4 juin-Spaghetti

Un matin, l’image obsédante des fils (cf. blog du 27/03 ) s’estompe. Celle de la marionnette, du nerf du bras droit, du fil de l’existence ou tendu, lâche ou à couper avec quelqu’un pour qu’il devienne personne. Le fil détermine l’autre et la demi seconde infime ou d’une personne il devient personne, ou l’inverse. Lien si fragile que les ciseaux m’en tombent ! De fils, le monde s’en passe, l’image devient obsolète. Qui a encore du fil à coudre ? A retordre, d’accord, mais comment le verbe coudre peut-il perdurer ? A l’heure des échanges virtuels, les boutons existent encore comme autant d’anachronismes. Bref, pour moderniser l’image du fil sans dévider la bobine de sa substance, remplaçons le fil par un objet moderne : le spaghetti, association nettement suggérée par une scène de la Belle et le Clochard qui, pour peu qu’on analyse sa portée symbolique révèle le lien évident du spaghetti avec le fil.

La belle et le clochard s’embrassent et trouvent dans leur gamelle un spaghetti commun : deux existences se rencontrent sur un même fil, l’émotion nous gagne, il va falloir devenir équilibriste, et les voici tous deux avec un fil à la patte, au sens premier du terme car, pour rappel, la belle et le clochard sont des chiens avec des grandes oreilles. Ainsi donc, genèse de cette mutation du fil en spaghetti, un conte dont le message essentiel pourrait être le suivant : dans les expressions courantes, remplacez le mot fil par le spaghetti et vous verrez que la vie est nettement plus drôle et moins grave. Les chiens ne sont plus des chiens : au-delà de leur condition canine s’esquissent les âmes humaines et grâce au conte, la vie elle-même n’est plus chienne. Ce, en partie, grâce à l’introduction pensée et minutée (dix minutes pour un al dente) du spaghetti.

Exemple : rencontre entre deux amis d’enfance qui ne se sont pas vus depuis dix ans et qui ressuscitent leurs camarades d’antan, autour d’une succulente assiette de haricots sans spaghettis :
- Tu te souviens de Guillaume, eh bien, tu sais, il rame pas mal. Ah oui, oui, là, il ne tient plus qu’à un spaghetti.
- Ouais, ben faut dire que dès le départ, son histoire avec Nathalie était cousue de spaghetti blancs (comprenez que c’était cuit dès le départ, le spaghetti blanc, contrairement au jaune, ayant subi le processus de cuisson. On voit dès lors que, contrairement au fil, le spaghetti peut receler moult nuances qui permettent à l’image de gagner des facettes: il peut être cuit, semi-cuit ou cru, complet ou au blé dur, n° 5 ou 7 à la Chanel, spaghettini ou spaghettonni à la Barilla, cassé ou mou comme le chocolat).
- Et Hélène, tu te souviens d’Hélène ? Comment va-t-elle ?
- Bien, bien, elle a eu un spaghettini (petit spaghetti) l’année dernière.
- Ah bon ?! Bon, faudra que je lui passe un coup de spaghetti un de ces quatre.
- Tu sais, il lui mène la vie dure, un vrai gueulard, faut dire, tel père, tel spaghettoni (gros spaghetti) hein ! (oui, bon, celle-là, un peu facile).

