31 mars- Des chiffres & des lettres

Aujourd’hui, chiffres et lettres que doit retenir ma ptite tête, inventaire infiniment moins poétique que Prévert…

Les codes… la carte bleue, mon immeuble, l’accès à mon compte sur Internet, la consultation d’Amélie, remboursements maladie, le numéro de sécu, le bureau, ceux des copains, le code pin du téléphone portable, celui du téléphone fixe pour consulter les messages et le code APE pour facturer…


Les mots de passe… ceux des trois boîtes mails, skype, les pages myspace et facebook, et ceux des sites de recherche d’emploi, recherche d’appart, stockage de photos, fnac.com et puis, et puis…ceux des ordinateurs, maison et bureau !


Et croyez-vous que j’utilise toujours les mêmes parce que la vie serait plus simple ? Que nenni, que nenni, chacun est singulier, chiffres et lettres mariés pour que personne ne puisse trouver (exemple: achilletalonpartalaplage7895) et parfois c’est le grand néant, je ne sais pas, je ne sais plus, je suis perdue les doigts suspendus au dessus des claviers.

Je sais que j’en ai oublié et c’est sans compter les numéros de téléphone… les siens qu’il faut retenir parce que c’est ainsi plus simple de les partager et ceux des autres -dont combien sont partis !- qui restent là, allez savoir pourquoi, une dizaine au moins. Alors les dates d’anniversaire, sa fleur préférée, le titre du film, du livre ou de l’auteur, le nom du bistrot,où les caser ? Ma ptite tête, c’est une vraie boîte noire !


Attention demain, exceptionnellement, pas de blog!


28 mars- Encore un matin...

Aujourd’hui, je vais vous parler des matins, de mes matins qui doivent ressembler aux vôtres et dont les minutes s’émaillent de gestes rituels. Tout d’abord, je n’aime pas le matin, j’en aime certains et dans l’ensemble je suis tout de même heureuse qu’il se présente chaque jour, c’est plutôt bon signe. J’aime les matins de départ tôt en vacances l’été. J’aime les matins d’hiver qui me surprennent par leur beauté, leur lever de soleil en nappes rouges sur Paris, et me donnent, dès les premières heures de la journée, une raison de m’être levée. Mais dans l’ensemble, je bannis le matin : l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, quel avenir ? Je suis sûre que les idées qui ont changé le monde (il y en a !) ont été pensées, étoffées, écrites durant la nuit. Bref.

Mon réveil sonne à 7h15 tapantes. Mais je suis déjà éveillée depuis vingt minutes au moins par le charmant bambin de mes chers voisins qui semble, lui, adorer le matin, vue l’énergie qu’il met dans sa danse de réveil, parcourant en sautant chaque centimètre carré de l’appartement. A 7h15, lorsque mon réveil m’intime l’ordre de me lever et de marcher sur une mélopée surannée de RFM, voilà donc déjà vingt bonnes minutes que je maugrée dans mon for intérieur et déplore une fois de plus la perte de mes boules Quiès durant la nuit. Après l’évocation de cette perte, s’ensuivent les pensées rituelles, les pfffffff en veux-tu en voilà, j’ai pas envie d’y aller, et si j’y allais pas, et si je disais que j’ai eu une panne de réveil, ah mais oui mais quand je serai réellement crevée ou que j’aurai réellement une panne de réveil… c’est crier ou loup blanc, etc. Je réfléchis donc intensément non sans me replier de plus en plus résolument au cœur même de ma couette. Puis en un instant, mue par un ressort de ma raison, je me lève. Je me lève, je bouscule nounours, il ne se réveille pas et il a bien raison. J'ai bien noté de toute façons que, depuis une vingtaine d'années, nounours est beaucoup moins solidaire.

Dès que je suis sur mes deux pieds, j’enfile les chaussons et le gilet de mémé et me dis, ah, enfin il pleut ! Faux : je me dis, merde, il pleut encore ! Hagarde, l’œil gauche encore fermé je me rends dans la cuisine, pièce sans laquelle aucune suite de journée ne peut décemment être envisagée car là se prépare le café. Et hop, gestes rituels : j’allume la bouilloire, découpe le pain pour le griller, vide l’égouttoir puis presse deux oranges. Durant cette phase culinaire il peut survenir des choses de la vie ordinaire mais qui peuvent revêtir, parce que c’est le matin et uniquement pour cela, une dimension tragique ou prémonitoire, par exemple, on casse un verre. Et puis il y a les événements purement matin et petit-déjeuner, par exemple, on fait tomber le pot de miel par terre ou, en pressant le café dans le Bodum, il vous gicle dessus. Ou encore, on ouvre le frigo et on se dit, merde, j’ai plus de beurre. Eh bien, de tous ces petits détails dépendent la suite de la journée, voire de votre avenir car une courte phrase de mauvaise humeur le matin à votre arrivée au boulot peut s’avérer lourde de conséquences. Bon, mettons que tout se passe bien.

Sur mes tartines je mets du beurre et du miel, on l’aura compris, je les trempe dans un grand bol de café, je les engloutis, avale mon jus d’orange puis prends mon bol de café pour retourner vers mon lit. