29 mai- Pause

Blog en grève
Récriminations:
" Ô blog, suspends ton vol ! et vous, heures longues,
Accélérez votre cours !
N'éternisez pas les languissants supplices
Des plus mornes de nos jours !"
Le mois de novembre arrive prématurément et coupe l'herbe sous la plume. Vu la météo hier: de retour lundi au plus tard> "Ca va?" "Moui, comme un lundi"
***

28 mai- Pour Nadège

T’en fais pas mon p’tit loup, il arrive, l’été aux doigts de fée. On oubliera ton chef si con qu’il n’existe pas et tous les boulangers.

A la terrasse du Centaure, on se posera, on regardera passer les garçons et on déblatèrera sur leurs chaussures de Jésus. On verra même Romain Duris faire du vélo et on dira, « hannnnnn, c’est Romain Duris ! ».

Quand le ciel rosira, le cri des hirondelles nous dira, c’est l’été, c’est léger ! Si tu veux, on ira voir Isa et on s’extasiera sur son alien-né, on le trouvera mignon à sourire aux étoiles et on glissera ses petits doigts dans nos menottes.

Aux abords du Canal, on fera du roller et je ne commettrai pas le moindre progrès afin de cumuler les gamelles qui font rire. On sera de vraies filles : on mangera des p’tites salades avec des p’tits légumes (tu manges plus tes frites ?), on regardera les photos des rugbymen que je rapporterai, on réfléchira plus que la lumière, car les psychana-lisses seront partis en vacances, ces fainéants, et on te trouvera un pantalon blanc.

Sur les quais animés, bariolés de couleurs, on marchera en musique avec Willy Jean, tu crâneras avec tes super lunettes de soleil violettes. On se transformera en limaces, et on s’aplatira sur ta nappe pour prendre des couleurs et des joues roses carotte. On pique-niquera et on mangera des pastèques, des pêches et du melon. A nos côtés, plus de fou qui plonge dans la Seine, mais des tas d’Anglais avec lesquels nous pourrons initier des conversations-débats sur des bases sérieuses maintenant que nous sommes allées à Londres.

Le 14 juillet, on ira au bal des pompiers pour rattraper celui, raté, de l’athlétisme et on contemplera le feu d’artifice(s), en émettant des « oh, la belle verte, oh la belle bleue, oh le beau pompier ! », et on rigolera comme mon chien de MSN.

En sauterelles, on ira rue Oberkampf, de Ménilmontant ou au bassin de la Villette. Et puis le week-end, pas plus d’une demi-heure chez soi : fenêtres ouvertes, musique à fond et oreilles au vent, direction la campagne ou la plage où on mettra le feu (au figuré hein !) à la maison de ton grand-père qu’est con. Dans le sable on se lovera comme sur un matelas, ses grains gommeront les peaux mortes et le reste, et on humera à plein nez l’odeur de la crème solaire comme celle des vacances. Si tu veux, on achètera même un tambourin et un youkoulélé pour faire la gigue.

A Paris, tu verras, l’été est sucré: ils sont tous partis en vacances ou assister aux vagues de mariages annuels. En scooter, on se ballade aisément, tu monteras dessus avec tes p’tites jupes et tu diras « mince, suis toute nue » et moi, j’aurai un super casque Momo-design pour nous assurer un look d’enfer. On prend l’air, on va à la piscine ouverte et, d’une manière ou d’une autre, les nuits sont courtes. Des concerts et des parcs, des sorbets et des restos, où on est si bien qu’on se dit à quatre reprises, « bon, on bouge ? ». On verra l’Olive qui t’appellera Na-dè-jeuhhh et te dire, « ah, Nadège, que tu as de belles dents… », ce qui me rappelle un conte ;-). A Marseille peut-être qu’on ira voir Izzo et il te murmurera à l’oreille « la douceur du soleil sur son visage. C’était bon. Je ne croyais qu’à ces instants de bonheur. Aux miettes de l’abondance. ». Là-bas, tu découvriras un autre bar rouge où il fait bon boire une bière ou une mauresque, et dégusteras le chausson à la brousse du Péano.

Bref, tout cela aura des airs d’une soirée légère et insouciante qui s’acheva au Poppin… t’en souviens-tu Mary ? J’en ris encore, c’est ton tour maintenant. Puis quand viendra la fin de l’été, sur la plaaaaaaaaaaaaaage, les parisiens regagneront leur quotidien, ton chef aura attrapé un coup de soleil si énorme sur le crâne qu’il aura explosé, et alors on … partira en vacances. Alors, Grèce ou Andalousie ? L’été est un concept, il peut durer longtemps. Et l’été, nous, on a besoin de personne, ni qu’on nous raisonne, pour le rencontrer un jour.

27 mai- La petite fille et son secret

Une petite fille ou une fille petite, un petit bout de femme en somme écrase de ses pieds menus, branches et brindilles. Le regard fixe, elle marche, l’esprit tendu vers un ailleurs. Le monde est vaste quand on est petit. Pas de colère, aucune émotion ne transpire et pourtant ses cheveux bruns s’ourlent de sueur. Pour tout bagage elle a les mains serrées, deux poings pour retenir larmes, rires et paroles. Elle enfile le boulevard des Invalides sur ses deux jambes. Le dôme ruisselant de lumière lui lance un rayon en clin d’œil. Marche petite fille, droit devant, et le boulevard se transformera en forêt. La croix dardée du Dieu des hommes t’indique le sentier, glisses-y tes petits pieds. Ne souris pas, ne pleure pas, impassible, traverse les frontières. Petit à petit les arbres se penchent, leurs branches se ramifient et les prairies étendent leur herbe grassouillette, où s’allonger pour dormir à jamais. Elle reviendra. Pour l’heure, la petite fille poursuit, ne regarde à droite ni à gauche. Sur ses oreilles, un filet d’ouate étouffe le murmure venimeux des arbres. Orties et buissons lui coupent le chemin mais elle semble voler comme une idée. On la regarde, les oiseaux ont le souffle coupé et la forêt s’enveloppe de silence. Figée. Taupes et lapins regagnent leurs terriers, l’écureuil en un saut flamboyant grimpe à un arbre qui lui dit viens, viens vite. La vipère s’efface en arabesques. La forêt rétracte griffes, épines et branches pour la laisser passer. De la fillette émane une volonté, autorité d’une reine. Dépassés les contes, elle sait que les animaux, les arbres ni les fleurs ne parlent, dis-moi la rose... Elle ne voit pas que dans son sillage perle la rosée en larmes au bout des tiges et la sève s'envole dans les veines des feuilles. A l’orée du bois s’ouvre la rue Fontaine, les mains de la petite fille se décrispent mais ne s’ouvrent pas. L’échine frissonne et elle enfile la rue Fontaine, écrémée de sucre, de souvenirs à venir. Souvenirs d’adultes qui ne sont pas pour les enfants. Ses pieds percent le goudron, retrouvent les pavés. Sa pupille se rétracte, elle aperçoit le djinn, en miettes d’argent forme un essaim. Au-dessus d’elle il plane, lui indique le chemin. La petite fille accélère le pas, au bout de la rue Fontaine, il n’y a plus rien. Un rocher surplombe la mer, c’est l’immensité, la fin et le début du voyage. Les lames violentes cinglent la roche. La petite fille pose son pied à l’endroit même où l’instant bascule vers l’infini. Elle attend. Le vent sèche ses cheveux. Au-dessus d’elle l’essaim la protège des embruns. Elle attend. Les flots redoublent de violence, grignotent la falaise qui descend. Descend. Ancrée, les pieds enracinés, la petite fille fixe l’horizon. Et le niveau de la terre rejoint celui de la mer. Alors la petite fille dessert les poings. Ses doigts fins parcourent sa poitrine d’enfant. Au creux de ses seins naissants, le long des palpitations de son cœur, elle attrape une clé à une chaîne attachée. La clé est minuscule, l’argent martelé d’inscriptions. La mer s’apaise, devient huile. Les algues se retirent et le sable ouvre les bras d’un matelas soyeux. La petite fille tend la clé ; une vague monte, en douceur, de sa langue blanche d’écume attrape la clé puis se retire. La petite fille plie les genoux, s’accroupit. Elle voit la clé reposer sur l’or du sable. La mer en une vague lui adresse un sourire rassurant. Voilà, tu l’as, je te l’ai dit, mon secret. Chaque fois que je viendrai, ta brise me le susurrera à l’oreille pour que je ne l’oublie pas. Et à présent, je peux devenir grande. L’essaim de miettes d’argent et de bonheur attrape la main de la petite fille et la conduit sur le chemin du retour.

