, récit qui n'a aucunement sa place ici. Ce qui a sa place ici, ce sont mes seins, car l'Olive, écoutant mon récit plein d'entrain, me demanda de lui envoyer la description de mes seins par mon médecin auteur de polars, activité qui n'est, somme toute, qu'une suite logique pour quelqu'un qui passe son temps dans une chambre noire à palper des chairs. Alors, l'Olive, pour toi, et pour tous les amoureux des femmes, voici la prose de mon médecin :

Seins mixtes (est-ce que cela signifie que j'en ai deux? de deux sexes?), à la fois lipomateux et dystrophiques, caractérisés par la présence de nombreuses opacités nodulaires, lenticulaires, à contours flous (bien, je vois que mes seins s'appliquent à ne pas rompre une logique d'ensemble), leur conférant une tonalité élevée et hétérogène (alors, là, motus :-)
Absence d'opacité pathologique circonscrite décelable (ouf!)
Absence d'image infiltrative, divergente ou de rupture architecturale (comment mes seins parviennent-ils à être les seuls à ne pas souffrir de rupture architecturale?)
Macro-calcification bénigne du quadrant supéro-externe du sein gauche (ça, bon, je le savais)
Les plans cutanés sont fins et réguliers (ça ne saurait durer car le temps passe: cf. blog du 7 mai)
Et, pompon sur le gâteau comme dit Gad: absence d'atténuation suspecte du faisceau ultra-sonore. Je crois que cela insiste sur ma non-radioactivité.
Conclusion: classification ACR: ACR1 à droite- ACR2 à gauche> ma propre conclusion: le "qui se ressemble s'assemble", c'est des bêtises...

25 avril 2007- Pour Martin, en réponse

Ecrire c’est apprendre à respirer
Lorsqu’il parait que la moitié d’entre nous
Ne savent pas
L’écriture se fait discipline
Pour retrouver son souffle

Inspiration d’abord, lente ou goulue
Où aux parois des poumons
Le goudron de la clope

Et la glue des années
Collent des émotions
Mouchetées en punaises

A la tête monte l’air en mots
Par bouffées ou en filets
Folle farandole ou bulles de savon
Exhalent le vertige du vide
Lorsque les mots manquent
Toucher de l’âme
Le gouffre de l’ignorance

Le cœur se gorge de sensations
De détails que les yeux lui racontent

Bouffer un dictionnaire
Maturation
Incubation

Chercher son rythme, son pouls
S’apaiser bercé

Ou étouffer culbuté
Les mots sont des palpitations
Rythme cardiaque
Ou lames pointues qui égorgent

Puis, expiration
Logorrhée en bile
Ou mélopée aérienne
Du bout de l’ongle
Fouiller jusqu’aux chairs
Racler, poncer
Restituer

Une émotion
Un regard en bourgeon

Ecrire c’est nier la raison
Pour n’en avoir qu’une
Cheviller son ventre à ses yeux
Se lever chaque matin
Pour quelqu’un
Quelque chose
Un instant

Surtout, on peut écrire comme on respire
Partout
C’est pour cela, Martin, que je ne cesserai pas

Ainsi que je fais exister les gens autour de moi
Ainsi que je leur donne du poids auprès de moi
Ne pas écrire c’est survivre
Cela arrive mais ne saurait durer
Qu’importe le talent
Ecrire c’est partager
De soi à soi a minima
Etre toujours à une page
Du monde
Pour qu’il ne me dévore pas
Ecrire c’est surtout
Caresser un visage
Effleurer une âme de la plume
Côté plume

