31 août- Mots en vrac

Prendre le temps de prendre au temps
Quand lui reprend en un instant
Je ne suis que ce que je suscite

28 août- Train

Le train file fluide
La lumière dorée d’un soir de fin d’été

Le ruisseau aperçu de soleil lézardé

Traversée d’un tunnel long et noir

Champs de blé

Clairières de vert monté en neige

Meules de paille, meuh de vaches

Le ciel est grand ouvert

Assoupie, au réveil où suis-je

La ville repère s’éloigne

Les racines se délient

L’herbe repousse sur mon bitume

Ailleurs méconnus

Fil rouge dans la contrée des sens

Le voyage sillonne mes mémoires

A la cime de l’âme affleurent les souvenirs

A chaque ville de halte

Chaque minute d’arrêt

Je voudrais pouvoir conter une histoire

Le regard élève des passerelles

Entre les temps

Je pars, laisse tout, descends

Roule, roule, roule

Ne m’arrêterai-je pas?

L’eau jaillit des terres

Pour arroser les champs

L’oiseau tente d’aller plus vite

Plus haut que ma pensée

Vitesse

L’existence a mon sens

20 août- Ici

Si nous devions revivre sur la terre des hommes
Il faudrait nous parler ; restons ici où nous pouvons nus parler

Revivre sur la terre des hommes et la traduction d’un regard
Il faudrait lester nos yeux de mots ; restons là, le regard flou

Revivre sur la terre des hommes les pieds englués dans demain
Il faudrait de défiance lier nos mains ; restons ici, sous l’arbre à bulles

Revenir sur la terre des hommes et au poids des corps
Il faudrait nous rêver immortels ; restons là, sur la crête des vagues

Revenir sur la terre des hommes où nous sommes souvenirs
Il faudrait se nourrir du passé ; je reste ici parce que tu y es

18 août - Objet

Je vais vous parler d’un objet redécouvert ce week-end, que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître : la lampe de poche carrée. Depuis combien de temps n’aviez-vous pas pensé à une lampe de poche ? Vous voilà peut-être même surpris de prononcer « lampe de poche » en votre for intérieur. La lampe de poche donc… Grande comme la paume d’une main, en métal bleu le plus souvent, carrée ; sur le côté une languette de plastique ouvre sur une grosse pile plate. Allez savoir pourquoi les lampes de poche, du moins mes lampes de poche, les vieilles, ont toutes une partie au dos, orange, dans un plastique en relief, un plastique qui gratte. Longtemps je me suis interrogée sur l’utilité de cette partie de l’anatomie de la lampe de poche. Je me dis finalement qu’elle permet, lorsqu’on tend la main dans le noir, d’identifier l’objet. La lampe de poche a une patte en métal pour la suspendre au clou rivé au-dessus du lit et une ampoule minuscule qui vire au jaune tamisé et vacille à mesure qu’elle faiblit. Cette lampe de poche on a joué aux ombres chinoises avec, effets de lumière au plafond et recouverte de draps, de vêtements ou de foulards, elle a mis des halos de couleurs aux murs des nuits. Dans les maisons de campagne, le lit est froid, tout l’univers craque et on serre fort la lampe de poche contre son cœur car en cas de grand danger ou de grande peur, elle se transforme en arme de choix. La lampe de poche c’est un rai de lumière restreint, l’escalier marche par marche, la densité du froid dans une grange et le reflet, soudain et terrorisant, des yeux d’un chat qu’on éveille. La lampe de poche c’est surtout des centaines de pages dévorées sous les draps lorsqu’on nous a intimé l’ordre d’éteindre et de dormir, des tas de morts et de crimes élucidés autour d’une cup of tea et sous mes couvertures. La tenir ouverte afin d’appuyer fortement la pile contre ses lamelles en métal et lui arracher ses dernières forces pour finir sa page. Au matin le réveil trouve les traces de l’aventure : autour d’un sommeil bouche ouverte trainent une lampe ouverte, un livre ouvert et, sous les draps, une pile carrée.

11 août- L'enfant

L’enfant dit
Quand je serai grand
Il ne sait pas alors
Qu’il est temps
Que sur son présent

Se jouent déjà
Aujourd’hui et demain

Bribes de souvenirs
En suspend l’homme est
Matière brassée de temps
Rencontres de moments
Se complètent ou se battent
Rivière ou bien torrent
Ouvrent grand les fenêtres
Abondance d’une vallée
Austérité d’un désert
L’homme est lande
Forêt de rencontre
Entre les temps
L’Histoire
Son histoire
Et celles des autres
Une histoire finalement
Comme s’en content
Les enfants

10 août- (Long) message personnel (2)

C’était il y a deux ans
Dans ta rue au nom de fleur

Et sans lumières

Je savais dans le taxi

Traversant un Paris

Désert, il est tard dans la nuit

Désert, c’est août, ils sont partis

Je savais dans ce taxi

Jouer un moment-clé

De ma vie


Le ruban qui nous lie

Se tisse de circonstances

Un tas de oui

Une bouteille débouchée

Quand une heure avant

J’allais chez moi me coucher

De trajets en scooter sous la pluie

Des films pelotonnés sous la couette

Petits déjeuners au petit matin

Seule dans un troquet rue Lecourbe

L’hiver, l’été et toutes les saisons


Jamais on ne m’a tant laissée

La possibilité de me surprendre

De choisir sans enjeu

Ma liberté en terrain de possibles
Voilà comment nous nous sommes

A Noël 2006 retrouvés

A réveillonner ensemble

Autour d’un dîner improvisé

Lorsqu’à 19h nous nous apprêtions

Chacun de notre côté

A regarder un film pour étouffer

Le bruit des festivités


Jamais je n’ai eu tant de chances

Ou je ne savais pas voir
C’est que toi et moi

Ne cherchons pas de nous

Alors toi et moi trouvons

Ce nous parfois, même maladroit


Il est temps aujourd’hui

D’écrire un poème

Pour toi qui

Donnes peu mais me laisse prendre

Toi dont la présence

Sans excès ni tourments

Me remet en place

Réinvente ma féminité

Sur tes clichés

Mon visage apaisé

Il est temps car aujourd’hui


Y a-t-il plus simple que cela

S’éveiller le matin

Aux côtés de quelqu’un

En être bien surpris

S’enrouler dans l’instant

Dont la vie nous a révélé

La rareté


Des matins on en a eus

Mais celui-là c’est

La première fois

Où je dis j’ai besoin de toi

Maintenant à deux heures du matin

Et toi qui me dis je viens


Il aura fallu
bien des moments
Et deux ans
Pour que tu sois là

Finalement bien plus que cela

Ma vie et la tienne
se croisent
Au moment où l'on comprend
La valeur du temps
Et nos moments d’urgence

Je ne t'avais jusque lors
Jamais rien demandé


Quel est ce sentiment

Sans amour, profonde affection

Compréhension sans fards

Je me sens en pleine nature

Ramenée à ce que je suis

Toi et moi jamais n’avons marché dans la rue

Aucun de mes amis ne t’a vu

J’aurais pu auprès d’eux

T’inventer, amant-ami imaginaire

Et si un jour on me croyait folle

Il me faudrait donner ton

Numéro de téléphone


Je n’invente rien

Il faut cesser parfois

De rêver des histoires

De songer à des mieux
Reléguer les questions
Pour pouvoir se dire
Tiens c'est bon
Oui c'est simple
Tiens c'est là
Ce matin tu es là

Dans tes bras s’éloignent

Des tensions de moi

Que je ne soupçonnais pas

Simplement sans gêne

Ma main dans la tienne

Sans crainte ni jeu car

Il n’y a pas entre toi et moi

Le challenge du lendemain

9 août- Espace

Longue nuit, vertige de l’espace
Je connais les mots
Opalescentes bulles
Lestées des dons
Du monde
Et je sais à présent
Le pouls du cours d’eau
La rumeur de l'abeille
L'effluve de l’herbe coupée
La chevauchée de nuages
En empreintes digitales

Et la paix qui court
De l’échine jusqu’au bout
Des mains
Je tisserai les passerelles
Hisserai des ponts
Pour pouvoir ramper
Jusqu’à cet instant-là
Je voudrais tant partir
Dormeuse du val d’un poète
Sans le dernier vers

6 août- Message personnel

Hier soir dans ma boîte un CD et rien
Au matin je retrouve
Amertume et rancoeur
Voyageuses vagabondent
En l'âme terrain vide
Crevassée de cynisme
Il faudra les chasser

Je me demande
Comment et pourquoi
Nous en sommes là
Alors que toi et moi
Etions si loin de ça
Si loin d'eux
Si loin
Si loin des autres
Si loin

Un mois et pas un mot
Et les nuits qui éveillent
Le loup et puis l’agneau
Le noir et le néant
Tous mes rêves d’enfant
Révèlent la déchirure
Large et profonde
A la mesure de
Nous
Entre rires et montagnes
Notre amitié filait


La vie hisse les récifs
De ses intensités
On connaît toi et moi
Les boomerangs de l'excès
D'amour, de don
De colère et de rêves
Des claques dans la gueule
Qui t'arrachent la tête

Alors cette fois-ci
Je ne bougerai pas

Je sais que l'existence
Est parsemée de deuils
Et qu'il ne faut pas
Prendre le voile chaque fois
Sous peine de ne plus
Voir son propre visage

Je laisse la rupture

Patiemment et sans heurts
S'insinuer en moi
Solide sur tes solives
Forte d'une confiance
Dont tu m'as lestée

C'est toi qui m'as appris
A avancer
Hier malgré tout
Aujourd'hui malgré toi

4 août- Mousson

La nuit me laisse là
Naufragée du sommeil
Il pleut fort dehors
Au cœur de l’insomnie
C’est la pleine mousson
Le ciel s’ouvre de gris
Sur les plantations de riz
Une moiteur en gouttelettes
Ruisselle sur mon cou
Le rythme de la pluie
Et puis cette eau partout
Sur la pierre du lavoir

Des femmes battent ma vie

1er août- Châtiment

Aujourd’hui dans la rue j’ai vu un homme d’une trentaine d’années parler à son chien pire que comme on parle à son chien. Lui foutre des coups de pied, l’attraper par la peau du cou avec rage pour le jeter dans le caniveau. Alors on me dira, ça arrive aux enfants et y a la guerre dans le monde. Et moi je répondrai tatatata, ce type là, je placerais bien soigneusement sa tête blonde sur les bandes blanches d’un passage piéton place de la Concorde un matin vers 8 heures.