5 juin- Le martien et l'étoile (1)

Le long de l'autoroute des astres, un martien se promène, fait ses emplettes de poussières d'étoile pour assurer sa phosphoréscence de martien, lorsqu'il croise une étoile qui fait la gueule. Elle ne brille pas, traîne des branches, semble lasse.

-Dis-moi l'étoile, tu ne brilles ni ne chantes?
-Salut Martien. Non, je ne brille ni ne chante. Je ne peux plus, il me manque une branche.
Le martien regarde alors l'étoile de plus près et remarque qu'en effet, une branche fait défaut, sur laquelle d'ordinaire se perchent le merle siffleur et la luciole au pouls lumineux. Du bout de son doigt crochu de martien, il se gratte l'antenne d'un air sceptique:
-Mais où est ta branche? Tu l'as perdue un soir que tu rentrais imbibée d'alcool à brûler dans le ciel, ou on te l'a volée?
- Martien, tu ne connais donc rien aux contes des gnhommes, à leurs légendes fantasques qui nous obligent à bosser chaque soir et à nous organiser en constellations?
- Non, je ne connais pas les gnhommes, eux seuls m'imaginent alors que je n'existe pas.
- Ok, Martien, oublie les délires métaphysiques. Les gnhommes racontent que chaque fois que l'un d'eux cesse de rêver, une étoile perd une branche. Tu vois le truc?! Toi, t'es une étoile, t'essaies autant que possible de mener humblement ta petite existence d'étoile, à l'école tu gagnes tes branches et puis tu tentes de te tailler une place entre une planète et un nuage. Et en un coup de balai, tu perds une branche, ton éclat et tes chansons à cause d'un gnhomme que tu ne connais même pas et qui, sous prétexte qu'il a été licencié ou perdu sa gonzesse, oublie de rêver un soir.
- Bon l'étoile, voilà ce que je te propose: je t'aide à récupérer ta branche si tu m'assures de la poussière d'étoile pour l'année. Ca te va comme deal?

D’une branche restante, une vieille branche en somme, l’étoile tape dans l’antenne du martien et le pacte est conclu, mais sans le côté solennel de Faust et Marguerite. Avant d’entrer chez lui, le martien passe dans une librairie pour se procurer une bible, Voyage au bout de la nuit noire ou comment retrouver son étoile, publié chez Gallimartien. Le martien a pour lui une faculté étonnante à compulser les livres : il lui suffit de frôler le tome du bout de l’antenne et hop, les lettres s’envolent et enfilent l’antenne du martien qui les ingurgite. En une minute durant laquelle il éprouve l’ivresse du style et l’immensité du propos, le martien étoffe son histoire d’une nouvelle page. De fait, le martien, pour peu qu’il lise, est un individu fort épais.

Notre martien en question, appelons-le Martial, se connecte sur la toile pour consulter l’annuaire des auteurs morts : www.auteursdécédés.fr, et il entre en contact successivement avec Lucrèce, Hugo, Baudelaire, Eluard, Saint-Exupéry, et bien d’autres pour glaner des renseignements quant à la méthode pour relier une étoile à un ghnomme. Il tombe finalement sur Nerval et son âme de martien est ébranlée par « Ma seule étoile est morte, et mon luth constellé porte le soleil noir de la Mélancolie. Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé, rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie, la fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé, et la treille où le pampre à la rose s'allie. ». Le martien l’interroge et Nerval tente de lui conter la perte de l’étoile puis de la vie suspendue rue de la Vieille Lanterne, lorsque de lanterne, il n’en luit plus.

Au récit du poète, Martial s’imbibe de sa mélancolie et se sent soudain investi d’une mission. Au-delà de son intérêt personnel et du gain en poussière d’étoile, ses tentacules frémissent des frissons de la quête, le voici investi par une mission céleste de réunir un ghnomme et une étoile. Autour d’un verre de nectar de pluie, Nerval de sa main droite soutient l'univers fantasque et à fleur d'âme de sa tête, et lui explique comment trouver le ghnomme de l’étoile.

Le soir venu, Martial part et pour le voyage emprunte Rossinante. Cahin-caha, ils descendent la voie lactée et, à mesure du voyage, Martial rapetisse. Rossinante le laisse là, à l’orée de Paris, sur le périphérique.

Euh… la suite sans doute demain (oui, je sais, le suspense est insoutenable)

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