11 avril 2007- Pour Cédric: mon scooter

En février, mon scooter et moi avons fêté nos un an. Une année chargée, pour lui et moi. Au début, mon scooter s’était dit que la vie avec moi serait douce et peinarde. Né dans la plus belle ville du monde, il dormait bien au chaud, aux côtés d’un compagnon de route et d’une voiture bienveillante. Petit dernier de la bande, ses copains veillaient sur lui, lui prodiguaient des conseils tout en enviant secrètement sa jupe et ses manchons fourrés. En somme, enviaient leur copain d’être un scooter de fille… Mon scooter, durant les premiers mois, il en ramait pas une, traversant Paris jusqu’à République trois fois par semaine et point, évitant tout au plus les manifestants anti-CPE. Sous sa selle pourtant ronronnaient des rêves d’évasion qu’il manifestait parfois intempestivement, orientant ses roues à sa guise et nous perdant dans Paris. A plusieurs reprises, il fit également mine de s’évanouir au démarrage… ooops, mes petits bras tentaient de retenir ses 110 kilos avant que je me retrouve ballante dans la rue, devant cette masse d’acier impossible à relever seule. Il mettait de la mauvaise volonté, caractériel, me lançait un défi. Je pris alors conscience que mon scooter et moi nous étions bien trouvés. Certes, il ne paye pas de mine et il est petit, mais il a, comme moi, une importante capacité de rangement voire d’encaissement et, aux feux, les grosses machines ne font pas les malines, car sous ses airs bonhommes, mon scooter camoufle une nervosité soigneusement entretenue. Il a la hargne chevillée au corps, veut franchir les distances pour aller il ne pas sait où mais il s’en fout pourvu que ce soit quelque part, avaler des kilomètres le museau au vent et contourner les obstacles. Un jour, un automobiliste, sur le pont Henri IV, osa me poser la question : « c’est un 125, ça ? », ce à quoi mon scooter répondit, « comment ça, ça ? Chuis p’tit mais c’est nerveux ». Désarçonné, l’automobiliste ferma sa fenêtre en maugréant. Bref…

Juin marqua pour mon scooter le début d’une nouvelle vie, plus éreintante. Il découvrit Meudon sous un soleil de plomb. Puis les entretiens d’embauche dans les quartiers chics où nous étions, lui et moi, désorientés, tentant de suivre le papier Mappy… avenue de la Grande Armée, rue de Leipzig, avenue Monceau, avant de poser notre dévolu sur l’avenue d’Eylau. Ma monture d'acier découvrit également le Sentier et la rue d’Uzès où il fit connaissance avec un nouveau copain, le scooter tout pourri, cassé, borgne et sale de Gaël. Mon scooter rechignait à devenir ami avec celui de Gaël, mais je lui fis un cours magistral sur la sociabilité et sur les apparences trompeuses. Je lui expliquai que, sous ses 50 cm3, le scooter de Gaël dissimulait un cœur plus gros de générosité que la plupart des 250 cm3, si ce n’est plus. Mais tout de même, il était fatigué: beaucoup de route, des complexes d’infériorité par rapport à ses congénères dédaigneux et rutilants du 16e ; il faisait chaud, je le transformais en tortue, le chargeant d’un tas d’affaires qu’il trimballait de la rue d’Uzès au boulevard Saint-Marcel, où des pigeons le recouvraient copieusement de fientes.