26 mai- Crime

L’air exhale des relents de tristesse
Tout semble attiré par le centre de la terre
Les mentons des hommes et les feuilles des arbres
Des notes venimeuses décharnées d’espérance
S’écoulent dans les veines, répandent la misère
C’est la mélancolie, un flux d’indifférence
Eclats d’obus l’impatience forme ses caillots
Ailes et aimes sont plombées
L’histoire ne s’évente pas, se mâchonne
Mature, incube, se mord la queue
Alors un soir, l’âme blafarde d’alcool
Aplatie et pâlie par les conversations
On déverse sa bile comme un dernier soupir
Sans préméditation toi surtout pas toi
Contre un mur sans affiche on plante
Un couteau dans la gorge pour que les maux s'écoulent
Et le crime perpétré on peut enfin voler

25 mai- Pour Stéphane

Faut pas devenir vieux
On risque de devenir con
Et puis on décrépit
Dans une maison
Comme ils disent
Euphémisme
Antichambre mortuaire
Les cinglés
Les incontinents
Les handicapés
Ca sent la pisse
Le rance
Et les médicaments
On te parle comme à un enfant
Elle veut pas boire son verre d’eau ?
Allez, on va être gentille et se lever…
Je te foutrais des baffes
Et te poignarderais
Du haut de tes vingt ans
Tu veux m’apprendre la vie ?
J’en ai quatre-vingts
J’ai porté, enduré, donné, profité
Préparé des milliers de repas
Aimé des centaines de chansons
Quelques hommes, mes enfants
Des fleurs, des odeurs, la mer
Ecrit des poèmes
Tenté de partager
Changé des destinées
Mille-feuilles de tendresse
Maintenant je n’entends plus
Le cri de l’hirondelle
Je ne vois plus assez
Pour lire les histoires des autres
C’est ton tour à présent
Ecoute et regarde avec humilité
Ma mémoire en livre d’images
Et tu sauras
Que je peux encore rire
Me foutre de toi
Et puis de celle
Maîtresse du dernier mot
Et du mot dernier
Scandaleuse beauté
Mais brodeuse mal baisée
Me découpe de ses dagues rouillées
Je ne peux plus bouger
Me lever, me souvenir
On me torche le cul
On me donne la becquée
Une cuillère pour papa
Une autre pour maman
En plus faut dire merci
Et même s’il te plaît
Où sont passés mes gosses
Pourquoi m’ont-ils mise là ?
Posée sur un buffet comme une antiquité
Laissé loin d'eux pourrir leurs racines
Exsudant de détresse
Jusqu’au bout j’ai soigné
Chez moi
Mon père et puis ma mère
Leur ai tenu la main
Pour qu’ils partent tranquilles
Assurés rassurés
Je vous aime, je suis là
Juste retour des choses
Ou peut-être de bâton
Et moi je meurs ici
Sans ronronnement de chat
Dans l'odeur d'éther
D’être seule et légume
Comme si crever
N’était pas assez
Je ne suis pas malade
J’ai toute ma raison
Et c’est bien là le pire
Que pète un boulon à défaut d’une artère !
Et que dans mon sommeil
Baignée dans des songes
Pas même fanés ni décolorés
Bras d’honneur, de bonheur
Je m’endorme

24 mai 2007- Les fourmis

Il y a eu des fables, des films d’horreur, et des livres à succès (best-seller quoi) sur les fourmis. Des dessins animés également, dont un qui transforme l’insecte en fourmizzzz, pour simuler le cri martial dudit insecte. Car les fourmis crient. On les grossit pour faire peur et ça marche alors que nul besoin de grossir un être humain pour qu’il glace le sang. Et puis, grossissons une libellule ou une coccinelle, le résultat sera tout aussi effrayant. Enfant, on écrit fourmiE, tous les enfants écrivent fourmiE, affublent l’insecte d’un E comme systématiquement l’adverbe parmi se dote d’un S : parmiS. Je vis parmiS les fourmiEs. Enfant on ajoute un S à parmi parce que parmi c’est beaucoup, on donne un E à fourmi parce qu’elle apparaît immédiatement comme une entité féminine (la).

L’organisation sociale des fourmis est fascinante, fourmi des villes ou fourmi des champs, elles sont des millions à composer une colonie qui peut même devenir une supracolonie. Bref, je ne vais pas faire un exposé d’entomologie ni de sciences nat : ouvrez vos cahiers de textes ! pffff… en murmure unanime. Tutut, allez ! Pour mercredi, vous me ferez un exposé sur les fourmiEs…

J’aime regarder les fourmis courir en file indienne comme sur le long d’une corde. Si l’une se perd, elle est condamnée. Les fourmis me font penser à des Chinois : leur rythme de pattes a le saccadé de leur débit de paroles. Sur leur dos, elles portent des montagnes blanches qui tranchent avec le brun de leur petit corps. Et ça va vite, ça court, dépose, repart, l’allure ne faiblit pas. Lorsque je marche, je prends toujours garde aux fourmis et j’ai souvenir d’une colonie dans mon appartement que je ne voulais pas éradiquer. Pour s’endormir, regarder des fourmis est bien plus efficace (et plus pratique aussi à Paris) que de compter des moutons. Les fourmis sont travailleuses (contrairement à ces feignasses de cigales), infatigables et téméraires. Elles n’ont pas attendu Sarko pour se lever tôt, leur Reine les mène à la baguette (de tradition…).

Les fourmis sont organisées selon des règles sociales qui nous échappent parce qu’elles sont si petites qu’elles nous dépassent. La corde sur laquelle elles semblent marcher est peut-être l’artère d’une ville, un boulevard architecturalement orné de grains de sable en statues ou de miettes érigées en monuments. Si on observe attentivement les files de fourmis, on voit bien que leur trajectoire s’oriente autour de ronds points, de places, de ruelles, de rues et de boulevards. Alors voilà, le matin, la fourmi se lève et part turbiner. N’évoluant guère dans une société de loisirs (oui, avez-vous déjà vu un cinéma ou un complexe hôtelier chez les fourmis ?), elle bosse largement au-delà des 35 heures. La fourmi, en accord avec la nature, travaille tant que la lumière dure. Et là, intervient ma théorie : attention ! En fait, il y a deux théories.

Première théorie, la fourmi des villes, celle qui vit dans nos appartements, connaît un phénomène qui s’apparente à celui que nous expérimentons : pour nous le réchauffement de la planète, pour elles des jours et des nuits sans fin. En effet, auparavant, la fourmi des villes arpentait des ruelles sombres, aux pavés saillants et luisants de pluie, et trouvait refuge dans une mansarde parisienne éclairée à la bougie. Aujourd’hui, la lumière luit dans toutes les demeures, de jour comme de nuit et si nous, parce que nous sommes intelligents paraît-il, parvenons à conserver quelques repères, malgré la gangrène progressive des étoiles par les auréoles orange des réverbères, les fourmis, elles, sont paumées. Quand arrêter de travailler ? Quand reprendre ? Du coup, pendant la pause arbitraire, les fourmis discutent et se disent que y a plus de journées ni de nuit, pendant que nous meublons les conversations avec des y a plus de saisons. Or….si on y réfléchit bien, le plus de journée ni de nuit cultive un lien certain avec le plus de saison, tous deux étant inhérents à une dépense d’énergie : nous voici donc liés, quelque part, avec les fourmis. Comme chez nous, ce phénomène de disparition des frontières jour/nuit est surtout enduré par les fourmis de ville, les fourmis des champs bénéficiant encore de larges plages de ciel piqueté d’étoile. Cependant, les fourmis des champs encourent le danger fatal de se trouver face à un rocher énorme, noir et humide, nommé museau de chat, péril plus rare pour la fourmi des villes. Mais c’est une autre histoire, revenons à la fourmi des villes, au sujet de laquelle j’ai développé une autre théorie, tout aussi thermique.

Donc, la fourmi harassée, finit malgré tout par rentrer chez elle. La Reine, devant l’effacement des limites temporelles a pris la mesure suivante : travaillez jusqu’à l’épuisement et puis rentrez. La fourmi, épuisée, regagne son logis. Là, elle se lave, car la fourmi est très propre et ne cesse de s’enduire de molécules bactéricides. Ensuite, désinfectée, elle met ses quatre pattes sous une immense table en feuille de chêne et se régale de pucerons, d’une chenille qui fera plusieurs jours ou d’autres trucs que je ne citerai pas, car la fonction première de la fourmi, écologiquement parlant, est de faire disparaître les cadavres… En fait, la fourmi ferait un formidable personnage de polar, je la vois bien, la pipe au bec, le feutre cloué entre les deux antennes, déambuler sur les ponts glacés par la nuit. Mais non, la fourmi est crevée et ne va pas, en plus de longues journées, passer des nuits qui n’existent plus à élucider des crimes. La fourmi dîne et prend des nouvelles du monde : sur une toile d’araignée au fond de la maison, bâtie dans le recoin d’un meuble Ikéa, elle voit la Reine se projeter chaque soir, qui leur annonce la météo du lendemain. La Reine est belle, elle est fière, entre ses deux antennes, elle a un collier chatoyant de poussière de perlimpinpin.

Pendant que ses colonies assurent la survie du pays, la Reine prépare le lendemain, elle prend la température. Elle est météorologue, vit demain aujourd’hui, en dehors des temps, l’ovale de son visage ne s’altère pas. Lovée dans son fauteuil coque de châtaigne, la Reine interroge une boule de suif pour regarder le monde des hommes. Elle discerne alors des tensions dans le couple qui dirige la planète, ou des disputes à venir entre les enfants et elle anticipe. Pour vérifier ses prévisions, elle parle aux papillons qu’elle envoie survoler tout cela. Le papillon se pose sur les épaules, les mains ou les chevelures des gens, tend ses antennes au maximum et, au creux de ses ailes, recueille des paroles qu’il rapporte à la Reine. Le soir, la Reine s’adresse à la population et prévient, lance l’alerte rouge. Pluie diluvienne parce que ça va cracher et postillonner, risque de foudre en éclats d’assiette et grand danger d’avalanche de montagnes, nounours, Barbie ou camion. C’est la panique, mais faut y aller. Les fourmis tremblent mais elles sont courageuses. Il faut assurer la pérennité du royaume, car d’émigration il n’est point question, en se faisant remarquer le moins possible par les hommes maîtres de l’univers, détenteurs depuis quelques années de l’arme chimique. Assumer de fait leurs humeurs assassines. Se gorger des temps d’accalmie, bonheur tranquille des bipèdes ou départ en vacances. Autant dire donc que, chez les fourmis, il y encore, toujours, beaucoup, voire trop… de saisons.

