31 octobre - Coup de vent

Ce soir c’est le coup de vent froid. Il arrive parfois, je le connais. Il s’abat par surprise, il est sombre, effilé, il dévaste les certitudes, arrache ces minuscules branches dont j’étais fière. Après il faut tout refaire. Il a dans son souffle des notes et des bribes d’instants fétides, il fait vaciller en déroulant sous les pieds un tapis de néant, sa cagoule couvre des yeux clairs, il glace les sourires, pétrifie les rires, sort de ma bouche des mots que je ne voudrais pas dire. Il fait le vide autour de moi à mesure qu’il emplit mon esprit de gouache noire. A mesure qu’il emplit ma tête des questions sans réponses des cours de philo. Il vient des montagnes, là-bas dans l’âme, il vient des montagnes des hommes, des montagnes du monde, poussé là jusqu’à moi par un tas de petits moments amoncelés, un tas de poussières que j’aurais dû cracher. Elle pique les yeux, chatouille les mots tassés là dans la gorge. Il arrive parfois, je le connais, vous aussi, il reviendra toujours. Et c’est pour ça qu’on en parle pas, parce qu’on sait qu'il passera et qu'on ne va pas en parler chaque fois, non ? Je l’éconduis seule, par ma propre chaleur. Ma victoire c’est de ne jamais le laisser devenir rivet à mes paupières. C’est un coup de vent froid, c’est mon mistral gagnant, une chanson toujours si près de moi.

26 octobre - Mon père

J'ai écrit ce texte il y a quelques mois et comme j'ai peu de temps en ce moment pour en écrire de nouveaux...

Mon père ce sont mes traits, mes lèvres et deux sillons qui encadrent mon sourire.
Mon père ce sont mes emportements, l'intériorité magma, ma dureté affichée, mes jugements incisifs mais il faut bien trancher pour avancer.
Mon père s'il était un mot serait générosité.
Mon père c’est une famille romanesque digne des Rougon-Macquart.
Mon père c’est on prend les deux, à condition qu’on les appelle Chat et Pacha.
Mon père ce sont mes bleus de ciel, de mer, à l’âme lorsque l’intégrité est identité éraflée.
Mon père ce sont mes blancs de la page, des façades à la chaux et du déracinement.
Mon père c’est l’or du soleil et du sable, l’ocre de la terre remuée, travaillée, celui de son visage et de mon chemin.
Mon père c’est les chats de Tunis, de Sousse, de Paris, tous ceux que je croise, ceux qu’il aime et qu’il enterre.
Mon père c’est mes heures de sieste et la brise fraîche qui joue avec les rideaux d’une chambre d’été.
Mon père c'est le feu de cheminée.
Mon père c’est au moins trois vies, la sienne vécue, la sienne qu’en lui il pétrit, la mienne.
Mon père c’est la troisième partie de ma thèse et quelques auteurs de polar.
Mon père c’est les colères en impasses, le grand écart entre les extrémités, les gestes retenus, les maux en mots tus.
Mon père c’est les amis perdus parce que l’essence est éphémère et qu'aucune liberté ne se conquiert sans morts.
Mon père c’est mon enfance en bribes salées et les instants du présent qui saisissent, traversent et laissent coi.
Mon père c’est mon premier lecteur et mes premiers écrits.
Mon père c'est ma peau sensible au rasoir de la vie.
Mon père c’est le silence, la maladresse de nos présences mais c’est l’évidence.
Mon père c’est quelque chose qui s’est apaisé ou résigné, toujours éruption brûlante en moi.
Mon père, il paraît qu'il faudra le tuer, mais personne ne se coupe une jambe.
Mon père c’est l’affection en gestes et en attentions, mon élan vers l’écrit pour pallier l’impossibilité de dire.
Mon père, et il me le rend bien, je l’aime père, homme, je l'aime être et c’est l’occasion de le lui écrire.

20 octobre - Silence

Les gouttes coulent sur la vitre
Etiolent les lumières de la rue
Lueurs mouillées balbutiantes
En sanglots se mélangent sur
La palette barbouillée du peintre

Les pneus glissent sur l'asphalte
Déplient le foulard de soie
Au rythme de leurs soupirs
Dodeline ma pensée

Ce pourrait être Rome, Tunis ou bien Paris
Toute ville connaît ce moment
De monde somnolant
Palpitations faibles au poignet
Entre aujourd'hui et demain
Mort et vie
Monde en paix

Dans la cafetière les gouttes de café
Lourdes d'une vie perfusée
Peinent à tomber, plombées de marc
Balles saturées d'une aube à venir