Fin août, je décidai de lui octroyer quelques vacances. Il retrouva sa maison d’antan et s’y reposa dix jours durant. Il se vida complètement de son stress et de sa batterie aussi. En rentrant je lui dis : « ressaisis-toi, recharge-toi, il faut aller de l’avant, toi et moi on va affronter l’hiver ». Dans un hoquet lourd de sanglots et de non-dits, il accepta de reprendre la route. L’hiver fut long pour lui. La nuit, il dormait dehors. Impossible de lier connaissance avec ses voisins, une mobylette sénile et une grosse moto bleue sportive et hautaine. Seul, il était seul, et tellement moche que personne n’essayait de briser sa chaîne pour l’enlever et l’emmener sous des cieux plus radieux. A peine quelques clochards s’asseyaient dessus durant la nuit et écrasaient leurs cigarettes sur sa jupe. Chaque matin, tous les matins même, il fallait partir. Petit à petit, mon scooter perdit le moral, traînant des roues, ne trouvant plus l’énergie nécessaire pour démarrer le matin. Le même trajet, toujours. J’avais beau faire en sorte qu’il retrouve le plus possible son copain, le scooter de Gaël, rue Jules Vallès, rien n’y faisait. J’appelais Wahed à la rescousse pour lui faire des appels du pied, lui parler d’homme à homme, via le kick. Pour ses 6000 kilomètres, je lui offris même une séance chez le psychothérapeute MBK: vidange des soucis, regonflage des pneus, la totale… mais non, il était fatigué mon scooter. La pluie avait usé sa jupe, fané son bronze, et il affrontait difficilement les temps de larmes, dérapant sur les pavés saillants des Invalides ou le long des bandes blanches du pont Alexandre III. De mon côté, j’étais bien en peine de le voir amer et résolus donc de lui laisser ses week-ends libres et de prendre le métro. Je lui concédai même dix jours de vacances fin février ; mais mon scooter, regagnant pour l’occasion son ancienne maison, fut submergé par les souvenirs, la nostalgie, la peur de l’avenir et, ne retrouvant plus ses anciens compagnons de route qui lui auraient sans doute insufflé des forces, il devint mélancolique. C’en était trop, s'il eût su écrire, il aurait couché des lettres d'huile sur du papier. Fatigué de rouler, de porter, de donner, mon scooter résolut, dès mon retour, de se suicider en se jetant la tête la première sur la voiture d’un livreur du Bon Marché. Que l’acte ultime devienne symbolique, lorsque le 13e arrondissement affronte le 7e dans un dernier sursaut de vie, et que le scooter anonyme se suicide sur le capot d’un suppôt de la société de consommation. C’était sans compter sur ses propres forces qu’il ne soupçonnait pas. L’avant de la voiture fut pulvérisé, et lui récolta une égratignure. De l’incident, mon scooter sortit ragaillardi, fier de sa capacité de résistance aux chocs et d’avoir symboliquement laminé un empire d’un simple coup de tête. De plus, il gagna au passage une carrosserie neuve et un nouveau phare, ce que je vois comme une métaphore, lumière perçant les ténèbres. Le voici reparti. Nous voici repartis, lui et moi, à l’assaut. Je doute toutefois de sa force morale pour franchir les temps de larmes à venir sans tomber, et envisage donc de le remplacer. Comment lui dire ? Comment lui assurer une vie plus sereine et tranquille, le long de routes qui ne soient pas routine ?

3 avril 2007- Pour Nora

Plus de vingt ans c’est peu
Lorsque je sens
Que la plupart
Ne la vivra jamais
J’ai cherché l’amitié
L’ai brisée
Lorsqu’elle me décevait
Et puis j’ai rencontré
Nora
(oh, oh Nora ! y a tant de phrases qu'on dit que je ne dirai pas :-)
Avec Nora
C’est de l’indescriptible
Le mot et l’image
Epuisent l’indicible
Mais il faut essayer
Rien que pour la faire rire
Elle qui dit
"Tes poèmes sont looooongs"
Va falloir que j’indique
Par un astérisque
Comme le coup de cymbale
D’un spectacle comique
(De seconde zone)
Les emprunts faits à Gad
Et si le poème est long
J’écrirai un Nora I, II et III
Comme Richard I, II et III*

Nora m’a appris
Ce que sont les deux moitiés
D’un cerveau
Lorsque le sien
Electrise le mien
Pour lui dire
Faut pas trop réfléchir*
Bouge-toi, t’es capable
T’endors pas
Et que le mien lui souffle
Tais-toi
Te fatigue pas
Je comprends
Ou une bêtise
Qui la fait rire

Je guette
La seconde de stupeur
Puis le rire fuse...
C'est quoi cette bouteille de lait?