Ainsi, le spaghetti remplace-t-il aisément le fil dans les expressions courantes de la langue comme dans son application concrète, à l’instar du spaghetti à couper le beurre : pourvu que le spaghetti soit solide, caractéristique également exigée pour le fil, l’opération est facilement réalisable. Voyons-le à présent entrer en action dans les images littéraires :
"Je vais vivre sur le spaghetti du rasoir et mourir sur le spaghetti de l’épée" oui, alors là, un peu d’imagination que diable ! appelons à la rescousse le poète et son rapprochement "d’une orange et d’une ficelle [à base de fils…, pas de farine], d’un mur et d’un regard". Car en y regardant de près, on se rase aussi peu ou mal avec un fil qu’avec un spaghetti ! Par ailleurs, il est bien plus pratique aujourd’hui de se promener dans la rue, un paquet de spaghetti en poche pour se défendre contre l’ennemi surgissant d’une nappe de brouillard au coin d’une ruelle, qu’une épée à la ceinture. Tiens, je vais te planter un spaghetti dans le cœur et tu feras moins le malin !
"Suivre le spaghetti de l’eau ou de la vie", ça passe toujours. Il suffit dans le premier cas de ne pas quitter le spaghetti des yeux lorsqu’il déambule dans la marmite d’eau bouillonnante. Dans le second cas, le spaghetti se fait métaphore de l’existence tendue entre deux points, à parcourir en funambule. Il est droit, tendu, granuleux de farine, peut rompre ou s’affaisser : cuit. D’ailleurs, ne dit-on pas de quelqu’un qui va mourir qu’il est cuit ? Alors le spaghetti se fait évidence.

"Ne pas perdre son spaghetti d’Ariane" : facile, suffit de savoir qu’Ariane offrit à Thésée, non une bobine pour sortir du labyrinthe, car Thésée, en vrai homme (ou l’inverse), n’avait nul besoin qu’une femme lui indique ni ne lui fraie son chemin. Ariane, en bonne femme qui se respecte, avait simplement veillé à ce que l’homme qu’elle chérissait ne manque pas de pitance, et lui avait préparé un bon plat de spaghetti pour tenir le coup dans sa quête. Ainsi, dès l’origine de l’humanité, homme et femme sont-ils à leur juste place, révélation rendue possible par la réhabilitation tardive du spaghetti. A l’aune de cette illumination, revoyez également Pénélope et son métier à tisser des spaghetti, pensant ramener au foyer Ulysse grâce à l’appel du ventre, lui qui résista à celui, similaire mais moins imagé, des Sirènes.

Il faut comprendre que le remplacement progressif du fil par le spaghetti adhère aux mutations économiques et sociales de ces dernières années. Davantage de spaghetti dans les foyers et dans les supermarchés que de fil ; des vies plus âpres peut-être, ce que révèlerait le « avoir du spaghetti à retordre », bien plus délicat qu’un fil pour ne pas le casser ! De même, l’expression « de spaghetti en aiguille » révèle à quel point, malgré la volonté et l’œil aiguisé, les choses sont si lentes qu’affleure la quête de l’impossible : passer un spaghetti dans un chas d’aiguille. Pour ce faire, conservez le spaghetti dont vous avez saisi la raison d’être et revoyez l’aiguille ou le chas (je peux pour dépanner, conseiller des contes utiles en la matière. Indice : le rouet)

Images et expressions sont foison et chaque fois le remplacement est aisé (sans jeu de mots), conférant sa force à l’image, insufflant un nouvel élan de modernité: rendez vous dans une administration quelconque et vous verrez que c’est nettement plus sympa de patienter dans un spaghetti d’attente que dans une vulgaire file. On peut également spaghetter (d’un endroit, dix euros à quelqu’un ou en étoile), ou consulter un détective privé pour lui confier une spaghetture. Il y a même des spaghettis rouges, à la carotte, et je crois que le spaghetti de soie ne saurait tarder à filer entre mes doigts. Evidemment, il faudra que NTM revoit ses paroles, mais il suffit d'angliciser, tout n'est pas si easy, tout tient à un spaghetti: et voilà, le tour est joué! Seul écueil et pas des moindres lorsqu’on vit à Paris: difficile de rapporter beaucoup de poisson dans UN spaghetti ou d’y attraper le moindre papillon : je vais réfléchir à la question.

Pour le reste, organe est l’anagramme d’orange, idem pour étoile et étiolé.
Dans éphéméride, il y a rides. Et mer. Et effet. Comme quoi la mer a de l’effet. Peut-être sur les rides ou sur l’éphémère.

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