17 octobre - Question du jour

Je m'interroge actuellement sur une question cruciale d'orthographe.
Parfois, on pense à des choses et un stylo intérieur écrit le scénario de la pensée, non?
Exemple: si je m'interroge sur le menu du midi, je ne vois pas une pizza, non. Je vois sous mes paupières en pages une plume écrire, lettre à lettre: "qu'est-ce que je vais manger à midi?".
De fait, soudain, des questions d'orthographe surgissent qui supplantent la pensée première.
Exemple: hier je chantonnais, "ta maison est en carton, pirouette, KKhuuueette" (oui, oui, ça s'écrit comme ça KKhuette dans la chanson) et soudain je pris conscience que durant toute ma vie cette chanson n'avait révélé qu'un sens: ta maison est en carton et pas en briques (comme pour les petits cochons et le loup).
Mais en fait, il est également possible que ta maison soit en cartonS! Dans des cartons quoi.
Bien sûr le "tes escaliers sont en papier" qui suit, laisse penser au carton matière et non objet. Mais bon, les escaliers en papier ni les maisons en carton n'existent (même les trois petits cochons n'en ont pas, ni Gulliver, ni Tom Pouce ni personne), tandis que les maisons en cartons arrivent à beaucoup d'entre nous.
Je propose donc l'écriture universelle suivante pour que cette chanson exhale enfin tout son sens:
" Ta maison est en cartons
Pirouette KKhuette
Tes escaliers sont en pas pieds"

Pirouette KKhuette

15 octobre- En ce moment...

En ce moment je regrette d'avoir:
- moins de temps pour écrire
- moins de temps pour vous lire
- moins de temps pour vous écrire
- moins de temps pour publier vos commentaires
- moins de temps pour y répondre

Cher lecteur pardonne-moi une fois encore, mais:
- je fais mes cartons, je cartonne en somme
- je travaille toute la journée et le soir venu
- je travaille encore, j'écris pour d'autres et
- je fais mes cartons

Et puis parfois, je dors.
Mais... je rattraperai le temps qui n'est jamais perdu.

13 octobre- Pensée du jour

De la bouche de la vérité, sortent souvent des enfants.

8 octobre - Les escargots

Plusieurs semaines déjà que je me dis qu’il faut écrire ce texte. Mais je recule devant l’ampleur de la tâche et de l'aveu, je me dis aussi que, une fois n’est pas coutume, le fond sera privilégié à la forme et que ledit fond révèle une naïveté frôlant le ridicule. J'ai deux ans, je sais que c'est pas vrai, mais je n'en suis pas sûre.... Pourtant, j’ai besoin de formuler ces moments que je vis dans une grande solitude. Et, comme d’habitude, vous avez le droit de rire (il le faut...). Alors voilà, aujourd’hui je voudrais vous entretenir des escargots.

Entre chez moi et l’appartement de mon amie Nadège, il y a un petit parc, que je longe ou traverse, selon qu’il est ouvert ou fermé. Ceux qui me connaissent savent que me rendre chez Nadège n’est pas anecdotique car j’y vais souvent (en fait Nadège me nourrit, me concocte des petits dîners avec des légumes : merci Nadège :-)). Je rencontre souvent des chats et, dans l’obscurité de la rue Titon, je partage un câlin avec eux sur un bout de trottoir. Je suis parfois contrainte d’attendre que quelqu’un entre ou sorte d’un immeuble pour tenir la porte au chat qui miaule devant. Peut-être écrirai-je un jour sur les trois chats de cette rue.

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à mes escargots. Vous avez pu remarquer que cet été, et dernièrement aussi, il pleut pas mal. Alors sortent les escargots. Partout mais alors partout, je n’ai jamais vu pareil phénomène ailleurs. Il semble que tout d’un coup le parc transpire de tous ses côtés des centaines d’escargots. Résultat, je perds une demie-heure au moins chaque fois à les écarter des passages humains. Un par un je les décolle du bitume ou des allées du parc et les replace sur les feuilles, plantes et herbe du jardin. J’espère chaque fois que le temps qu’il leur faudra pour refaire le chemin vers les souliers des hommes sera suffisamment long pour que des hommes, il n’y en ait plus beaucoup à ces heures de la nuit. L’opération est parfois un peu compliquée par les grilles fermées du parc à travers lesquelles je dois passer le bras pour glisser le gastéropode vers la verdure. J’arrive en retard chez Nadège ou rentre tard chez moi mais, lors de mes opérations de sauvetage, je ne croise jamais personne et évite ainsi d’assumer le ridicule de la situation. Il n’y a personne et c’est normal parce qu’il pleut.