Nora m’a appris
Ce que sont les deux cavités
D’un cœur
Quand la première dit
J’ai même pas mal
Et que l’autre répond si
Je vais prendre le relais
Pulser, drainer
Fluidifier les caillots
Epurer le sang et te donner du rythme

En moi Nora réconcilie
L’enfant qui rit et l’adulte qui vit
La femme qui aime et l’esprit qui régente
On parle de la vie
Et des marques de vernis
On joue les crevettes
On fait les paresseuses*
Rien que des parenthèses on tourne*
Et surtout qu’est-ce qu’on rit !
Par écrit ou ensemble
Jeux de mots, pas d’esprit
Des regards qui se croisent
Une simple intonation

Un émoticone jaune
Du Gad
Et de la générosité
Sans compter

Nora elle m’a appris
Que l’amitié c’est

Comprendre sans efforts
D’un œil acéré
Ressortir les facettes

De l'autre
Qui tranchent et blessent
Pour les arrondir
Et celles chatoyantes
Qu’on méconnaît de soi
Juger quand il faut
En couperet
Et dire t’as dé-co-nné*
Elaguer les scories
Et les grands discours
La vie en équations
Qui supposent toutes
Une solution

Nora m’a donné
De la confiance en moi
Des outils, des réflexes
Et une longue-vue pour
Tracer un chemin
Où j’existe
De la légitimité
Pour dire oui ou non
Même loin elle me prête
Une oreille attentive
Un écho de rires
Une âme sur laquelle
Emincer mes pensées

Plus que ma sœur
Cœur sur le cœur
Si tu pleures, je pleure*
Avec moi toujours
Sur les lignes droites
Et les tournants
Le regard rivé à terre
Ou plongé dans le ciel
Et bientôt j’écrirai un poème
Où je l’imiterai
Parce que Nora,
C’est bien plus qu’un poème

28 mars 2007- Pour Nadège: son chef

J'ai une copine (si, si!)
Jusqu'ici
Tout va bien
Qu'a un chef
Jusqu'ici
Tout va (toujours) bien
Mais le chef
Son crâne d'œuf
Et son unique cheveu
L'intérieur
C'est pareil
Et encore
Y a pas d'air
Il respire
(hélas !)
La bêtise
A servi
Au Robert
Pour la définition
De con
Mais pas le con gentil
Poli
Seul son crâne est poli
Et c'est tout un bestiaire
Tête de blatte
Yeux de cafard
Mains en pattes
Transpire en putois
Rit comme un phoque
Ne sait faire que ça
S'esclaffer
De toute sa faconde
Se rouler
Dans la fange
Des mondanités
Ruisselle de suffisance
Et ses lunettes grasses
Reluquent fesses et seins
Beurk, salissant, dégoûtant
Au bureau
Il arrive
Vers 11h
Parce qu'il faut bien
Emmener les bambins à l'école
A 12h déjeuner
Parce qu'il faut bien
Se sustenter
Fumer c'est pas bien
Boire non plus
Mangeons des légumes
Regardez-le bien
C'est un modèle de vie
Ascète de philosophie
(de quoi?!)
Mais vous ne pourrez pas
En prendre de la graine
Parce que des graines
L'en a même pas une
Jusqu'à 14h
Mondanités
Ah, ah, ah, vous êtes impayable
Je vous aime, vous adore
14h30 départ
Pour la sieste
Et parce qu'il faut bien
Se préparer
Pour dîner
Môssieur est éditeur
Et connaît trois auteurs
Vive Wikipédia!
Confond Chromalin
Et gros malin
« Appelle » y a deux L ?
Peut pas ouvrir un dico
Aller au A-P
C'est parcourir plus de pages
Qu'il n'en a jamais lues
Mais donne des leçons
D'écriture et de littérature
Voire de savoir vivre
Quand on voudrait le voir
Savoir crever
S'invite dans les salons
Les cocktails
Ou confiture et humour gluant
Attirent toutes les mouches
Ce type
En bon esclavagiste
A même acheté sa femme
Et en achète d'autres
Régulièrement
Se gausse de ses exploits
De Deauville au Kenya
Il a son pote arabe
Bien sous tous rapports
Et se fait fort
De tendre la main
A qui est dans le besoin
Pourvu qu'il ponde
Un bouquin
Qui rapporte
Il a surtout papa
Qui répare les dégâts
D'un gosse qui ne sait faire
Qu'être né de la cuisse de Jupiter
Allez va retourne
A tes quatre lettres au scrabble
Et puis à ton "Oui-Oui"
Y a rien à faire de toi
Cloporte
Si ce n'est de faire en sorte
Que tu ne puisses exister
Parasite à écraser
D'un seul coup d'un seul
De la pointe du soulier

12 mars 2007- A ma grand-mère

Il y a Paris
Des rues trempées de rouge
Et puis l'aéroport
Le soleil qui pointe
Les couloirs de foule épanchés
Arrivée la chaleur
La soif inextinguible
Sur l'échine des longues files
Impossible d'étancher

J'ai souvenir de la cour
Presque de récré
Carrelée, marbrée
De vert, de blanc, de bleu
Et de fleurs veinée
Kaléidoscope
Vitraux de l'édifice
En leurs coeurs nichent
Les mélopées d'enfants
Sur leurs pétales percutent
Les appels des mamans
Brodés des vapeurs
D'un muezzin en pleurs
Le ciel se froisse à peine
Du vol d'une hirondelle
Et jette ses embruns
De sable, de sel, de crème
Et ses immenses files
D'une lourde paresse

La vieille femme repose
Sourde dans une pénombre close
Des fenêtres lascives
Arrondies de barreaux
Tintent les rideaux
Ronds de perles plastiques

En son corps assoupi
Couve un peu de ma vie
Les traits de son visage
Appartiennent à mon père
Un peu de mon image
Elle a le souffle fort
Cadencé et ouaté
De ceux qui ont vécu
Le sommeil apaisé
Nimbé des rires d'enfants
Les grands et les petits
Les siens poupées arabes

On m'a dit il y a peu
Que tu étais partie
Pourtant au fil(s) de maux
Tu palpites et tu vis
Et lorsque le sommeil
S'invite dans mes draps
Je sens encore ton souffle
Sirocco sur mes bras
Plage de sable brûlant
Etendue de mémoire
Gorgé de vagues
D'une mer écrémée
Les lèvres citronnées
Et la fleur d'oranger
Ma vie à l'eau de rose
Le miaulement du chat
Et puis le lait entier
Qui me fait une moustache

Et chaque après-midi
Repus des rêves de sieste
On sourit en pastèque
On engloutit des pêches
On s'emmielle de coings
On jette des baquets d'eau
On la racle on la pousse
Et on humidifie le moindre
Petit recoin des
Marbres bleu, blanc, vert
Cour aux parfums jasmin
Où assise par terre
Une vieille femme
S'affaire au repas

Sa peau fleure l'ail et la tomate
Cuirassée d'huile d'olive
Entre ses doigts file la semoule
Egrène le temps
Ecosse les pois chiches
Les fèves de ses rois
Ah, des souvenirs j'en ai
Aux yeux larmes de khôl
Les moustiques parasites
Comme la vie sucent et piquent
Les méduses métaphores
Les bonbons de l'amphore
A terre là cassée
Ramassés à pleines mains
Je sers les poings je sers
Quand l'enfant étouffe encore
Tous les cris de son corps
Allez petit cousin,
Oublie, t'es trop petit
On ira voir toi et moi
L'âne et le chameau
Plantés dans ce désert
Qui précède la mer
Ils mâchonnent le temps
Les aiguilles de cactus
Et les chardons ardents
Qui égratignent les pieds
Le long du chemin souffré
Qui mène à la plage

Vieille femme tu reposes
A présent tu disposes
Comme dans toutes les chansons
Je ne t'ai jamais parlé
Jamais rien demandé
Pris ce que tu donnais
J'ai appris à nager
Pas à me laisser flotter
J'ai frotté mon palais
Au piment des mille et une
Vies au creux desquelles
Mon père naquit
Ton pays et ta langue
Ne sont même pas à moi
J'hérite de tout cela
Passé aux remugles de plats
De poissons, de fritures
De légumes découpés
De sauces et de tes mots
Que je ne comprenais pas
Vent d'enfance
Aux allures de vacances
Aux couleurs de l'été
Dans ce pays où rien
Naît à moitié

En moi poussent
Tes racines
Collier de jasmin
Autour duquel s'enfilent
Les grains de sable aux reflets
De terre
De mer
De fraise
Et de mémoire vivante