23 mai 2007- Le droit de

Un pétale délicat et sincère dans le sentiment amoureux, qu’il soit éphémère, hors du couple, pour un jour ou dix mille, qu’importe pourvu qu’il existe en essence, c’est le droit. Lorsque je vois qu’il lui prend la main ou lui caresse la joue, je me dis qu’elle lui donne ce droit. Ce droit de la toucher, effleurer pour faire affleurer l'émoi, un droit qui s’acquiert puis s’étend petit à petit mais pas forcément. Ce droit, il le lui rend et l’étend, petit à petit mais pas forcément. Un droit jamais acquis qui semble d’autant plus précieux et fragile dans cette ville où, dans les rues, le métro, au cinéma ou dans les bars, on se trouve les uns contre les autres, comprimé dans un contact physique violent parce qu’il abolit les frontières de l’espace intime.

L’amour se joue sous mes yeux, loin des nuits et des lits, dans la rue, sur un banc dans un restaurant lorsqu’il ou elle donne à l’autre la possibilité d’entrer dans la sphère spatiale de l’intimité ; en lui octroyant ce droit, il ou elle transforme l’autre en une personne extraordinaire. Là se trouve le basculement dans l’émotion, lorsque de personne on devient le fameux quelqu’un, lorsque d’ordinaire on devient extraordinaire. Ce n’est que lorsqu’on vient de gagner ou de perdre ce droit qu’on prend conscience de sa valeur, de sa chance révolue et du fait que, dans un geste si simple qu’il est devenu anodin et routinier, tient l’image de nous qui nous tenait debout et nous lestait.
Des sourires, de l’indicible, des actes et des gestes, beaucoup de maladresse, deux mains qui se rencontrent comme deux humanités asexuées, se cherchent jusqu’à l’enlacement: voilà tout, et une phrase d’André Breton qui hante « deux mains qui se trouvent c’est assez pour le toit de demain».

22 mai 2007- Londres

Cette semaine était sans lundi car I went, I have gone, I gone, je ne sais pas vraiment en fait, mais je suis allée donc j’étais et fus à Londres. With my wonderful copine Nadège : une fois n’est pas coutume, j’écris donc ce blog pour deux, donc à quatre mains.

Ce qu’il y a de bien à Londres, c’est qu’il y a la chaîne Paul. Autant ils font de l’ombre au boulanger, au vrai boulanger français, autant c’est un bonheur de manger du pain et des viennoiseries corrects à Londres. Voilà, que ce soit dit, le pain des Anglais est une infamie. Anecdote : lorsque j’ai demandé a croissant with butter, ils m’ont donné un croissant et un pot de beurre.

Ce qu’il y a de bien à Londres, ce sont les bus. Ils sont rouges, avec des étages, nous n’avons cessé de courir après et de nous faire refouler parce que le chauffeur n’avait jamais de monnaie. Le troisième jour, nous apprîmes enfin mais trop tard qu’il existait un ticket valable pour la journée qu’on pouvait acheter en dehors du bus. Notre bus préféré : le 14 qui nous déposait devant la maison.

Ce qu’il y a de bien à Londres ce sont les personnages de Tim Burton dans toutes les boutiques, imprimés sur les T-shirts. Plein de magasins de jouets de mauvais goût aussi : un régal (le seul). A Londres, on peut croiser tout un tas d’individus louches, type panthère rose ou chien déjanté, détective à casquette ou espion de la reine. Dans cette ville, nous nous perdîmes beaucoup et marchâmes allègrement sans que personne ne nous propose jamais de drogue.

Ce qu’il y a de bien à Londres, ce sont ses parcs, Hide Park encerclé par une longue piste pour galoper à cheval, des prairies étalées, plein de moments de répit pour nos petits pieds endoloris. Nadège essaya beaucoup de lunettes et moult chaussures, tandis que j’adoptais Willy. Willy est un concept que je ferai découvrir aux plus chanceux d’entre vous.

Ce qui n’est pas bien à Londres, c’est que tout se fait dans le mauvais sens. Nous faillîmes mourir de nombreuses fois, regardant à gauche puis à droite pour traverser lorsqu’il faut faire le contraire. La circulation mit nos nerfs à rude épreuve et vint s’ajouter à l’acrimonie des chauffeurs de bus. Nous remarquâmes que seuls les chauffeurs noirs ou métisses faisaient preuve d’une once de compassion à notre égard, ce qui est d’ailleurs tout aussi valable à Paris.

A Londres il y a des ponts et un fleuve, des avions qui volent à très basse altitude et que je ne cessais de photographier pour devenir millionnaire en livres si l’un d’eux explosait. Beaucoup de rouge, façades en briques, cabines téléphoniques, joues anglaises et… bus. Il y a des monuments en coulées de cire qui sont discosting et des matelas gonflables qui se dégonflent pendant la nuit. Des sens interdits lumineux aux bandes blanches plus longues parce que c’est très interdit comme un flambeau dans la nuit, mais il y a peu de policiers… Les Anglais aiment les fenêtres en guillotine et le plastique : chaussures en plastique, bouffe en plastique, fringues en plastique punks et goths à Camden. A 23 heures, après le thé ou le café au lait qui clôt logiquement un délicieux dîner, hop tout le monde au lit lorsqu’à Paris la soirée commence… Et pour que vous sentiez bien à quel point la nuit peut être loooooooongue, lorsque la brume monte de la Tamise, et pour que vous compreniez bien comment les Anglais sont parvenus à extirper des langueurs nocturnes humour noir et personnages fantasques, on vous enlève une heure à l’arrivée. Enlevez votre veste, vos chaussures et votre ceinture, on détrousse la trousse de toilette de tous les produits de plus de 100 ml, merci, allez hop, on vous enlève une heure pour finir.

A Londres, il y a des panneaux indicateurs mouvants tenus pas des mains qui font des doigts pas de pieds, des oies agressives et bavardes, des hamburgers au goût d’Happy Days, des mecs des vrais qui savent ce qu’est une pinte et qui la tiennent dans tous les sens du terme. Il y a aussi des livres, des shillings, des pence, des sterling et des pound, des miles, on ne fait pas trop la différence, tout est trop grand pour nous, voilà tout. Et je ne parlerai pas des prises ni des claviers anglais…

A Londres, il n’y a pas de déjections canines sur les trottoirs, pas un seul chat, pas de senteurs sauf celle du tilleul dans les parcs, pas d’odeurs ni dans les rues ni dans les assiettes. La folie débridée londonienne est ailleurs : dans les imprimés en veux-tu en voilà, j’ai le tournis, têtes de morts et cerises, bariolés de couleurs, farandole de couronnes : le vichy, on remballe.

Mais à Londres, il y a des Anglais et ils sont beaux. Leur charme cinglant se révèle à l’aune d’un sourire ou d’un regard pesé voire pensé et il perce. L’Anglais est, à l'image de Willy, un concept, au premier abord façade terne, le visage change comme une lumière et l’aura du même coup. Ils s’habillent avec classe, mariant couleurs, formes et matières, les hommes du moins, parce que pour les femmes on repassera. Ils ont aussi pour eux une langue majestueuse, élégante : une gamine de quatre ans qui parle anglais me fait l’effet d’une dame ou d’une petite princesse après que j’ai évacué le réflexe ridicule du "elle n’a que quatre ans, mais comment fait-elle pour parler déjà si bien l’anglais ?!" Du coup, le moindre Anglais, fusse-t-il laid, ouvre la bouche et je suis en pamoison. Seul hic : des Anglais, il y a en plus à Paris durant l’année qu’à Londres pendant le week-end de l’Ascension où les Français déferlent en marée humaine.

Résultat de l’escapade : Nadège a des lunettes et Londres, moderne, rococo, gothique, néogothique, victorienne, entre blanc, gris et rouge, lui fait l’effet d’un pudding qui lui reste sur l’estomac, à l’instar des fêtes de fin d’année dans sa famille : chargées et dures à digérer.

Quant à moi, j’ai Willy. Londres c’est chouette et même parfois joli. La vie n’y est pas si différente qu’à Paris. Mais Paris est plus belle, secrète, élégante et disparate; : seuls manquent les Anglais et la mer, mais c’est une autre histoire.
A venir, pour illustrer et étayer nos propos, quelques photos sur myspace.

17 mai 2007- Parfois une seconde alerte

Parfois une seconde alerte
Comme un poing dans la gueule
On a tout nettoyé
Dans la cuisine on range
Le dernier ustensile
Mais d’un geste maladroit on fait tomber
La bouteille d’huile d’olive
Elle se casse, se répand
Et on reste bras ballants
Le monde s’écroule
Le corps se crispe
Les mains tremblent
Et on se dit, j’ai cassé la bouteille
Celle qu’on jette à la mer
Il faut appeler quelqu’un et dire
J’ai cassé la bouteille
Allô, c’est moi, j’ai cassé la bouteille
Que faire, comment ?
Debout les pieds dans l’huile
C’est la consternation
L’incapacité à bouger
Sous le choc qui murmure
Quelque chose, quelque part, quelqu’un
Ne va pas
Fatigue et mots tus
S’écoulent comme l’huile
La flaque jaune devient un
C’est plus possible comme ça
Forcément on finit par éponger
Par ramasser et rincer
Parce qu’on n’a pas le choix
Parce qu’il en est ainsi
Eponger, ramasser, rincer
C’est toute une vie
Et on pense c’est pas grave
Mais ça l’est
Car cette seconde demeure
Ancrée dans le manuscrit
Comme l’empreinte vide
D’une solitude violente
Qui transforme la bouteille
En condition humaine

16 mai 2007- La recherche d'appartement

La recherche d’appartement, du temps perdu...
J’aime mon colocataire, la vie avec lui est drôle, simple et gastronomiquement intéressante. Nous nous complétons jusque dans nos conneries et lorsque l’un de nous s’absente, il manque. Seulement voilà, dans mon esprit germe depuis quelques mois l’envie d’un chez moi pour moi toute seule. Je me mis donc en quête et débutai ma recherche par les offres des particuliers

Première étape : le dossier
Oui, car il faut un dossier, ce n’est pas un scoop. Très scolaire, je le préparai donc soigneusement, avant de passer le moindre coup de fil. Lorsque je l’estimai prêt, j’appelai les futurs heureux propriétaires de m’avoir comme locataire. Je fis rapidement le constat qu’à la publication de leur annonce, lesdits propriétaires se retrouvaient soudain avec des bataillons de moineaux juchés sur leur ligne téléphonique. Occupé. Occupé. Recommencer. Recommencer, pour obtenir finalement, alors qu’on n’y croyait plus un « Allôôôô… » « Oui, alors je ne vais pas être très originale, mais je vous appelle à propos de l’appartement que vous louez. » Alors là, deux réponses possibles : « il est déjà loué ». Quoi ?! Mais comment cela se fait-ce? (ça je l’écris mais ne le dis point pour ne pas offusquer mon interlocuteur). L’annonce est passée il y a deux heures ! Ou, plus couramment, interrogatoire en règle puis demande des pièces du dossier. Voici les pièces à conviction requises… carte d’identité recto-verso, livret de famille, RIB, les trois dernières quittances de loyer, une facture EDF, la photocopie des diplômes, les trois dernières feuilles de salaire, une attestation de l’employeur, le dernier avis d’imposition, la même chose pour la caution plus la taxe foncière et la taxe d’habitation. Là, c’est le coup de massue, je m’attends à ce que la liste s’allonge, test HIV, radio des poumons, attestations des ex comme quoi je suis une fille propre… J’ai donc failli éclater de rire (je ne l’ai pas fait car l’appart était bien) au nez d’une proprio qui, trois semaines plus tard, me demanda si je comptais louer seule et qui ajouta dans la foulée, « non, mais attention, votre vie privée ne me regarde pas… ». Bien, il faut donc compléter le dossier et, pour ce faire, ameuter illico toutes les parties prenantes, banque, parents, patron. Comme ça, c’est bien, tout le monde est au courant, jusqu’au chargé du courrier, que je cherche un appartement parce que mon colocataire est un tortionnaire (car, du 4e étage au RDC, les informations s’altèrent).

Seconde étape : la visite
Ca y’est, entre mails, courriers, fax et scans, le dossier est bouclé et, sur les conseils de l’Olive je l’ai même relié, si bien qu’il se trouve plus épais que mon mémoire de DEA ! Suis enfin une prétendante digne de ce nom et je peux donc décrocher mon téléphone. Préalablement, je me rends sur internet, entre mes critères de recherche et… « trois annonces correspondent à votre requête ». Suis pas rendue… « Oui, bonjour, j’appelle pour l’appartement… » « Oui, alors je vais organiser les visites, je prends votre téléphone, d’accord… votre nom ». Et là, ça coince, comme c’est bizarre, je sens que cette propriétaire ne me rappellera jamais. Peut-être devrais-je oublier mon nom de jeune fille? Bien,non, suivant. «Déjà loué ». « Vous gagnez quatre fois le montant net du loyer ? », « Vous fumez ? », « Vous avez des animaux ? », « Vous êtes mariée, mais où est votre mari ? », « Vous avez quel âge ? 29 ans ? Et vous êtes seule ? (haussement de sourcil)… ah non, mais moi je ne veux pas louer à quelqu’un qui partira au bout de quelques mois parce qu’elle aura trouvé un mari…». Bref, des entretiens de motivation en somme qui me rappellent la chanson d’Akhénaton, « vous avez oublié de donner la feuille jaune, vous n’avez pas donné la bonne adresse de votre employeur, vous n'avez pas la jambe gauche bleue, vous n'avez pas le droit à l'indemnité, et vous avez la couille droite plus lourde…. ». Après moult visites fixées et annulées au dernier moment par les propriétaires, j’obtiens ma première visite près de deux semaines après avoir bouclé mon dossier. Les particuliers, j’ai laissé tomber et je passe par une agence. J’entre dans l’appartement et je sais immédiatement que ça ne va pas être possible. Un petit appartement dans lequel l’entrée, d’emblée, fait à peu près 7m2 sans qu’on puisse rien en faire, pas même poser un placard ! A compter de ce moment là, je comprends qu’il me faut cumuler le plus de visites possible en ayant posé le plus possible de questions préalables au téléphone pour ne pas perdre mon temps. Parmi ces questions préalables, ne pas oublier des « est-ce qu’il y a une fenêtre ? » ou « y’a-t-il une salle de bains ? ». Entre 12 et 14h et en sortant du boulot, je sillonne Paris sur ma monture d’acier, découvrant rues, avenues et ruelles et beaucoup de halls d’immeubles ou de cours. Des appartements pourris et surtout des attentes interminables. A trois reprises, nous sommes une quarantaine à attendre dans les escaliers. Que des trentenaires célibataires dis donc ! Les visites d’appartements (studio & F2 évidemment), dites-le vous bien, ça vaut tous les sites de rencontres ou speed dating, et en plus c’est gratuit !

Une fois que mon tour arrive, je me dis que, évidemment, même si l’appart est bien, il n’y a aucune raison, mais alors aucune, pour que je sois l’heureuse élue. Pensée a priori d’une logique implacable puisqu’elle se vérifie chaque fois. D’un jour sur l’autre parfois, on retrouve les mêmes prétendants et des liens se tissent : dans les escaliers on déballe nos expériences et des numéros s’échangent pour envisager la colocation. Moi, je ne parle plus à personne depuis que l’Olive m’a dit que je parle comme Marje Simpson et je commence à me dire que je ne vais m’en sortir que par le réseau, par la nébuleuse. J’évoque donc ma recherche à tous ceux qui savent déjà que je m’exprime comme Marj Simpson. A cette annonce, deux réponses classiques : le « mince, c’est trop con y’a trois semaines machin a quitté son appart qu’était vraiment trop top ! », ok, merci, ou bien le « ah ben y a bidule qui va peut-être partir si ceci ou cela et à condition que », ok, on se tient au courant.

Entre temps, vint l’avènement du p’tit Nicolas et la gangrène progressive de Paris par la police : en bus, en rollers, en vélo, en voiture, en-busqués, à pieds, en moto, les flics sont partout ; leur présence génère des bouchons monstres et épuise mes dernières velléités pour parcourir la capitale en quête de l’inaccessible étoile. Je commençai à envisager la signature d’un bail pour la location d’une concession dans n’importe quel cimetière parisien pourvu qu’il soit rive droite, ou encore de m’endetter pour m’acheter un box de parking. De son côté, mon colocataire me voyait m’agiter et m’énerver dans tous les sens, et toutes ses réflexions allaient dans le sens de on est bien tous les deux là et on va le rester. Pendant ce temps là, à mon boulot, on me suggérait vivement de faire appel à M6 qui, paraît-il a une émission qui trouve des appartements aux cas désespérés.

La signature du bail
Un matin, je me réveille (ce qui est déjà énorme) et je suis soulagée. Dans la nuit, j’ai décidé que stop, c’était fini. Faire les choses à moitié, ce n’est pas mon truc, alors chercher pour ne pas trouver eh bien autant ne plus chercher. Ca va mieux, je me sens mieux. Je me dis tout de même que je vais honorer la visite prévue pour le soir même. Le soir, je me rends donc au rendez-vous fixé par une agence immobilière et c’est là que je rencontre… Matthieu de Century 21. Il me fait visiter l’appartement, je lui dis, il est trop cher, il est trop petit mais d’accord. Et je lui confie mon désespoir, mes « je m’en fiche, je m’en fous, je n’en puis plus, la coupe est pleine, je suis perdue, laisse-moi tranquille ». Là, devant tant de désespérance, Matthieu prononça une formule incantatoire : « n’ayez crainte, Century 21 va vous réconcilier avec la location ». Depuis, j’ai placé mon avenir entre les mains de Matthieu. Il y a quelques jours, lui et moi avons bien failli réussir. Matthieu m’appelle avec un « c’est moi ( !!!), j’ai trouvé ton appartement, la surface que tu veux, là où tu veux, un petit peu plus cher mais… ». Je dis « ok, Matthieu, t’as mon dossier, soumet-le au propriétaire, dès que je peux visiter, tu m’appelles. ». Matthieu de Century 21 me rappelle pour me dire que mon dossier satisfait le propriétaire, ce qui est déjà une première, et que nous pouvons aller visiter le lendemain. Alors là, je me dis, ça y’est, j’y suis, tout ça… Mais, car évidemment il y a un mais, le lendemain qui était hier, Matthieu me rappelle et me dit que, finalement, le propriétaire n’est plus sûr de vouloir louer car sa petite fille pourrait venir à Paris, et qu’il prendra sa décision mi-juin. Alors voilà, je suis toujours coincée avec un Afghan dans le 13e arrondissement, et je n’ai que deux choses à dire : à mort les petites filles et… vivement la canicule ! Alors le temps du bail viendra.

Sinon, on est mercredi MAIS, une fois n’est pas coutume, c’est le week-end: si vous ne savez pas quoi faire, n'oubliez pas la teuf du pain sur le parvis de ND :-)

12 mai 2007- Pour Majdi

Cela fait huit ans maintenant et pourtant je ne suis retournée qu’il y a peu boulevard Mortier. Je n’ai rien ressenti, demeurée de glace comme à l’annonce de la disparition. Seule la culpabilité m’étreignait de ne pas pleurer.

Boulevard Mortier, Majdi m’attend chaque matin pour aller au collège. On se tient par la main ou bras dessus dessous. Majdi, tu es ma première clope, l'amitié incandescente, lorsqu'il n’y a rien à expliquer ni à justifier; juste vivre, prendre et donner. On parle des garçons, des filles, de tes frères, de ma sœur, des profs et des parents. Quand dans les boums, les autres amorcent leurs premiers baisers lingués, toi et moi, sur le balcon ou dans la cuisine, on se moque, on se marre mais c'est parce qu'on est jaloux. Même aujourd’hui, avec le recul, je ne trouve pas stupides nos éclats de rire et j’ai toujours les photos de notre complicité. Et je me souviens aussi de la première fois où je tombais amoureuse et de ta peur de me voir m’éloigner.

Ensemble tout le temps toujours. A quelques ruelles ou quelques mètres de plage, tes étés et les miens à Sousse, nos images à la rentrée, la joie de nous retrouver. Le théâtre. On grandit ensemble, ensemble nous restons. Des conneries à n’en pas finir de les échafauder avant d’en rire. Jamais je n’ai revu de rire aussi blanc et large que le tien. Tes campagnes et tractations en début d’année pour que je sois élue déléguée. Tu me défends et je te le rends bien. Je te file les anti-colles, te souffle toutes les réponses et t’écris tes rédactions. Dans la cour du collège un jour je me bats et toi, tu arrives, tu ne nous sépares pas: non; tu ne sais pas pourquoi, on verra après, mais pour l’heure tu le frappes aussi. Je n’ai pas de copine, clandestinement dans les toilettes des filles, c’est toi qui me « tient la porte ».

Toi et moi, les autres aussi, mais toi et moi surtout, à Paris, à Munich, à Berlin, à Rome. En bateau, en train, en car, dans le métro, ta main sur mon épaule. Sur les feuilles de papier de mon album souvenirs, il en est un pur nectar. Un soir de juin sur la terrasse d’un couvent, tout le monde est parti et il ne reste que nous. Nous savons que nous n’irons pas au lycée ensemble parce que je pars dans quelques jours. Il y a le soleil qui rougeoie et nous dominons Rome ; la brise se lève, effleure du linge qui sèche. Carte postale d'Épinal. Des cris d’hirondelles, un poste de radio passe Joe Cocker, Many Rivers to cross… Je sais que ces quelques minutes où tout parlait pour nous, la tristesse et la peur, mais aussi la force du lien avec des mots d’ados, tu les as gardées. Dans ces tournants où l’identité se forge, je les sens pierres fondatrices, compréhension que l'essentiel est indicible. Je pourrais m’épiler les poils des bras que la résurgence de l’instant les dressera malgré tout jusqu’aux cheveux. Aujourd’hui, j’ai l’image dans la tête et l’hirondelle au bout de la plume.

Majdi, tu débordes d’une générosité rare, flux vital. Tes yeux pétillent de malice, en une seconde ton visage s’illumine. Qu’est-ce qui nous unit ? L'intégrité vécue naturellement ados puis, plus tard, chaotiquement, morfler pour rester ancré à un centre de gravité que personne ne voit. Une sorte d’appétence et d’énergie, un goût pour l’essentiel que je n’ai retrouvé que bien plus tard, en Nora. Toi et moi sommes depuis des années, les seuls enfants, un mythomane mis à part, d’origine maghrébine de la classe : peut-être marchons-nous tous deux dans un pays que nous seuls connaissons, si bien que nous n’avons pas à en définir les limites. Plutôt d'un pays chimérique qui, parce que nous ne le comprendrons ni ne le prendrons jamais, est sans frontières. Même lorsque je suis partie, toi seul es resté, m’as écrit, n’as pas lâché.

A tes côtés et aux côtés de Frédéric, parti comme moi, jamais je n’avais connu la solitude. Dès l’instant où j’ai quitté l’asphalte pour le pré, elle ne m’a pas quittée et j’ai grandi d’un coup d’un seul. C’est moi qui t’ai lâché, la distance, le temps, les gens, puis je suis revenue. Je me suis dit, tu es là à présent et tu as le temps. Je me suis laissée dix jours avant de vous retrouver tous; vous étiez restés liés. Dix jours pour t’appeler, mais finalement, le neuvième jour on m’a appelée. Et merde ! T’as tout balancé, jeté contre le bitume mon enfance et mon adolescence. Tu t’es projeté dans l’avenir, connerie d'expression, collision d’un corps sur une surface lisse à mourir. Ton corps démantibulé a disloqué le groupe. Ils ne peuvent même plus se regarder tant le pourquoi? les obsède: un pourquoi aussi ridicule et vain qu'une raison d'être en vie. Ils m’ont interpellée pour te reconstituer avec des bribes de souvenirs. Je n’étais plus là depuis des années et je n’ai pas refait surface, parce que revenir en arrière et ressusciter les membres efflanqués du passé, c’est inutile. Avec toi, en une vague, partis tous mes amis d’enfance et quinze ans balayés par la lame.

J'ai juste dit Majdi est mort, et puis je me suis tue. A qui dire quoi? Parce qu'on vit tous des épisodes douloureux, ce n'est pas grave, on est plusieurs et ça rassure. J'ai repassé les deux années de séparation pour me convaincre que nous avions changé, que nous ne nous étions pas revus et que, finalement, nous étions déjà morts l'un pour l'autre. Je t'ai rangé et tout le reste avec comme un manteau à la fin de l'hiver. C'est con. Mais voilà, à présent, je vois ta jambe franchir la balustrade et ton corps tomber. C’est pas ta faute, ni la mienne, c’est forcément la faute au bon Dieu. Et aucun si. Si je, si tu, si il... non. C’est comme ça, gosse tu ne choisis pas la fin du conte. Tes yeux hagards se vident de leur substance. Les dents de ton sourire se fracassent à terre, là, exactement là, où durant des années, on se retrouvait. Ta mère m’a demandée mais rien de la suite ne me concernait. Tu as choisi de couper le fil net; respecter ta décision c'est stop, fin, plus rien. En Tunisie, tu es enterré dans la ville de mon père, en famille en somme. Et ça y'est, j’y suis allée boulevard Mortier juste pour te dire, et il était temps, que tu manques.

10 mai 2007- La langue

Aujourd’hui, j’ai écrit un texte pas drôle, sans doute chiant à mourir et ceux ou celle (sans -s-) qui me diront que je réfléchis trop repasseront pour le scoop

Ces derniers mois, deux textes m’ont interpellée. Le premier est de Tarik Noui, si ce n’est auteur de son état du moins en état d’auteur (vous trouverez l'auteur et le texte Ma langue sur le trottoir à l’adresse suivante : http://www.myspace.com/tariknoui, ou peut-être sur son blog, en panne pour l’heure) ; le second écrit par un ami qui me le donna à lire pour le corriger. Tarik est kabyle, le second est tunisien, et les deux textes portent sur la langue. Tarik m’a parlé de son rapport à la langue et de ce fossé entre la langue française qu’on lui inculquait en Algérie et la réalité concrète qu’il découvrit enfant à son arrivée en France. Apprendre le mot bouteille puis découvrir ce qu’est une bouteille, c’est une seconde naissance, un déchirement aussi entre ce que le mot évoquait dans l’imaginaire et sa pâle réalité plastique. Le second ami évoque lui dans son texte un autre fossé, celui entre le français et l’arabe, entre la langue de la pensée et les mots qu’il faut choisir pour parler ou écrire. Tous deux ne cultivent pas le même rapport à la langue parce qu’il s’agit de deux générations et de deux vagues d’immigration (comme on dit…) différentes. Tous deux posent cependant la question de la langue, une question cruciale pour moi, au moment où j’ai achevé la première mouture de Lila et d’Ugo et l’ai fait lire à quelques lecteurs. Pour la première fois, je n’ai pas écrit pour me faire comprendre, mais pour écrire. Du coup, de longues conversations s’en s’ont suivies qui posent toutes la question du rapport à la langue.

Ces deux textes m’ont interpellée parce qu’ils sont écrits par deux personnes dont je connais la parole, le mot prononcé dans sa spontanéité si bien que je devine à présent le dit et le non-dit opposés à l'écrit et au non-écrit. Ils m’ont également interpellée comme deux visages de mon propre rapport aux mots. Pourtant, la redécouverte par Tarik de la langue française, je ne l’ai pas connue, pas plus que l’écartèlement du second entre deux langues. Ce qui génère chez eux des déchirures à vif, je le vois comme une chance car comme une distance qui impose un rapport ludique, surréaliste, voire premier avec les mots. C’est d’ailleurs sur l’échine de cette déchirure que Tarik a puisé du talent, car la langue n’est pas seulement agencement de mots : la langue est un regard sur le monde et sur soi, avant d’être, rarement, dialogue éventuel. Pour moi, aucun fossé : on ne m’a pas appris l’arabe et le français est ma langue maternelle au sens premier du terme. Je n’ai jamais cultivé de goût pour aucune langue étrangère, par manque d’ouverture d’esprit, par paresse, également parce que la parole en tant que dire n’a jamais constitué mon terrain de prédilection, surtout parce que la langue française me paraît labyrinthique: en sortir indemne semble déjà présomptueux, commençons par creuser ce que l’on a avant d’avoir la prétention de se frotter aux autres langues.

Ma langue est une valise pleine de couches, des sous-vêtements aux chaussures en passant par la trousse de toilette. De l’essentiel à l’accessoire. Avec moi, partout, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur c’est être capable d’ouvrir la valise ; mais la vider c’est repartir pour quérir d’autres mots. Repartir, sans cesse, ne pas rester en place parce qu’on n’a plus de mots pour s’encrer. La valise est une boîte de Pandore : avoir des mots avec, sur et en soi, c’est percevoir nettement, comme une lame transperce, les moments où on n’a pas trouvé le bon, de mot, pour l’autre ou juste pour soi. Les moments surtout où on aurait mieux fait de se taire ou de ne pas écrire parce qu’on n’a pas su. Les mots, passe encore, mais il faut les ordonner, les prononcer et les entonner. Trimballer la valise, c’est se taire, ne jamais l’ouvrir, apprendre à la fermer. Dans l’interstice entre ouvrir et fermer se trouve ma langue, au seuil de l’enfance, au creux de ce moment où on hésite, parce que devenir adulte c’est pleurer et rire en silence.

Alors, dans ma vie, la vraie si je peux dire, je préfère l’action aux mots même si ces derniers ralentissent trop souvent mon action. Le mot est dur, il blesse, tranche, édulcore, fait défaut. Un mot ne sera jamais aussi beau ni doux qu'une main. Il n’est jamais douillet, on ne s’y couche pas. Prononcé, il étale son histoire et tourbillonne de toute sa polysémie. Il ravive l’histoire, la sienne, celle de l’autre: le mot est une aiguille à tricoter les tripes et il faut prendre le temps de le choisir. Il s’écrit, se touche, s’entend et se goûte. Et il plaque, circonscrit l’individuel dans l’usage ordinaire. D’ailleurs, puisque je parle de la langue, la voici plaquée en expressions : la langue de vipère ou de pute, tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler, prendre ou perdre langue comme on perd des plumes. Pour l’écrivain, perdre un mot suffit à perdre la plume. Voici ce qu’est aussi la langue française : un enchaînement d’expressions et de proverbes qui vous font sentir étranger dès lors que vous ne les comprenez pas. Il n’est d’ailleurs pas tant question de comprendre que de regarder des expressions ou des mots comme un scientifique un corps étranger. Car, concrètement, que fait une langue de vipère ? Rien, la vipère mord de ses dents, ainsi se transmet son venin. Dès lors, pourquoi une langue de vipère plus qu’une langue de crapaud ? L’homme seul crache son venin en mots, pas la vipère. Pour peu qu’on interroge la langue et elle vous renvoie en pleine face votre ignorance ou votre incapacité à y adhérer: elle saoule. Là est le fossé, d’autant plus large lorsque de langue, on en a qu’une. Pas de solution de repli.

La langue précède et contraint l’esprit à un système de pensée et à un ordonnancement des mots. Il faut la tordre, l’étirer, la culbuter, la presser, pour éventuellement parvenir à extraire une goutte de ce que l’on veut dire. Voilà pourquoi, entre autres, le dire n’est pas mon fort pas plus que le conter ou le raconter. Parce que dire vrai ou juste suppose un travail sur les mots qui exclue la spontanéité. Quoi qu’il en soit, je n’ai rien à dire. Je n’ai pas d’idées ni de raison. De fait, je ne dis le plus souvent que des bêtises, des approximations ou effleure d’un mot le superficiel. Je dis comme on joue. L’écrit seul permet la distance nécessaire à l'extraction du suc : il n’est pas synonyme de talent ni dans la forme ni dans le fond, mais de l’expression la plus "adhérente". De l’expression la plus pure lorsqu’on a rien à dire mais l’envie de transmettre. Et je ne parlerai pas des mots des autres lorsqu’ils s’adressent à moi, tant ils peuvent dresser une barricade ou enfermer dans une geôle.

La langue est un gouffre. Découvrir un mot ou un sens, c’est nommer une réalité de soi et, au contraire, ne pas comprendre un mot, même en lisant sa définition, c’est prendre conscience de son ignorance en tant qu’homme cultivé et en tant qu’homme simplement. Trouver le mot juste, c’est jubilatoire. Manquer de mots, c’est la solitude. Etre pris dans une farandole de mots, dans une langue tentaculaire, c’est se sentir incapable de communiquer. Et la langue française y est pour beaucoup: hautaine, fière, retorse, trompeuse et aguicheuse. Pudique aussi mais compliquée lorsqu'on voudrait que tout soit simple… Elle est l’image de la raison, déposée là par des siècles de culture. Elle est à l’image de nos villes, élégante mais cloisonnée, dépourvue de générosité, de sensualité et de chemins de traverse. Certes, on peut jouer avec les mots mais jouer est vite lassant. On peut, en latiniste, ressusciter des sens : et alors ? qu’importe les sens s'ils n’existent plus ? La langue française est dictatoriale, elle est organisée pour préserver la survie de ses membres : les mots. Elle est peuplée de on ne peut pas, on doit, de verbes transigeants et intransigeants : on rêve de ou à. Elle n’établit pas de rapport originel ni charnel : s’en servir c’est forcément la domestiquer, à force de travail et de technicité. Ou de génie, mais c’est autre chose.

Je n’ai rien à dire. Pas d’idées, beaucoup d’émotions. Peu de raison, une sensibilité au monde. Les poètes m’ont toujours parlé, jusqu’au ventre, et au mot je préfère l’image. Elle domine, concrète ou figurée. Elle n’est pas superficielle, elle est notre fondement : toute sa vie on court après des images ou elles nous poursuivent. Pour les exprimer, j’appelle la langue paternelle, celle du cœur, du rapport à la terre et à la mer, des crises violentes de colère ou d'amour. Cette langue se passe de mots, elle est un regard, une capacité à s'émouvoir, à recevoir et à partager. Les mots ne sont plus solidaires, je veux les faire exister seuls. Je les veux charnels et sensuels, les sentir effleurer mes émotions comme une main sur mon corps. Je les veux pétris d’une identité fluctuante, d’expériences, abreuvés d’émotions. Je ne le veux ordonnés que comme les pixels d’une image. Je veux surtout des mots organisés en grottes d’écho aux sensations et aux miettes de temps, comme une chanson surprend et vous plaque contre un mur, "les souvenirs ou la vie!". Je veux des mots lucioles.

Ce sont les vôtres, mais ce sont aussi les miens et oui, je les ai glanés à l’université, dans les livres, mais aussi dans la rue, dans les bars ou dans le métro, dans la bouche des vieux et de quelques enfants. Seul ce mélange, association d'images, tisse ma langue telle qu’elle existe originellement dans mon esprit avant de n’être que de papier. Les émotions surgissent en cavalcades de mots dans mon esprit et la rigueur et la précision chirurgicale de la langue française me permettent de les maîtriser, de les canaliser, d'effectuer un tri et de ciseler. Il n’y a que sur une feuille que je m’enracine; lorsque les déliés orgueilleux de la langue française s’adoucissent d’arabesques, un espace se dessine, interstice toujours: celui de la, de ma mixité. Dans l'écriture, et seulement là, que je touche du doigt le sentiment éphémère de la complétude. Ma langue est sans relief; plate comme l’eau, elle n’est torturée ni violente, mais je souhaite qu’elle apaise comme le spectacle, niché dans le trou d’une terre qu’on sent sous ses mains, ses pieds, pleinement, d’un lac serein et sans remous (cf. blog du 28/04). Alors oui, je ne peux parler à tout le monde, mais je n’écris pas pour tout le monde, ni pour parler, parce que, une fois de plus, je n’ai rien à dire, ce blog en est d’ailleurs la preuve : je n’y dis rien. Lila et Ugo sont à cette image. Lila et Ugo ne sont qu’images.

9 mai 2007- Pour l'Olive: les seins

J'ai un ami, c'est l'Olive (le propriétaire de Minette, cf. blog du 15 mars) et je l'aime beaucoup. Ce que j'aime, entre autres, chez l'Olive, c'est son regard sur les femmes. Des limbes de ma mémoire, il a réanimé toutes les scènes, dans leurs moindres détails, d'un film que je vis jeune, à plusieurs reprises: L'Homme qui aimait les femmes (Truffaut). Par magie, une phrase a même émergé, qui traînait sans doute depuis longtemps, lancinante, dans ma p'tite tête: "les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens".

Avec l'Olive, je bois un apéro au moins une fois par semaine et ses objets d'attention varient: de la cheville aux fesses en passant par les seins. La beauté féminine comme agrégation d'une kyrielle d'accessoires, chaussures et robes, boucles et parfum... Sur la femme, il porte le regard de l'enfant émerveillé par autant de différences qui forgent un mystère. J'aime ce regard, sensible et mouvant mais scrutateur, parce que c'est ce regard masculin, et seulement lui, qui permet à une femme de le devenir et de se sentir belle.

L'Olive me dit, raconte, m'interroge. Dernière conversation en date: les seins. C'était sa semaine seins, et il me rapportait ses constats. Les symboles et l'imaginaire posés là par les hommes, au creux d'une poitrine, m'émerveillent et me font rire. Or, curieusement, à ce moment-là, mes seins, oui, les miens que j'ai, étaient l'objet de bien des attentions. Je racontais d'abord à l'Olive que j'avais enfin fait avancer la collection de mon chef (cf. blog du 5 avril) en apportant ma contribution: l'étiquette (3e de la collection) d'un soutien-gorge que j'avais acheté, juste pour lui, la veille. Outre la joie de mon chef, cette contribution donna lieu à une longue conversation sur les tailles de bonnets, les largeurs de dos, les soutiens-gorge et les corsets, les balconnets et les sans-bretelles.

Puis, deux jours plus tard, j'effectuais ma première mammographie, dans un cabinet médical où dès l'entrée, une affiche avertissait ainsi: "savez-vous que votre médecin radiographe est aussi auteur de polars?". Je ressortais illico en maudissant, une fois n'est pas coutume, les coïncidences et en me demandant s'il était judicieux d'aller me faire palper les seins par un homme (première interrogation) que je retrouverais peut-être lors d'un cocktail mondain (seconde interrogation) ou, pire encore, avec lequel je serais amenée à travailler (ultime interrogation). Puis je balayais d'une miette de lucidité ces pérégrinations en me disant que, son nom m'étant inconnu, il s'agissait -forcément- d'un auteur de polars médiocre et que si je m'extirpais chaque matin de mon lit pour aller servir le pain c'était, entre autres, pour m'offrir le luxe de ne travailler qu'avec les bons (auteurs de polar pas les boulangers). On voit comment, même chez une femme, les seins peuvent être point de départ d'une rêverie périlleuse, de la reconsidération de ses choix de vie jusqu'au polar.

Bien, l'examen en lui-même et le docteur en lui-même, je les relatai à l'Olive, récit qui n'a aucunement sa place ici. Ce qui a sa place ici, ce sont mes seins, car l'Olive, écoutant mon récit plein d'entrain, me demanda de lui envoyer la description de mes seins par mon médecin auteur de polars, activité qui n'est, somme toute, qu'une suite logique pour quelqu'un qui passe son temps dans une chambre noire à palper des chairs. Alors, l'Olive, pour toi, et pour tous les amoureux des femmes, voici la prose de mon médecin :

Seins mixtes (est-ce que cela signifie que j'en ai deux? de deux sexes?), à la fois lipomateux et dystrophiques, caractérisés par la présence de nombreuses opacités nodulaires, lenticulaires, à contours flous (bien, je vois que mes seins s'appliquent à ne pas rompre une logique d'ensemble), leur conférant une tonalité élevée et hétérogène (alors, là, motus :-)
Absence d'opacité pathologique circonscrite décelable (ouf!)
Absence d'image infiltrative, divergente ou de rupture architecturale (comment mes seins parviennent-ils à être les seuls à ne pas souffrir de rupture architecturale?)
Macro-calcification bénigne du quadrant supéro-externe du sein gauche (ça, bon, je le savais)
Les plans cutanés sont fins et réguliers (ça ne saurait durer car le temps passe: cf. blog du 7 mai)
Et, pompon sur le gâteau comme dit Gad: absence d'atténuation suspecte du faisceau ultra-sonore. Je crois que cela insiste sur ma non-radioactivité.
Conclusion: classification ACR: ACR1 à droite- ACR2 à gauche> ma propre conclusion: le "qui se ressemble s'assemble", c'est des bêtises...

8 mai 2007- Quai de la Rapée

Une nuit le long du quai de la Rapée
J'ai vu un homme marcher
Les jambes flottant
Dans un pantalon de toile blanc
Au contact du sable
Ses pieds ne se brûlent pas
La peau burinée des sillons de la terre
Tannée du souffle de la Méditerranée
Exhalée par la lumière chaux
Des murs qu'il longe
Et par le ciel bleu
Roi comme l'éternité
Sans une seule zébrure
A peine un olivier
Ses cheveux ont l'argent
Martelé du pays
La bourgade est déserte
Les ruelles se tordent
Sous le fouet
Lames du sirocco
Et l'homme avance
L'idée fait son chemin
Seul, torse nu, un bâton à la main
Il piétine les ordures
Epluchures de melon
Restes de poissons
Disputés par les chats
Aux abords de la morgue
Quai de la Rapée
Seule âme vivante
Le génie de la lampe
Traverse le vent
Comme on traverse les temps

7 mai 2007- Le temps passe

Pour aujourd'hui, pas de prose car trop de rose enlacé par le -p-, et la gueule de bois de ce matin, comme ayant enquillé 85 verres et demi d'une bouteille à 53,3% d'alcool >>> donc aujourd'hui poème vert de gris à défaut de rage.

Le temps passe et il est bien (le) seul
Argente les cheveux

Sillonne le visage
Ourle les yeux
Ankylose les jambes
Et les rêves d’enfant

La bobine des semaines
Se dévide
Evide le cœur
Peau de chagrin
Ou de baudruche

L’Histoire récidive
Et puis la mienne aussi
Longue répétition
D’épisodes en miettes
Masques et accessoires
Mais quand joue-t-on la pièce ?

Je la connais, je l’ai écrite
Sur une fenêtre de verre
Ce n’est pas une blague
Ni une mascarade
Mais puisqu’il faut, il faudra
Tenir en équilibre
Sur l’échine d’une portée
Et des notes en secondes
Laisser des morceaux d’âme
De la taille d’un ongle

Petit pouce

Le temps passe et il est bien le seul
Ne vole ni se suspend
Ne me surprend même plus
Ne se passe rien si ce n’est de commentaires
Se passe surtout de moi
Ainsi de tout le reste

3 mai 2007-Le p'tit Nicolas

Suite au débat d’hier, comment avaler la pilule de dimanche (prochain) ?
Pour ce faire, je suis obligée d'abandonner mes mots pour revenir à des recettes traditionnelles: les proverbes. Alors, proverbe: à toute chose, malheur est bon!

En effet, grâce au p’tit Nicolas :
Mon colocataire va enfin pouvoir s’offrir des prothèses dentaires (oui, augmentation de 50% des frais dentaires et optique !)
De colocataire je n’en aurai plus car je vais enfin pouvoir devenir pro-pri-étaire !
Et sous le balcon de MA propriété, y aura pas de SDF avinés
Peut-être même pourrai-je devenir patronne d’un truc…
Mais si je choisis de rester salariée, pas de problème : la discrimination positive m’ouvrira beaucoup de portes
D’ailleurs, j’aurai enfin un interlocuteur de choix pour initier un débat philosophique sur la question de l’appartenance : le ministère de l’identité nationale ! (qui siègera sans doute 3, rue Mehdi Ben Barka- 75006 Paris)
A la cérémonie annuelle de la galette à l'Elysée, je pourrai serrer la main d'un p'tit président, presque à ma taille!
Je vais pouvoir effectuer plein d’heures supplémentaires pour gagner plein de pépètes
Je pourrai laisser les enfants que je n’ai pas encore mais que j’aurai peut-être un jour, notamment grâce à une refonte de l'hôpital public, jusqu’à 21h à l’école (que j'aurai choisie MOI-même) : travaille, te dis-je, maman travaille aussi pour te laisser une fortune sans droits de succession (eh oui… !)
D’ailleurs, même plus besoin de faire DES enfants, grâce à Nico, un seul suffira pour obtenir des allocations familiales
Je pourrai entrer gratuitement dans les musées et mes droits d’auteurs seront revalorisés (d’accord, mais pourrait-on revaloriser juste l’auteur... euh, non, on ne pose pas de questions !)
Je vivrai dans un monde où, enfin, « c’est pas gentil d’être méchant » et où, en plus, « on a le droit de s’énerver » (dixit...).

Alors, voilà, tout n’est pas si noir, même si Nico a oublié d'évoquer hier le mal de gorge d'Olive, le mal de coeur de Nadège et les difficultés de mon chef pour avancer sa collection d'étiquettes de soutif… Bon, sinon, ultime remède pour avaler la pilule de dimanche : la chanson du dimanche! (www.myspace.com/lachansondudimanche)

2 mai 2007- Bribes de parc

Hier, pour ne pas déroger aux acquis sociaux de mon doux pays, je résolus de ne rien faire. Mais alors, rien de rien. J’optais pour un parc et, en paresseuse, choisis le plus proche de chez moi : le jardin des plantes.

Ingrédients
Accessoires : un chapeau, un matelas, une bouteille d’eau, un Ipod et quatre morceaux : l’Allegro de la quintette K.581 de Mozart (clarinette et cordes) parce qu’il apaise, Playground Love de Air parce qu’elle berce, Est-ce que tu aimes ? d’Arthur H et M parce qu’elle réveille de bonne humeur (sacrément même !) et A quoi ça sert l’amour ?, de Piaf et Théo Sarapo, simplement parce que.
Prédispositions particulières : résoudre de ne pas se laisser emmerder par les pigeons ni par les gosses ; ne pas craindre le soleil
Lieu : un banc, soigneusement choisi, entre ombre et lumière
Action : s’étaler de tout son long et fermer les yeux
Mais (il y en a toujours un, minimum) : il y a des gens qui courent autour de moi, arrêtez de courir, je suis fatiguée, et le roulis incessant des poussettes

Quinze minutes plus tard, je comprends que de paix je n’en aurai guère et décide de me livrer à un acte métaphysique : écrire aujourd’hui le blog de demain, non sans me demander si cela ne signifiera finalement pas que demain je serai en retard. Bref.
Couper le son, garder son casque sur les oreilles pour surprendre les conversations.

Paroles d’enfants (Juliette, Romain, Victor)
Y a quoi dedans ? Pourquoi y a des trucs ? C’est quoi des trucs ?
C’est des canards ! Je vois des canards !
Papa, quand est-ce qu’on sort de ce labyrinthe, parce que comment je fais si j’ai envie de pisser ?
J’ai chaud. Ben, marche à l’ombre

Des étrangers passent, je ne comprends rien si ce n’est le bruit des poussettes qu’ils poussent, eux aussi.

Paroles d’adultes (sans prénom, l’adulte est un concept qui bavarde beaucoup plus)
Il ne s’ouvre pas assez à l’international (avec un e ? >>> je doute)
Moi, je regarde la série Isa (?). C’est l’histoire d’une fille hyper mal sapée, vach’ment mal coiffée, avec des bagues aux dents et t’attends qu’un de ses amis ou son patron la révèlent. C’est à 18h10 sur TF1.
Ah, ben la vie est belle hein ! dit un homme en me regardant. Ta vie j’en sais rien, la mienne ça dépend. Espèce de jaloux, t’as qu’à t’acheter un matelas et tu verras qu’avant de le dérouler, il faut le trouver, se donner les moyens de se le procurer et le trimballer jusqu’ici. D’ailleurs, c’est ma mère qui me l’a donné ce matelas et avoir une mère ce n’est justement pas donné à tout le monde.
T’as vu cette fleur ? On avait la même dans le jardin, tu te souviens ? Viens, on va voir comment elle s’appelle.
Pour le plan de travail de la cuisine, j’en ai pour 410 euros
T’entends les grenouilles ?
Regarde, faut être vraiment stressée et fatiguée pour dormir comme ça. Suis pas stressée Monsieur, je ne dors pas, je vous enregistre : sacrée nuance.
Tu vois cet arbre, Victor, l’oranger des deux sages ?
Tiens, regarde le canard
Ben, moi je te parlais de lui en fait. Pas de l’autre qui m’a complètement zappée. Non, Thomas, il m’a regardée.
Ah, elle est belle la France tiens ! Bravo !
Ils l’ont dit, Ségolène 45, Sarko 52 (comment est-ce possible ?)

Pendant ce temps, j’essaie de prendre des couleurs, puis me dis que par les temps qui courent d’identité nationale, il ne fait peut-être pas bon de prendre des couleurs justement, surtout lorsqu’on cherche un appartement.
Curieusement, dans le parc flotte une odeur de poulet aux spaghettis*.

Conclusions intermédiaires
Se sentir en vacances, c’est simple. Recette : s’allonger sous un rayon de soleil, fermer les yeux, attendre que quelqu’un passe qui s’est enduit de crème solaire. Inspirer… s’assoupir.
Les canards sont l’objet de toutes les attentions. Quelle est la devise des canards ? En surface, paraître calme et serein, en dessous, pédaler comme un malade.
Remettre le son comme Katerine ("je coupe le son… je remets le son…") et envoyer le monde des autres voir ailleurs si je n’y suis pas.
"Nous irons vivre libres, dans un pays sauvage et nos armes seront l’amour et le courage. Mon ami n’ai pas peur, etc. "

Ouverture des yeux
Les papas des enfants sont jeunes
Des amoureux sages, main dans la main ou sur l’épaule, longent les allées.
Je vois enfin le mec qui court et je suis sûre que c’est le même depuis deux heures parce qu’il a le tête de celui qui court, comme ça, pour courir.
Sur un banc, il y a le deuxième ou le troisième rendez-vous où enfin il lui dit, « t’as quelque chose dans les cheveux » pour amorcer un geste vers elle, sans heurt, rompre l’espace de sa bulle. Rien de plus délicat ni de plus sincère que ce premier geste en main tendue.

Je repars avec le "tout ce qui maintenant, te semble décevant, demain sera pour toi, un souvenir de joie".
Devant la clinique Geoffroy Saint-Hilaire, d’autres roulis de poussette. D’un autre genre.

*Restituer une once de l’ambiance de cet après-midi ? Recette du poulet aux spaghettis : dans une cocotte minute, faire revenir à feu doux 2-3 gousses d’ail haché, mélangées à un pot moyen de concentré de tomate, le tout dans 3-4 cuillères d’huile d’olive. Découper un poulet en huit, planter dans sa chair 4-5 clous de girofle. Puis le faire revenir, en le retournant, 15 minutes environ dans la cocotte. Saler, poivrer. Couvrir d’eau, environ 3-4 verres normaux. Faire cuire 20mn après le sifflement de la soupape sans oublier d’humer l’odeur du parc… Ouvrir, ajouter les spaghettis, faire cuire une dizaine de minutes. Et voilà, ensuite, pure régalade.

1er mai 2007- Confettis

La vie est un plan de métro
Il y a des années alors qu’il avait cinq ans dans les montagnes afghanes
Je poussais mon premier cri chez le poinçonneur des Lilas : des points déjà
Une guerre, une maladie, la charité et un vol d’avion plus tard, nous voici sur la même ligne, points réunis sous le même toit
A la station Pont de Levallois, à une table de fac entre retardataires et querelleurs de l’existence, entre Tunis et Paris
J’ai rencontré un énorme point qui hurla pour la première fois (très fort j’en suis sûre) rue Poliveau
Mais comment naît-on rue Poliveau où il n’y a pas de clinique ? Tel fut son premier challenge
Aujourd’hui, véritable station de métro, Châtelet précisément, moins les tapis roulants
Une lettre de recrutement six ans plus tôt, et à la station Saint-Marcel je croisais les yeux bleus de l’océan de Douarnenez où il poussa -peut-être- un premier (dernier ?) cri
Chemins et corps se sont entrelacés comme les nuages font l’amour
Etienne Marcel, Sèvres-Babylone, Montparnasse, Oberkampf, points de rencontre d’autres points, lucioles ou feux de joie, feux follets ou lueurs irradiantes
Et avant, les chaises beiges du bahut, les fauteuils marrons du car et les lignes 12 et 14 des bus dijonnais
Les croisements de rues ou de regards, carrefours ou impasses
Rencontre d’âmes et de deux mains pour enclaver l’univers
Les points élancent des lignes, la 1, jaune comme on rit, est la plus confortable, sans cloisons entre les wagons et on pense le train sans fin
Mais certains descendent trop tôt : ligne 3bis, quatre stations et terminus, le point, de rupture, percute le bitume et devient flaque de sang
Des points grossissent, se transforment en Bastille, Opéra ou République, égarent dans toutes les directions
Il y a les changements et les correspondances, les longs couloirs bondés ou déserts d’une solitude ruisselante de froid
Les couleurs des lignes, le violoniste, le mec qui crève sur un banc en se pissant dessus
Et les stations qu’on voudrait atteindre qui sont fermées. Incident voyageur ou technique. Travaux.
Ou un bagage non identifié si lourd qu’il empêche d’avancer
Quelques lignes de points s’étirent puis s’éloignent, deviennent rails de RER puis de train, gare de Lyon… un chemin qui, c’est sûr, mène à Rome
Rien de plus troublant que de découvrir un point, de jouir de ces instant où peut-être, ou pas, il deviendra station
Point de départ, d’arrivée ou point noir en cratère
S’imaginer machiniste ou ingénieur, conducteur ou voyageur
Sur le panneau lumineux, indiquer la station d’arrivée et voir s’allumer un à un les points à suivre pour y parvenir
Lampions éphémères, étoiles filantes, décor de carnaval
Guère difficile de placer des points comme des pions en stratège ; une autre affaire que de les relier…
C’est pourquoi ma vie n’est pas un plan de métro mais une bataille de confettis