Hier soir, je rentrais (de chez Nadège pour ceux qui suivent) et soudain j’entends un crac sous ma chaussure. Je regarde. Je venais d’écraser un escargot. Croyez-le ou pas, je vécus là quelques secondes de profond désarroi. Je n’avais pas vu. Il pleuvait pourtant, j’aurais du prendre garde. Je n’osais me retourner pour voir dans quel état je laissais la limace par crainte de connaître une nouvelle insomnie. Oui, me disais-je, ce n’est qu’une limace. Mais non, c’est faux et puis d’ailleurs, j’aime bien les limaces aussi, même si je me garderais bien de les toucher à mains nues. Les escargots ont une manière de se recroqueviller dans leur coquille dès qu’on les saisit qui fait d’eux des êtres réagissant au monde. Il y en a des gros, des petits, des moyens et j’aime leurs antennes tendues vers les cieux : elles semblent dessiner des parois invisibles. Je sens dans leur périple hors du parc une sorte de tentative d’avancer, même lentement, et de franchir les frontières. Quelque part, j’admire les escargots et leur maison sur le dos. Alors hier soir, je me suis remise à mon sauvetage avec d’autant plus de ferveur que je venais de tuer un escargot. Il y en avait beaucoup, à tous les angles du parc. Je regardais mes pieds fouler le bitume pour ne pas en écraser d’autres. A ma victime, je demandais pardon. Je demandais à chacun également de pardonner la frayeur en instinct qui les rétractait au fond de leur maison lorsque je les détachais du sol, leur expliquais que c’était pour leur bien. Peut-être est-ce cela le rapport à Dieu ? Je suis cette présence que les escargots ne pourront jamais comprendre ni visualiser. Présence qui annihile en un instant des heures de glissade pour sortir du parc. Ils ne savent pas eux que je leur évite la mort. Mais cette mort fait peut-être partie des conditions de leur espèce que je perturbe. Peu importe. Je relègue ces questions, sauve, momentanément, une bonne trentaine d’escargots. Car, pour me ménager, j’ai intégré très fort en moi que je ne peux rien lorsque je ne suis plus là, que l’important est de faire et de donner tout ce qu’on peut et ensuite...advienne le reste de la vie. Lorsque j’ai estimé avoir fini et nettoyé tous les trottoirs des escargots, je croise des gens dans la rue, assassins d’escargots en puissance et les assaille d’un regard noir. Je crois que, après les bébés animaux, me voici dans la totale incapacité d'avaler à nouveau un escargot.

Je suis vraiment contente de déménager dans deux semaines, il y aura moins d’escargots là-bas, c’est sûr. Il y aura sans doute des oiseaux et je leur mettrai des blocs de margarine pour l’hiver, c’est moins compliqué que les escargots.

Je sais que si un jour un de mes amis se trouvait avec moi, il m’aiderait dans ma tâche et c’est pour cela que j’aime mes amis et que je suis fière d'eux. Lorsque j’étais encore plus petite qu’aujourd’hui, mon père me disait qu’un ami c’était quelqu’un capable de ne pas poser de questions devant un cadavre qu’on lui demande de transporter. Je n’en suis pas là, du moins pas au sens propre. Mes amis ce sont ceux qui, sans poser de questions ni contredire des raisonnements qui n’en sont pas, décolleront patiemment les escargots du bitume, attendront avec moi devant une porte pour faire entrer un chat, suivront un chien perdu dans la rue pour le recueillir ou pouvoir lire son collier.

6 octobre- L'insomnie

L’insomnie compulse la tête
Transformée en pages de l’almanach
Agence les trois années à venir
Les courses d'un lendemain

Qu'on devine déjà pénible
Car il faudrait dormir
L’esprit se fait ardoise à to do list
L’âme déroule les scenarii des possibles
Le corps se recroqueville
Explore toutes les tangentes du lit
Se crispe
On force les yeux à se fermer
Et sous les paupières c’est un défilé
Visages, mots et moments
On se tourne, on rajuste l’oreiller
Comme pour changer d’idée
Le dos est une ficelle tendue
Les jambes sont lourdes
Les bras sans forces
La chair se sent secouée
Sur un tamis de crin
Et durant ce temps

La percolation des lettres liquides
Etiole la nuit sur l'écran du réveil

1er octobre - Le cheval

Les courbes de son dos
Arabesques du corps d’une femme
Des yeux pailletés des cieux
Des landes sauvages
Sa robe de princesse
Couleurs du soleil, du temps, de la lune
Mer, désert, steppe ou roseau

Sa colonne frémit de fougue et d’orgueil

Lorsqu'il court ses muscles sont
Des collines qui avancent
Ses oreilles ou un coup de museau
Révèlent sa tendresse
Proche et pourtant

Comme tout animal il transpire
Cette suprématie fascinante
Que jamais nous ne comprendrons
Que je voudrais apprivoiser
Pour me sentir eux, me savoir d’eux
Et m’y réfugier parfois comme
En refermant sur moi
Les deux coques d’une noix de coco


Lui par contre ne comprend pas

Cette douleur brûlante qui
Fait tressaillir ses moindres nervures
Des siècles pourtant que
Les éperons cinglent son ventre
Ou que
Son poitrail éclate sous l'impact
Des projectiles de métal

* Source d'inspiration de ce texte, une pub que j'ai vue hier soir au cinéma et dont les premières images m'ont captivée: