28 juin- Les héros de papier

Vivre avec des héros de papier. A chaque page défient l'éternité alors que d'éternité il n'y en a point car le volume a un nombre de pages qu'on tient en main. Défient la mort alors qu'ils ne peuvent mourir, la mort est de papier, elle a l'allure du simple mot fin graphié. Les héros de papier sont cocottes ou cerfs-volants, peuvent tout faire, vivre et dire. Seul le lecteur est en danger qui comprend, vit et entend. Tout. Quand devient-on fou? Lorsque quelqu'un dit "il est fou", comme pour la maladie incurable qu'on a couvée des années durant et qui terrasse dès qu'on apprend qu'elle est en nous? Lupin a marché près de moi si longtemps. Son éternité c'est moi. Sa mort aussi. Et quelques autres. Je leur parle, me répondent. Les héros de papier et les auteurs morts; phrases, mots, utopies maturés en matière. Mais il faut prendre garde à la vie en lignes tracées. Essayer de trouver les héros de papier ou auteurs décédés dans la rue, dans tes yeux, au détour d'une phrase. Faire de toi et des autres des héros intérimaires. Si je couchais les héros qui gambergent dans ma tête sur la papier, alors je deviendrais forcément moi aussi un auteur décédé. Morale de la réflexion: dans la vie, faut coucher pour se coucher en paix.

27 juin 2007

Lecteur, pardonne mes absences comme je pardonne à ceux qui se sont absentés
Pain et -ture sont dans un bateau...
Il faudrait que la vie ressemble au forfait Bouygues millenium
Temps illimité le week-end, report des heures non utilisées le mois suivant
Ainsi heures d'ennui ou perdues seraient récupérables, ce qui serait fort utile en ce moment
27 juin, j'ai eu froid aux mains car j'avais oublié mes gants
En enfilant un pull, j'ai trouvé un long poil blanc
Pas à KKhuette donc qui est noire
Car KKhuette est chatte. Pas une chatte, KKhuette est chatte
A la sultane Nadjma donc
Voilà, un travail et même un travail et demi
Voilà, une maison
Tout est normal en somme
Dans normal il y a aussi mal et presque dort-mal
Manquent deux ronronnements de chats

24 juin

Grimper à bord du navire
Tanguer sur le roulis du temps
Et la peau burinée par les rayons
Du soleil en aiguilles d'horloge
Seul le vent parle, gonfle la voile
Lâcher le gouvernail
Délestée de l'amarre dériver
Etre et devenir en une seule vague
Immédiatement

19 juin- Martial et l'étoile 6te & fin

Rappel de la fin de l’épisode précédent : "Celle qui relate scrupuleusement les faits de cette histoire remarque alors que le gnhomme a changé de visage et que ses yeux s’éclairent d’une lueur fiévreuse qui le rend beau, abruptement. Martial lance un œil goguenard à la narratrice lui signifiant sa satisfaction d’avoir touché au but et lui intimant l’ordre de reprendre le récit sans se disperser. Ce que Martial ne comprend pas, c’est que le gnhomme a chaviré, accepté de chavirer et a gagné dans ce basculement la capacité à émouvoir. Et à présent, la narratrice voudrait connaître son prénom."

Le gnhomme lève les yeux vers la narratrice, son regard, lame, tranche la rétine.
- Mon prénom ? Qu’importe. Je ne m’appelle pas tant qu’on ne m’appelle pas et justement on ne m’appelle plus.
- Pourquoi ne t’appelle-t-on plus ? demande la narratrice.
- Je ne sais pas, répond le gnhomme en une moue qui prouve qu’il sait très bien.
- On ne t’appelle plus, parce que tu n’appelles pas. On ne t’appelle plus parce que tu es devenu boulet et poids mort. On ne t’appelle plus parce que tu as perdu ton étoile. L’étoile, elle, t’appelle, martèle alors Martial.
- Ok, où est-elle ton étoile que je lui cause et qu’on règle le truc une fois pour toutes ?

Le gnhomme se lève, torse nu, et gagne la salle de bain pour passer de l’eau sur son visage. Ouvre grand ses yeux bleus, replace les boucles brunes qui ourlent sur son front. Quelque chose en lui se redresse à commencer par les épaules, son corps se tend, son port est altier. Martial le regarde faire, dodeline de sa boule tandis que la narratrice demeure la plume suspendue en l’air.
- Alors ?
- Alors, attend, elle va venir, répond Martial en se dirigeant vers la fenêtre.
- Ouais, venir pour repartir. Ton étoile, c’est pas de la poussière, c’est de la poudre. Blanche, de perlimpinpin et d’escampette.
- Tais-toi, lui intime Martial en tendant une antenne à l’extérieur comme pour prendre la température. Tais-toi, reprend-il, ton étoile n’a plus beaucoup de forces et peine à s’exprimer.
Le ciel de Paris est noir, auréolé d’orange, à peine la lune glisse-t-elle un morceau de croissant. Les étoiles sont mouvantes, lumières des avions, autant de destinations comme autant de rêves.

«Il doit être quatre, cinq heures environ, se dit Martial, le soleil ne va guère tarder à crâner, il faut faire vite ou le gnhomme ne croira plus.». Le martien se concentre, se replie en boule, entre ses antennes, pendant que le gnhomme qui a regagné son lit affecte de se désintéresser de la scène. « Que fait-elle ? » se demande Martial qui commence à craindre pour le succès de sa mission, « Allez, un ultime effort, un dernier sursaut l’étoile, ne te laisse pas mourir à l’orée du possible !».

Mais rien, rien ne se passe ni ne vient troubler l’impassibilité de la ville silencieuse. Martial en aurait presque les larmes aux yeux s’il connaissait les larmes. Le gnhomme lui, trône, fier d’une victoire qui marque sa défaite. Mais soudain, une lumière ténue, comme virevoltante, éclaire la plume de la narratrice. Surprise, cette dernière (qu’on avait oubliée) regarde son stylo et voit la plume devenir incandescente, en pouls de luciole. Martial a immédiatement repéré le phénomène et crie : «secoue-le, secoue-le !».

Perplexe, la narratrice ne comprend guère les injonctions de Martial et regarde la plume brillante, lumière argentée presque blanche. «Secoue-le, secoue-le !» répète Martial. Le gnhomme essaie de ne rien laisser paraître de sa frayeur. D’un coup d’antenne de pieuvre, Martial arrache le stylo de la main de la narratrice et le secoue. Une encre lumineuse d’étoiles éclabousse la pièce et Martial roule à toute vitesse dans l’appartement, agitant son antenne, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’encre. Le gnhomme et la narratrice semblent ne plus rien comprendre à ce qui se passe, la narratrice le confirme présentement. Alors Martial se calme, reprend place et souffle de martien.

On ne perçoit pas d’emblée le changement dans l’appartement mais malgré tout quelque chose s’est produit. A terre, les livres se sont refermés, les feuilles parcourues d’écriture se sont empilées. Vaisselle et cendriers n’ont pas bougé. Le gnhomme non plus, mais son ventre est étincelé et il le regarde, hébété. Le palpe et le roule entre ses doigts, la lumière mordorée transperce la peau et on distingue des tripes. Des vraies, enroulés de courage, de volonté et de ténacité dans une membrane de rires. Le gnhomme semble le premier surpris qui les découvre, «j’ai des tripes», balbutie-t-il et on dirait qu’il est ivre alors qu’il vient juste de revenir sur terre. Martial contemple le gnhomme l’air amusé et la narratrice a vaillamment repris le fil (ou spaghetti pour le lecteur qui suit) de son récit. Le gnhomme poursuit son palper rouler tel une femme sur ses cuisses à la mi-juin et finit par lever la tête vers Martial.
- Alors la voilà mon étoile...
Il sourit lorsque son attention est attirée par la pile de livres au sol. Les tranches de certains d’entre eux battent en pouls lumineux. Prudemment, il les attrape. Prévert, Crébillon, Baudelaire, Eluard, Ponge, Aragon, Racine, Hugo, Faulkner, Izzo et des dizaines d’autres qu’il ne se souvient même pas avoir eus en bibliothèque. Parmi les volumes de «comment vivre seul, manger seul, arrêter de fumer tout en arrêtant de boire, etc.», ils palpitent. Il en est même un qui tressaute, trépigne d’impatience et fait tomber la pile qui l’empêche de respirer. Le gnhomme l’attrape, Manifeste du Surréalisme, et il rit. Il tourne la tête, regarde sa pile de CD, sa pile de DVD qui connaissent le même phénomène lumineux.
- C’est ton étoile, dit Martial, elle n’est pas une, elle n’est pas objet, elle est poussière.
- J’ai compris, répond le gnhomme, qui touche à nouveau son ventre.
- Tout dépend de ta faculté à voir, ajoute Martial. Si tu gardes les yeux ouverts, tu verras que tu as du ventre et que le monde des gnhommes te donne partout et à chaque instant des raisons d’être heureux. Tiens, regarde tes feuilles et ouvre ton répertoire, tu verras ressortir, lumineuse, la qualité de ta prose, la brillance du mot juste, et la célérité fulgurante du style. Tu verras aussi ressurgir les noms de ceux que tu n’appelles pas et qui ne t’appellent plus et auxquels tu manques. Ceux, celui et celles. Vas-y.

Le gnhomme suit les conseils de Martial, constate la véracité du propos. Derrière les phrases barrées, les paragraphes raturés, des mots affleurent à la surface, se signalent comme pour crier à l’aide. Tendent la main pour être sauvés des flots, extirpés du néant. Dans son répertoire, les feuilles volètent d’elles-mêmes et font revenir des prénoms, histoires longues et abandonnées, ou avortées à peine initiées, famille, amitié, amours naissantes. Leur bruissement exhale des souvenirs qui semblent parler au gnhomme. Ses joues reprennent de la couleur. A mesure, l’éclat de chaque chose devient plus dense, comme si l’étoile gagnait en puissance.
- Est-ce que tu veux dire que l’étoile ne dépend que de moi ?
- Pas tout à fait le gnhomme, mais oui, en grande partie. C’est toi qui la fais croître.
- Mais il me semble l’avoir connue, pourquoi, comment, où l’ai-je perdue ?
- Tu n’y croyais plus. Tu la croyais dépendante de quelqu’un d’autre, en quelqu’un d’autre, c’était faux.
Les larmes montent aux yeux du gnhomme.
- J’ai le sentiment de revenir de l’enfer et pourtant tout cela n’est que rêve. J’ai trop bu, c’est cela ? Je vais m’éveiller dans des vapeurs derrière lesquelles je retrouverai le monde terne.
- Non, tu ne rêves pas ou alors tu rêves complètement et pourquoi pas ? L’étoile est là, tu l’as vue, tu sens ses effets et tu la fais vivre. Ne lâche pas. Avance à présent. Décourage-toi parfois mais pour remonter plus vaillant. N’oublie jamais les chevaliers ni l’étoile de la Poésie, elle veille sur la tienne. Ravive-la ici pour maintenir la tienne intacte, elle est partout, de chaque instant, en toute chose. Observe les lumières, les couleurs, laisse-toi déambuler le long de la brise des sensations.

A mesure des propos de Martial, le gnhomme semble s’apaiser mais sa main est crispée sur un livre. L’appartement est piqueté de lueurs en tous points et le gnhomme les regarde avidement, l’un puis l’autre, l’autre puis l’un, comme s’il craignait de les voir soudain s’envoler. Martial dodeline et à chaque basculement rapetisse. En quelques minutes, il redevient lézard. A la fenêtre, le soleil effectue paresseusement un lever du lit de nuages, sans se presser, et Rossinante tape le carreau du nez. Le gnhomme regarde tout cela, semble calme mais tient à un fil (ou à un….). Au moment où Rossinante referme la fenêtre et s’envole un lézard heureux sur le coin de l’oreille, la narratrice pose sa plume sur son bureau et se dirige vers le gnhomme.
- Tu sais, ton étoile poésie «porte en elle la compensation parfaite des misères que nous endurons» et «se fait dans un lit comme l’amour». Et si tu crains de la perdre, laisse-moi la fixer au ruban de tes yeux.

Du bout des doigts elle clôt ses paupières, prend sa main précieusement dans la sienne et le guide vers le lit. Alors, dans «les draps défaits qui sont l’aurore des choses», le gnhomme murmure enfin à l’oreille de la narratrice… son prénom.
DEBUT DE LA FIN


M'est d'avis que le blog du jour en vaut trois... :-)

18 juin- Petite annonce

Vous me voyez fort contrite de n'avoir point posté de missive aujourd'hui, mais au bureau mon ordinateur est en panne, dévasté par tant de textes sans rapport avec la boulangerie et dont il ne parvient plus à suivre les pérégrinations: en d'autres termes, il rame.
Je profite donc de ce temps suspendu pour passer une annonce aux lecteurs (lectrices?) de ce blog qui seraient également pourvus de biceps pour m'aider à déménager: envoyez-moi un mail, réponse assurée!

14 juin- Le martien et l'étoile (5)

[...]
- Ah bon ?
- Oui, je ne comprends pas. Nous n’avons que la poussière d’étoile, rétorque Martial, vous avez une étoile. Pour vous seuls, une pour chacun et vous geignez, vous traînez le long du chemin d’une existence courte par rapport à la nôtre et dont vous ne semblez guère profiter. Tu me parles d’une femme, je ne sais pas de quoi il s’agit. Tu évoques l’amour, connais pas. Tu écoutes de la musique, tu lis et apparemment tu écris, tout cela semble intéressant, chez nous les seuls artistes sont des gnhommes importés.
Le gnhomme lève les yeux au ciel, fait mine d’ignorer la présence de la boule rouge au pied de son lit mais, imperturbable, Martial poursuit.
- Veux-tu que je te parle plus longuement de notre vie d’éternité, de ma planète où rien ni personne ne change jamais, que je démonte les images toutes faites que vous, les gnhommes, nous plaquez sur les anses, soucoupes volantes, invasion, OVNI et tout le tintouin ?
Le jeune gnhomme se relève, tente de prendre contenance. Remet ses cheveux en place, se frotte les yeux. Il a du mal, ses gestes sont maladroits et engourdis, mais enfin il semble parvenir à se concentrer sur cette conversation qu’il juge irréelle. Elle l'est, mais tous les gnhommes en ont connues une, voire plusieurs. Calmement, Martial continue de fumer, conscient de son effet. Dans la pièce, un silence d’autant plus palpable qu’il succède à la chanson de Brel et que la rue ne se froisse d'aucun bruit. Martial se balance d’un côté sur l’autre paisiblement, comme assis dans un rocking-chair.
- Qu’est-ce que tu fumes ? lui demande finalement le gnhomme
- De la poussière de ton étoile.
- Quel goût a la poussière d’étoile fumée ? interroge le gnhomme.
- Eh bien, comme vos tabacs, la poussière d’étoile a le goût du gnhomme qui fait briller l’étoile. La tienne est épicée, iodée et elle gratte un peu les antennes et a des relents d'amertume.
- C’est bon quand même?
- Bof, répond Martial, les premières bouffées sont intéressantes, mais elle écoeure vite, trop boisée, trop d’écorce, tu vois. Elle manque de fleurs et puis…
- Et puis ?
- Et puis, ma poussière d’étoile préférée est rare, on en trouve très peu là-haut. Elle a une spécificité c’est que lorsque tu la fumes, au moment où tu penses avoir exploré toute la palette de ses arômes, que les volutes s'évanouissent déjà, se distille alors un parfum de feuilles qui frissonnent, une note ambrée de ronronnement de chat et, ultime sensation, le suc d’un pépiement d’oiseau. Tu vois, j’adore, parce que pas d’arbres, d’oiseau ni de chat d’où je viens.
- A quel gnhomme est l’étoile dont tu extrais cette poussière ?
- Ah, voilà ! Cette étoile est spéciale, d’où la rareté de sa poussière. Elle est éloignée, itinérante et versatile : la croiser trois ou quatre fois dans l’éternité c’est déjà beaucoup pour un martien. Elle n’appartient à aucun gnhomme et tous contribuent pourtant à sa lumière ainsi qu'à la qualité, à la finesse et à la puissance de son parfum. J’ai entendu dire que durant des années, selon un cycle mystérieux, décharnée, son existence semblait être en péril. Son équilibre est fragile, précaire, sa poussière précieuse. Là où je vis, on l’appelle poésie. Et ici ?
Le gnhomme sourit, mais c’est un rictus.
- Martien, ce que tu me racontes est sans intérêt. Ton monde est finalement calqué sur le nôtre. Ton étoile poésie là, elle a pas pour copines une étoile Histoire, une autre Littérature et même une Sociologie ?! C’est le baccalauréat ta planète ? Pfff, allez, repars d’où tu viens, faut que je dorme, dit le gnhomme en remontant les draps sur sa poitrine, j'ai mal à la tête, ça tourne ou bien l'appartement tourne.
Martial ne se démonte pas, d'ailleurs il ne peut pas: c’est une boule, et poursuit d’un ton égal :
- Ton esprit est fermé. Tu es un petit gnhomme, tu n’es rien et je me demande ce que je fais ici. Tu poses des questions et n’écoutes pas des réponses que tu estimes connaître par avance. Alors, écoute une dernière fois, vais parler en un trait, ça va être indigeste, pour le lecteur aussi d'ailleurs, mais au moins tu auras de la matière à malaxer pour quelques jours.
Oui, notre système est plaqué sur le vôtre, émotions, sentiments et culture en moins, parce que vous nous avez inventés. Les mots mêmes d’étoile ou de martien n’existeraient pas dans votre langue que je ne serais pas là ! Assume ! Assumez ! Vous chérissez le soleil et la lune parce que vous avez établi scientifiquement leur rôle sur votre planète mais, en secret, dans vos rêves, c’est la déferlante d’étoiles et de martiens. Le soleil, connais pas. La lune, connais pas. Chez nous, votre étoile de la poésie illumine les autres; qu’elle perde son éclat et toutes crèveront à petite lumière. Nous avec, privés de nourriture. Et non, pas d’étoiles de l’histoire ni de la littérature, celles -ci sont des étoiles de gnhommes. Vois-tu, l’Histoire, la Littérature et tout le reste relèvent de gnhommes, d’individus, mais sans l’étoile de la poésie, rien, le néant, elles ne brilleront jamais.
- Et donc ?
- Et donc ? Et donc la tienne s'en éloigne. Elle a déjà perdu une branche, laisse-la seulement mourir que tu mourras aussi. Tu déambuleras dans ce monde comme tu le fais en ce moment. Fantôme de gnhomme, ombre terne et sans éclat, je t’offre une chance, tu n’en auras qu’une.
- Ouais, mais moi, j’en ai marre de toutes tes bonnes femmes. Celle que j’ai serrée dans mes bras et qui s’est barrée. De ta poésie et de ton étoile qui se sont barrées aussi. Et du reste.
- Pauvre petit gnhomme, vraiment je te plains. Et toi, qu’as-tu fait pour les retenir ? As-tu travaillé ? As-tu pensé à cette femme que tu tenais dans tes bras en oubliant tes bras, et le "je" pour le "nous" ? T'es-tu demandé quelle sorte d'étoile t'habitait pour que cette femme te regarde? Et la sienne? As-tu travaillé ta plume, as-tu donné du souffle et de l'élan à tes rêves ? As-tu aiguisé ton regard et tes sens pour recueillir la poésie de ton monde comme moi la poussière d’étoile ? Te voilà affalé, quand redresseras-tu l’échine ? Relèveras-tu le menton pour cesser d’observer tes pieds qui ne marchent même plus droit et pour regarder là-haut ? Et à droite, et à gauche ? Et derrière!
Martial a rangé sa pipe. Par des mouvements d’antenne, il fait comprendre au gnhomme que l’entretien touche à sa fin. Le gnhomme ne bouge pas, entre stupéfaction et consternation. Martial voudrait planter le pieu final.
- Et dis-moi le gnhomme, t’as pas d’amis, pas de famille ? Pas de mélopées s’échappant des fenêtres qui viennent jusqu’à toi sans que tu aies à faire le moindre effort ? Des gnhommes qui viennent vers toi, te tendent les mains coupelle pour tes maux sans que tu aies à faire le moindre effort ? Il paraît, relatent vos livres, que les gnhommes sont cruels, que déferlent sur votre Terre, cris de souffrance, d’agonie, et de guerre, larmes et barbarie et nous voyons en effet des nuages d’étoiles disparaître en un instant. Mais vous avez le choix. Etre ensemble et vivre ensemble c’est aussi mourir ensemble, et toi tu décides de crever seul. Vas-y.
- Ce que tu dis en gros, toi le martien qui ne connait rien à ma planète, c’est que je devrais me dire, cool, j’ai trop de chance d’être un gnhomme, de me lever chaque matin pour aller bosser pour un autre gnhomme, comme tous les autres gnhommes, et que si par hasard au détour de cette existence morne il m’arrivait d’éprouver ne serait-ce qu'une miette de joie, il me faudrait immédiatement pour en profiter reléguer la souffrance des autres ? Merci pour tes discours moralisateurs et ton bon sens gnhommique, ils me manquaient. Tu crois quoi ? Ta raison à deux balles elle permet de tenir debout, mais pas longtemps et à condition de ne pas penser.
- Ce que je te dis, c’est que ce soir est ta dernière chance de rencontrer ton étoile. En fait, je n’ai rien à te dire, je te donne un choix en chance.
Celle qui relate scrupuleusement les faits de cette histoire remarque alors que le gnhomme a changé de visage et que ses yeux s’éclairent d’une lueur fiévreuse qui le rend beau, abruptement. Martial lance un œil goguenard à la narratrice lui signifiant sa satisfaction d’avoir touché au but et lui intimant l’ordre de reprendre le récit sans se disperser. Ce que Martial ne comprend pas, c’est que le gnhomme a chaviré, accepté de chavirer et a gagné dans ce basculement la capacité à émouvoir. Et à présent, la narratrice voudrait connaître son prénom.

Bientôt, dans le dernier et sixième épisode de cette "Paix des étoiles", vous saurez que notre gnhomme se nomme Luke et entendrez cette phrase, prononcée à travers les tuyaux d’une robinetterie : « je suis ton pèèèèère » (c’est bien ça the phrase culte ?). Malgré tout, le suspense demeure quant à l’issue ultime et finale, suprême et définitive de ce récit.

13 juin 2007- Parenthèse(s)

Pas le temps aujourd'hui de poursuivre les aventures du martien et de l'étoile qui, au demeurant, n'intéressent personne. Vais entamer une grève de blog tiens. Je consacre cette journée à plancher sur un concept tout à fait révolutionnaire, visant à trouver une solution pour se lever le matin à l'heure où corps et esprit sont repus de sommeil, interrompre sa journée d'une sieste salvatrice en début d'après-midi et profiter des heures de soleil de fin de journée pour glander à une terrasse, TOUT en travaillant sur des projets passionnants qui permettent EN OUTRE de gagner sa vie. Des idées?

12 juin- Le martien et l'étoile (4)

Martial se laisse tomber du mur, atterrit sur le ventre du gnhomme, remonte jusqu’à son nez. Dans l’appartement il fait chaud, le corps du gnhomme est moite. Au contact du lézard, il frissonne et semble se détendre, éclore en parcelles. Martial se pose sur son nez et, de sa queue, chatouille l’espace en chemin, entre le nez et la bouche où, à la naissance une étoile pose sa branche dont elle laisse trace à jamais pour signifier que ce gnhomme est le sien et qu’il cesse enfin de hurler. Le gnhomme soupire, porte la main à son visage et se dresse sur son séant en sursaut. Martial est projeté à l’autre bout du lit. Le gnhomme écarquille des yeux bleus hébétés, cherche ce qui a pu le réveiller. Prenant son courage à quatre pattes de lézard, Martial s’engage sur la jambe droite, le gnhomme le voit et le laisse poursuivre son ascension, jusqu’à sa main où il l’accueille.
- Tiens, un lézard, tu t’es paumé, qu’est-ce que tu fous là ?
- Ne te fie pas aux apparences le gnhomme, comme ça j’ai l’air d’un lézard mais en fait je suis un martien.
- Ah bon, fait le gnhomme qui dépose Martial sur le drap, s’allonge et se retourne, prêt à repiquer du nez.
Martial se demande si, sur Terre, les gnhommes se sont familiarisés avec les lézards qui parlent, surtout en un discours construit grammaticalement. Il a bien entendu parler des langues de vipère, mais voilà tout. Il traverse le lit, se place sous le nez du gnhomme :
- Eh, le gnhomme, je parle !
- Oui, je t’entends ! Et justement si tu pouvais te taire, je voudrais dormir.
- Je suis venu te parler de l’étoile là-haut, il faut que tu m’écoutes, le voyage a été long et je ne pourrai pas me permettre de revenir toutes les deux semaines, Rossinante se fait vieille et Jumper est trop insolent et bavard pour que je me farcisse avec lui des années lumière.
Derrière, la chanson de Brel joue toujours et Martial voudrait trouver la force, dans son maigre corps de lézard, de se catapulter sur le bouton on/off de la chaîne.
- Tu ne veux pas arrêter la musique ?
- Non, je ne veux pas. Qui es-tu lézard pour me dire ce que je dois faire chez moi ?
- Je suis venu de la part de l’étoile, la tienne, la vraie, pas l’inaccessible de l’autre, elle a perdu une branche et ne parvient plus à briller.
- Ok, le martien, t’es venu me parler de rien, tu ne peux pas parler, tu es un lézard, moi je suis bourré et je préfère dormir, ça m’évite de soutenir des conversations avec les lézards ou les araignées, Lacenaire ou Marlowe, John Lennon ou Franquin, tu vois. Puis les voyages au Japon, sur la matrix, au Cambodge ou sur la terre du milieu m’ont usé, suis devenu casanier, trop de décalages, horaires entre autres. Fous-moi la paix, dégage.

Le gnhomme cache sa tête sous le drap et Martial reste pantois, désarçonné par l’animosité de l’individu. Comment faire et que dire ? Martial gagne le rebord de la fenêtre, lève les yeux et voit que l’étoile faiblit, éclat terne parmi le scintillement des autres. «Il me faut de la poussière d’étoile», se dit-il. A peine cette pensée lui traverse-t-elle l’esprit qu’il voit filer une étoile en une traînée lumineuse dont la poussière s’évente dans le ciel. Martial tend la langue le plus loin possible, les miettes de l’astre s’y posent en un nuage et le lézard se sent prendre corps de martien, reprendre corps en somme. Mais à quoi ressemble le martien ?

Le martien est une boule, légère, semblable aux énormes ballons sur lesquels on s’asseyait enfant, pour sauter et aller haut, rebondir sans se faire mal. Il n’a pas de sexe mais une couleur et Martial est rouge. Sa nourriture, on l’aura compris, est la poussière d’étoile nietzscheéenne sans laquelle le martien est condamné à demeurer figé dans la constellation car elle lui permet de rouler. Plus le martien ingurgite de poussière d’étoile, plus il est libre et léger. Il a deux antennes pour percevoir les mondes et, sous les mains des enfants, elles se recourbent en anses auxquelles s’accrocher (pour sauter et aller haut, rebondir sans se faire mal). Martial a donc repris boule, de l’antenne éteint la chaîne, et roule jusqu’au lit où le gnhomme s’est déjà assoupi. Là, il allume une pipe et il ne lui manque que la double casquette sur la tête, tant il semble concentré, tendu vers un point lointain.
- Bon, le gnhomme, fini la rigolade maintenant, réveille-toi, et il fait sauter son antenne en élastique sur la joue du jeune gnhomme.
Le jeune gnhomme est plutôt beau, du moins selon le point de vue de celle qui relate scrupuleusement les faits sans les altérer, car le martien demeure pour sa part insensible à ce charme, ce qui lui permet de se focaliser sur les raisons de sa présence auprès de lui.
- T’as perdu ton étoile ou quoi ? C’est elle qui m’envoie ici, parce qu’elle voudrait récupérer sa branche. Décharnée, elle risque de mourir et de s’évanouir dans le néant.
- L’étoile mon coco, ça fait bien longtemps que je l’ai perdue. Non mais c’est quoi ces conneries ? A Paris, tes étoiles, on les voit même plus. Le ciel est orange.
- Me fiche pas mal des étoiles que tu vois ou pas. Une suffit et tu la connais très bien. Ne brandis pas la carte de l’amnésie. Faut-il pour te secouer que j’évoque Nerval, Hugo, Aragon, et tous les autres de là-haut ?
- Non, pas la peine, m’en fiche pas mal. Parle-moi plutôt de Tarzan, de Cartouche ou de Montale, de Julien Sorel, de Luke Skywalker, de Gaston, d’Arthur, de Batman, du club des Cinq, que devient Mick d’ailleurs, Merlin et Morgane?
- N’existent pas tous ceux-là !
- Ah, tu vois ! Eh bien ici, on nous fait croire que si, figure-toi et chaque fois, quand tu lis un bouquin ou que tu regardes un film, tu te dis que la vie va enfin être possible. Mais ce sont des histoires, tous ceux-là, comme tu dis, peuvent pas exister trois secondes ici sans crever. Que des histoires, comme les martiens qui parlent en ballon ou en lézard. Je peux dormir maintenant ?
- Mais l’étoile, elle existe elle, elle est à toi, mets-y ce que tu veux et qui tu veux. T’as qu’à t’y mettre toi.
- Moi ? Je ne suis rien, je ne pèse pas, je n’existe pas. J’ai cru être pirate puis chevalier, voulu être médecin ou écrivain, j’ai même failli faire le bonheur d’une femme. Puis finalement il reste quoi ? Rien. Nous, les gnhommes sommes condamnés par les nôtres et un peu par les vôtres, à n’être rien, à rêver haut pour nous casser la gueule et mesurer puissamment que ouais, on est sur terre.
Martial reste calme, tire sur sa pipe du bout de l’antenne, les volutes s’égarent comme ses pensées.
- Ca veut dire quoi rêver le gnhomme ? Là-haut on me dit que rêver c’est croire.
- Rêver c’est croire oui, être pris pour un con en gros, ça va jusqu’à dix ans tu vois, et encore, l’âge recule, mais ensuite quoi ?
- Ensuite quoi ?
- Ensuite rien. Tu t’éloignes de ta mère et la cherches en chaque femme. Tu t’éloignes de tes livres et les perds en route. Tu t’éloignes de tes rêves grignotés par les dents scie du fric et du quotidien. Et puis tout se mélange et tu rencontres une femme qui devient livre, rêve, mère et étoile et tu t’y accroches.
- Ensuite quoi ?
- Ensuite rien. Tu n’es rien, elle seule fait de toi quelque chose ou quelqu’un, t’insuffle une raison de vivre. Qu’elle parte et c’est le néant.
- En somme, vous les gnhommes ne pouvez vivre seul ? Là-haut tu sais le gnhomme, nous les martiens mangeons, fumons, sniffons de l'antenne, de la poussière d’étoile, pas pour rouler à deux, à plusieurs ou ensemble, mais pour rouler tout court et tout seul. Le gnhomme se tait, passe de l’eau sur son visage, redresse l’échine, finit par émettre un «ah bon ?» en interrogation.

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10 juin- Le martien et l'étoile (3)

Martial se faufile, il est deux heures du matin. Place de la Bastille, il évite d’un coup de rein de lézard les pas balbutiants des parisiens sortant des bars. «Whaaaouh, regarde, y a un martien déguisé en lézard !» dit un gnhomme vacillant et son amie l’attrape par le bras, «mais oui, allez viens, on rentre». Le gnhomme s’éloigne, ne cesse de se retourner, fronçant les yeux pour retrouver Martial. Martial est déjà loin, effaré par l’épanchement des émotions sur le bitume à cette heure de la nuit. Ca rit à gorge déployée, ça chante à écraser la queue d’un chat, ça pleure à chaudes larmes, ça s’embrasse contre les murs. Tous les gnhommes se touchent, l’épaule, la main, se soutiennent pour marcher, ou goûtent avidement les premiers baisers. Martial trouve tout cela bizarre, n’avait pas perçu le monde des gnhommes ainsi. C’est qu’à cette heure de la nuit, le monde on le refait.

Et voici le square Trousseau, tout s’apaise, à peine quelques âmes solitaires le longent-elles, humant le nectar du tilleul. Martial tourne, se faufile le long des grilles glacées du square afin d’éviter, plus loin, une corneille qui éventre de coups de bec rageurs, le sac d’une poubelle. La corneille ne semble guère renseignée qui déchire un sac poubelle jaune qui ne contient, de fait, que cartons et papiers. Mais les classes d'intelligence et de sensibilité chez les oiseaux, c’est une autre histoire. Martial est arrivé. Rue Charles Baudelaire.

« Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous! Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est. Et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront, il est l'heure de s'enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise. »

Martial ne saisit pas bien le sens profond du poème ni du mot enivré mais il sait que sur le monde des gnhommes, Baudelaire a tout exprimé et qu’une rencontre, véritable, avec lui suffit paraît-il à certains de trouver une raison d’être en vie. Légitime. Question que le martien ne se pose guère tandis que tant de gnhommes la ruminent, la remâchent. L'incubent comme l’alcool. Martial a pu le constater en ingurgitant du bout de l’antenne des centaines de livres de et sur les gnhommes. Le martien s’interroge sur l’intérêt de la question d’être en vie, et sur les effets, recherchés pour y répondre, des drogues, de l’alcool, des effusions sensuelles et de la recherche de l’instant pur suc dans la coupelle de l’éphémère. Martial lève les yeux au ciel et aperçoit l’étoile qui, dans un dernier souffle, un ultime effort, brille de tout son pouls pour le rappeler à sa mission. C’est là l’étoile, rue Charles Baudelaire, qu’habite le gnhomme qui t’a perdue. Martial s’arrête et se concentre.

Autour de lui, silence. Le lézard se fige, ses yeux roulent, et on perçoit sous sa peau fine et tendue les battements de son cœur. Martial fait cœur et corps avec le bitume et ses palpitations. Il ressent les vibrations du dernier métro et devine, sous ses petites pattes de lézard, les anciens pavés recouverts de goudron. Des flots d’histoire et de littérature ingurgitée lui parlent en flux d’images, les candélabres et l’allumeur de réverbères, les maisons basses et les pas chaotiques du poète. Un cycliste passe, rompt l’ouate d’une chansonnette et arrache Martial à ses pérégrinations. Martial se ressaisit, tente d’enrayer la course des temps et des lignes d'écriture croisées, dans sa tête, refait le silence. Et il entend alors, faiblement, les notes s’échappant d’une fenêtre. « Porter le chagrin des départs… partir où personne ne part… aimer, jusqu’à la déchirure, aimer même trop, même mal, tenter sans force et sans armure d’atteindre l’inaccessible étoile… ». Martial repère le troisième étage du 18, une fenêtre entrebâillée et une lueur chiche. Se glisse dans l’interstice du portail en bois massif. Une cour pavée et fleurie, un escalier en bois dépoli, un pallier, trois portes, les notes se précisent. Martial se coule entre le paillasson et le pas de porte et il y est.

L’appartement est petit, le sol est jonché de feuilles sillonnées de mots, d’assiettes sales, de bouteilles. Ca sent le renfermé, selon l’odorat de lézard du moins. Une petite lampe en terre luit de ses maigres forces. Par terre, des cendriers, hérissons de mégots, et des livres aux pages jaunes qui se déchirent la tranche. La voix de Brel semble être la seule vivante mais sur un matelas, un gnhomme dort. Martial s’approche, s’accroche à un mur. Le martien est surpris. Il s’attendait à ce qu’un gnhomme qui perd une étoile et écoute Jacques Brel ait au moins cinquante ans, et celui-là doit en porter trente-cinq à tout casser. Il est sur le dos, les bras en croix, bien ouverts comme pour ne pas s’amener avec lui dans le voyage. Le souffle court se heurte de hoquets et les mains, en sursauts, se cramponnent parfois au drap. « Il semble que dormir le fatigue », se dit Martial, dormir constitue pourtant une activité de choix».

Mais le martien ne sait pas que, contrairement à lui, le gnhomme n’a pas le choix. Il doit dormir à un moment, s’effondrer, tandis que le martien décide, lui, de dormir ou non, toutes les semaines de martien, ou tous les ans, ou une fois par siècle. Ou pas. « Tiens, je dormirais bien », se dit le martien lorsque le gnhomme ploie et tombe sous le joug d’un maître qui décide seul d’un sommeil en landes ou en récifs. Ne sait pas que le gnhomme, s’il a sommeil d’un coup, que le sable monte à ses paupières, ne peut se laisser aller à un repos salvateur parce que c’est le jour, qu’il faut travailler, ne pas rompre le rythme précaire qui le punaise en affiche au monde des gnhommes. Finalement, Martial ne sait pas ce qu'est le sommeil tout court, nécessité ou pays. Il ne devine guère que le sommeil est un univers au creux duquel se jouent et se rejouent les vies des ghnommes. Martial ne sait pas que tout ce que les gnhommes font, guerres et paix, œuvres d’art, inhumanité bestiale, n’existent qu’au regard d’un moment, si simple qu’il en est futile, de s’endormir enrobé par un autre corps comme en un bain de tendresse. Mais le sommeil du gnhomme qu’il contemple le lui dit, lui murmure un « eh, oui, tout ça pour ça!»

« Et c’est tout ? », s’interroge Martial perplexe, « est-ce ainsi que les gnhommes vivent ?» Oui, leurs baisers au loin les suivent. Martial observe l’homme qui dort seul, occupant, tel un parachute se déploie au sol, toute la surface du matelas, et il se souvient du recueil compulsé, «changer de lit changer de corps, à quoi bon puisque c'est encore, moi qui moi-même me trahis, moi qui me traîne et m'éparpille, et mon ombre se déshabille, dans les bras semblables des filles, où j'ai cru trouver un pays». Alors, vos édifices, vos livres, vos tableaux, votre Histoire, vos musiques, vos Gnhommes avec un grand G dont vous vénérez la mémoire, vos suicides et vos maux, votre philosophie, vos sciences, vos religions ne sont que témoignages de la présence ou de l’absence d’une main dans la vôtre? Celle d’un parent, d’un enfant, d’un ami ou d’un amant ? Tout se joue ici, sur un matelas Ikéa ?

«Ainsi, voilà les gnhommes, des êtres en quête, même pas de l’amour dont on m'a parlé, ni de la beauté qu'on m'a vantée, mais d’une tendresse aux allures de vérité. Pitoyable, se dit Martial, malgré tout chamboulé par une révélation qui va le contraindre à reconsidérer son univers de martien. Pour en savoir davantage, pour que ce passage sur Terre constitue l'occasion de comprendre, pour que ce gnhomme cesse de changer le cours des étoiles et pour le délivrer d’un sommeil en fardeau, Martial décide de réveiller le gnhomme qui dort.

Le martien et le gnhomme, c’est bientôt.

8 juin 2007- Pause

Ce jour est à marquer d'une pierre blanche et il va falloir fêter ça. Pas grand chose, mais symboliquement c'est beaucoup, un cap (un pic, une péninsule). Deux pierres/satisfactions: 1) Nora, tu viens dormir chez moi :-)?, 2) j'ai plein de trucs à te raconter

Et pour les autres, et pour le reste, l'histoire de Martial et de l'étoile n'est reléguée que pour des questions de temps, mais il va se passer plein de trucs.

7 juin 2006 - Ugo (1)

Pas le temps ni l'énergie aujourd'hui de poursuivre les aventures haletantes et trépidantes de mon martien et de son étoile: à suivre

Ugo,
Tu tiens debout, enfin à peu près
En tous cas, je peux te coucher
En pelote sur une feuille de papier
J’assemble des souvenirs sur un canevas
Rapièce des morceaux et je brode
Le long des lignes d’un cahier

Je t’ai planté une jambe en l’air
L’autre je la cherche sous terre
Si t’en as qu’une tant pis, tu l’auras bien cherché
Tes deux bras c’est fait

En tous points j’ai cousu des fils
Pour te manier à ma guise
Malgré tout tu t’échappes
Et tu es sans visage
Seul l’éclat des yeux
Des mois que je te cours après
Tu titilles mes nerfs

Me compulses en mille-feuilles
Chasse au papillon
Je te relègue
Berlingot calé sous mes dents
Mais à force d'écrire
Ici, là et partout
Entre les lignes et les mots
Je t'attrape par bribes
Saurai te circonscrire
Et Ugo tu verras
Qu'un jour c'est moi qui
Te prendrai tout entier dans mes bras
Aurai enfin raison de toi
Et enfin la raison avec moi

6 juin- Le martien et l'étoile (2)

Martial s’est transformé en lézard et n’est guère surpris. Le martien, lors de ses excursions sur Terre, mute, devient l’animal qui correspond à la fois le plus à sa personnalité et à la mission qu’il s’est assigné. Pour atteindre et convaincre le gnhomme qu’il cherche, il lui faudra se faire petit, se faufiler, tout en étant capable, en lui courant le long de l’échine ou de la main, de signaler sa présence.

Il est deux heures du matin, le périphérique est désert, pas une seule voiture entre les portes d’Italie et de Bercy, fermées à la circulation pour l’occasion. Martial lève les yeux vers le ciel et voit Rossinante s’éloigner. Il rit sous cape de lézard car, glanant des renseignements sur les gnhommes, il a appris qu’eux aussi voient, chaque soir, Rossinante dans le ciel, et croient qu’il s’agit de Pégase alors que, depuis belle lurette, Pégase, imbu de sa condition de cheval mythique avec des ailes, refuse de poser le moindre sabot sur la Terre ferme et d’y effectuer le moindre convoi interplanétaire.

Roule un œil à gauche, un autre à droite, Martial traverse à la vitesse de l’éclair. Le goudron chaud, vibrant encore des trépidations de la capitale, lui insuffle un flux d’énergie. Le lézard conserve en sa peau la chaleur recueillie ici ou là. Martial connaît précisément sa destination. Il y a des millions de gnhommes et des millions d’étoiles. Sans doute beaucoup de gnhommes sans étoile et d’étoiles sans branche. Mais l’étoile en question, celle qui a conclu avec Martial le pacte, parle français et sur sa branche se posaient le moineau et les notes de la capitale, Piaf et Montand.

Martial a donc focalisé toute son attention sur Paris. Scruté la cité, écouté ses rumeurs du bout de l’antenne: Martial a compris à quel point cette ville était propice à la perte de l’étoile, en un instant, mais aussi comment, au détour d’une rue, d’un regard ou dans les flots scintillants de la Seine, on pouvait retrouver l’étoile, en un même instant. Tendant l’antenne davantage encore, dans un mouvement périlleux physiquement -mais que ne ferait-on pas pour gagner un an de poussière d’étoile et, au-delà pour honorer un deal aux allures d’i-deal?-, Martial fit le tour des musiques. Un vrai brouhaha ; toutefois, entre Nouvelle Star et électro, reggae et refrains latins, variété et techno, chansons hamburgers et chamallow, il lui sembla remarquer qu’une rengaine se frayait un chemin, écoutée, réécoutée, passée en boucle.

Accentuant encore le mouvement périlleux de son antenne, Martial entendit soudain distinctement la voix de Brel, chaleureuse, irrésistible et résolue à en découdre avec les étoiles. « Punaise, s’était alors dit Martial, j’ai oublié la musique des ghnommes! », et, non sans se tirer ses cheveux de martien par les oreilles, il s’était précipité sur l’annuaire chanteursmusiciensetcompositeursdécédés.fr... mais pas de Brel, sans doute sur la liste bleue Méditerranée, souhaitant savourer tranquillement le parfum de l’éternité. Et voilà que Martial entendait l’inaccessible étoile, avec la fonction « répéter le morceau » cochée sur I-Tunes. A un endroit précis, un seul, dans une rue vers le marché d’Aligre. Et c’est là, à son débarquement sur Terre que Martial avait résolu de se rendre.

La suite peut-être demain, mais je sens que cette histoire du martien et de l’étoile part si ce n’est en vrille, car c'est une évidence, mais en eau de boudin

5 juin- Le martien et l'étoile (1)

Le long de l'autoroute des astres, un martien se promène, fait ses emplettes de poussières d'étoile pour assurer sa phosphoréscence de martien, lorsqu'il croise une étoile qui fait la gueule. Elle ne brille pas, traîne des branches, semble lasse.

-Dis-moi l'étoile, tu ne brilles ni ne chantes?
-Salut Martien. Non, je ne brille ni ne chante. Je ne peux plus, il me manque une branche.
Le martien regarde alors l'étoile de plus près et remarque qu'en effet, une branche fait défaut, sur laquelle d'ordinaire se perchent le merle siffleur et la luciole au pouls lumineux. Du bout de son doigt crochu de martien, il se gratte l'antenne d'un air sceptique:
-Mais où est ta branche? Tu l'as perdue un soir que tu rentrais imbibée d'alcool à brûler dans le ciel, ou on te l'a volée?
- Martien, tu ne connais donc rien aux contes des gnhommes, à leurs légendes fantasques qui nous obligent à bosser chaque soir et à nous organiser en constellations?
- Non, je ne connais pas les gnhommes, eux seuls m'imaginent alors que je n'existe pas.
- Ok, Martien, oublie les délires métaphysiques. Les gnhommes racontent que chaque fois que l'un d'eux cesse de rêver, une étoile perd une branche. Tu vois le truc?! Toi, t'es une étoile, t'essaies autant que possible de mener humblement ta petite existence d'étoile, à l'école tu gagnes tes branches et puis tu tentes de te tailler une place entre une planète et un nuage. Et en un coup de balai, tu perds une branche, ton éclat et tes chansons à cause d'un gnhomme que tu ne connais même pas et qui, sous prétexte qu'il a été licencié ou perdu sa gonzesse, oublie de rêver un soir.
- Bon l'étoile, voilà ce que je te propose: je t'aide à récupérer ta branche si tu m'assures de la poussière d'étoile pour l'année. Ca te va comme deal?

D’une branche restante, une vieille branche en somme, l’étoile tape dans l’antenne du martien et le pacte est conclu, mais sans le côté solennel de Faust et Marguerite. Avant d’entrer chez lui, le martien passe dans une librairie pour se procurer une bible, Voyage au bout de la nuit noire ou comment retrouver son étoile, publié chez Gallimartien. Le martien a pour lui une faculté étonnante à compulser les livres : il lui suffit de frôler le tome du bout de l’antenne et hop, les lettres s’envolent et enfilent l’antenne du martien qui les ingurgite. En une minute durant laquelle il éprouve l’ivresse du style et l’immensité du propos, le martien étoffe son histoire d’une nouvelle page. De fait, le martien, pour peu qu’il lise, est un individu fort épais.

Notre martien en question, appelons-le Martial, se connecte sur la toile pour consulter l’annuaire des auteurs morts : www.auteursdécédés.fr, et il entre en contact successivement avec Lucrèce, Hugo, Baudelaire, Eluard, Saint-Exupéry, et bien d’autres pour glaner des renseignements quant à la méthode pour relier une étoile à un ghnomme. Il tombe finalement sur Nerval et son âme de martien est ébranlée par « Ma seule étoile est morte, et mon luth constellé porte le soleil noir de la Mélancolie. Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé, rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie, la fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé, et la treille où le pampre à la rose s'allie. ». Le martien l’interroge et Nerval tente de lui conter la perte de l’étoile puis de la vie suspendue rue de la Vieille Lanterne, lorsque de lanterne, il n’en luit plus.

Au récit du poète, Martial s’imbibe de sa mélancolie et se sent soudain investi d’une mission. Au-delà de son intérêt personnel et du gain en poussière d’étoile, ses tentacules frémissent des frissons de la quête, le voici investi par une mission céleste de réunir un ghnomme et une étoile. Autour d’un verre de nectar de pluie, Nerval de sa main droite soutient l'univers fantasque et à fleur d'âme de sa tête, et lui explique comment trouver le ghnomme de l’étoile.

Le soir venu, Martial part et pour le voyage emprunte Rossinante. Cahin-caha, ils descendent la voie lactée et, à mesure du voyage, Martial rapetisse. Rossinante le laisse là, à l’orée de Paris, sur le périphérique.

Euh… la suite sans doute demain (oui, je sais, le suspense est insoutenable)

4 juin-Spaghetti

Un matin, l’image obsédante des fils (cf. blog du 27/03 ) s’estompe. Celle de la marionnette, du nerf du bras droit, du fil de l’existence ou tendu, lâche ou à couper avec quelqu’un pour qu’il devienne personne. Le fil détermine l’autre et la demi seconde infime ou d’une personne il devient personne, ou l’inverse. Lien si fragile que les ciseaux m’en tombent ! De fils, le monde s’en passe, l’image devient obsolète. Qui a encore du fil à coudre ? A retordre, d’accord, mais comment le verbe coudre peut-il perdurer ? A l’heure des échanges virtuels, les boutons existent encore comme autant d’anachronismes. Bref, pour moderniser l’image du fil sans dévider la bobine de sa substance, remplaçons le fil par un objet moderne : le spaghetti, association nettement suggérée par une scène de la Belle et le Clochard qui, pour peu qu’on analyse sa portée symbolique révèle le lien évident du spaghetti avec le fil.

La belle et le clochard s’embrassent et trouvent dans leur gamelle un spaghetti commun : deux existences se rencontrent sur un même fil, l’émotion nous gagne, il va falloir devenir équilibriste, et les voici tous deux avec un fil à la patte, au sens premier du terme car, pour rappel, la belle et le clochard sont des chiens avec des grandes oreilles. Ainsi donc, genèse de cette mutation du fil en spaghetti, un conte dont le message essentiel pourrait être le suivant : dans les expressions courantes, remplacez le mot fil par le spaghetti et vous verrez que la vie est nettement plus drôle et moins grave. Les chiens ne sont plus des chiens : au-delà de leur condition canine s’esquissent les âmes humaines et grâce au conte, la vie elle-même n’est plus chienne. Ce, en partie, grâce à l’introduction pensée et minutée (dix minutes pour un al dente) du spaghetti.

Exemple : rencontre entre deux amis d’enfance qui ne se sont pas vus depuis dix ans et qui ressuscitent leurs camarades d’antan, autour d’une succulente assiette de haricots sans spaghettis :
- Tu te souviens de Guillaume, eh bien, tu sais, il rame pas mal. Ah oui, oui, là, il ne tient plus qu’à un spaghetti.
- Ouais, ben faut dire que dès le départ, son histoire avec Nathalie était cousue de spaghetti blancs (comprenez que c’était cuit dès le départ, le spaghetti blanc, contrairement au jaune, ayant subi le processus de cuisson. On voit dès lors que, contrairement au fil, le spaghetti peut receler moult nuances qui permettent à l’image de gagner des facettes: il peut être cuit, semi-cuit ou cru, complet ou au blé dur, n° 5 ou 7 à la Chanel, spaghettini ou spaghettonni à la Barilla, cassé ou mou comme le chocolat).
- Et Hélène, tu te souviens d’Hélène ? Comment va-t-elle ?
- Bien, bien, elle a eu un spaghettini (petit spaghetti) l’année dernière.
- Ah bon ?! Bon, faudra que je lui passe un coup de spaghetti un de ces quatre.
- Tu sais, il lui mène la vie dure, un vrai gueulard, faut dire, tel père, tel spaghettoni (gros spaghetti) hein ! (oui, bon, celle-là, un peu facile).

Ainsi, le spaghetti remplace-t-il aisément le fil dans les expressions courantes de la langue comme dans son application concrète, à l’instar du spaghetti à couper le beurre : pourvu que le spaghetti soit solide, caractéristique également exigée pour le fil, l’opération est facilement réalisable. Voyons-le à présent entrer en action dans les images littéraires :
"Je vais vivre sur le spaghetti du rasoir et mourir sur le spaghetti de l’épée" oui, alors là, un peu d’imagination que diable ! appelons à la rescousse le poète et son rapprochement "d’une orange et d’une ficelle [à base de fils…, pas de farine], d’un mur et d’un regard". Car en y regardant de près, on se rase aussi peu ou mal avec un fil qu’avec un spaghetti ! Par ailleurs, il est bien plus pratique aujourd’hui de se promener dans la rue, un paquet de spaghetti en poche pour se défendre contre l’ennemi surgissant d’une nappe de brouillard au coin d’une ruelle, qu’une épée à la ceinture. Tiens, je vais te planter un spaghetti dans le cœur et tu feras moins le malin !
"Suivre le spaghetti de l’eau ou de la vie", ça passe toujours. Il suffit dans le premier cas de ne pas quitter le spaghetti des yeux lorsqu’il déambule dans la marmite d’eau bouillonnante. Dans le second cas, le spaghetti se fait métaphore de l’existence tendue entre deux points, à parcourir en funambule. Il est droit, tendu, granuleux de farine, peut rompre ou s’affaisser : cuit. D’ailleurs, ne dit-on pas de quelqu’un qui va mourir qu’il est cuit ? Alors le spaghetti se fait évidence.

"Ne pas perdre son spaghetti d’Ariane" : facile, suffit de savoir qu’Ariane offrit à Thésée, non une bobine pour sortir du labyrinthe, car Thésée, en vrai homme (ou l’inverse), n’avait nul besoin qu’une femme lui indique ni ne lui fraie son chemin. Ariane, en bonne femme qui se respecte, avait simplement veillé à ce que l’homme qu’elle chérissait ne manque pas de pitance, et lui avait préparé un bon plat de spaghetti pour tenir le coup dans sa quête. Ainsi, dès l’origine de l’humanité, homme et femme sont-ils à leur juste place, révélation rendue possible par la réhabilitation tardive du spaghetti. A l’aune de cette illumination, revoyez également Pénélope et son métier à tisser des spaghetti, pensant ramener au foyer Ulysse grâce à l’appel du ventre, lui qui résista à celui, similaire mais moins imagé, des Sirènes.

Il faut comprendre que le remplacement progressif du fil par le spaghetti adhère aux mutations économiques et sociales de ces dernières années. Davantage de spaghetti dans les foyers et dans les supermarchés que de fil ; des vies plus âpres peut-être, ce que révèlerait le « avoir du spaghetti à retordre », bien plus délicat qu’un fil pour ne pas le casser ! De même, l’expression « de spaghetti en aiguille » révèle à quel point, malgré la volonté et l’œil aiguisé, les choses sont si lentes qu’affleure la quête de l’impossible : passer un spaghetti dans un chas d’aiguille. Pour ce faire, conservez le spaghetti dont vous avez saisi la raison d’être et revoyez l’aiguille ou le chas (je peux pour dépanner, conseiller des contes utiles en la matière. Indice : le rouet)

Images et expressions sont foison et chaque fois le remplacement est aisé (sans jeu de mots), conférant sa force à l’image, insufflant un nouvel élan de modernité: rendez vous dans une administration quelconque et vous verrez que c’est nettement plus sympa de patienter dans un spaghetti d’attente que dans une vulgaire file. On peut également spaghetter (d’un endroit, dix euros à quelqu’un ou en étoile), ou consulter un détective privé pour lui confier une spaghetture. Il y a même des spaghettis rouges, à la carotte, et je crois que le spaghetti de soie ne saurait tarder à filer entre mes doigts. Evidemment, il faudra que NTM revoit ses paroles, mais il suffit d'angliciser, tout n'est pas si easy, tout tient à un spaghetti: et voilà, le tour est joué! Seul écueil et pas des moindres lorsqu’on vit à Paris: difficile de rapporter beaucoup de poisson dans UN spaghetti ou d’y attraper le moindre papillon : je vais réfléchir à la question.

Pour le reste, organe est l’anagramme d’orange, idem pour étoile et étiolé.
Dans éphéméride, il y a rides. Et mer. Et effet. Comme quoi la mer a de l’effet. Peut-être sur les rides ou sur l’éphémère.

1er juin- La clocharde du vendredi

Qu’est-ce que tu fous là juste le vendredi
Y aurait-il chaque jeudi
Une teuf de clodos dans le quartier
Accordéons percés et violons à trois cordes
Qui te jetterait ici dans les vapeurs de l’aube ?
T’as faim, je n’y peux rien
Te donner à bouffer et demain
Tu diras, c'est parfait j’ai bien mangé hier ?
Relève-toi, t’es pas une limace

Suintant de mansuétude
Aux pieds des autres, tu rampes la main tendue
Avec ton regard de chat pris en flag
Où sont ton père, ta mère et ton dernier amour ?
Tiens, un pain au lait, que faire de plus?

Ne touche pas ma main, elle n'est pas à toi
Tu n’es rien ni personne, quelqu’un t’a éventrée
Laissée-là; toi laisse-moi, rebrousse mes chemins
Ramasse ton sourire édenté, te casse pas la fierté, va
Et deviens folle au moins, qu’on puisse te pardonner
Tu connais Izzo, il a écrit sur toi, tu connais Izzo, il a écrit la mer?
Tu connais la mer ?
De douche t’en prendras pas, tu pues et c'est ton lot

Jeudi prochain laisse ta fête de clodos
Sur le bout de trottoir râpé, je t’apporterai une bouteille
Montepulciano d’Abruzzo
Les fruits âpres, prodigues et rocailleux

Bouquet de fleurs sur des montagnes qui hissent haut l’esprit
Derrière leurs flancs, je te conterai la mer
Et puisque tu ne la connais pas
Je te ferai un mezze, mer et océan, huile et tourments
Tu te videras la tête et la laissera s’emplir
Du rouleau de la vague qui vient lécher tes tempes
Ou de celle de la lame qui vient défier la roche

Larme lame lampe, une lettre et tout bascule
Sens-tu déjà les encoches de tes yeux se truffer
Du vert, du bleu, du violet mordorés

Et ton corps inspirer les courants du voyage ?
Le sable a la croûte du gâteau que tu aimais enfant
Sous le poids de tes mains flanche et craque
Combien de temps dis-moi
Que t’as pas fait craquer un homme ?
Pourtant je vois bien que tu fus belle

Tes yeux le disent encore
Va, dérive, la plage t'accueille

Allonge-toi et trouve l’adhésion au grain près
Alors tu vois, que tu fermes les yeux
Ou les gardes ouverts, partout y a que du bleu
Et dans le fracas des vagues, les alvéoles du sable
Dans l’écrémé d’écume, tu peux hurler ou murmurer
Et tout laisser partir vers de lointains rivages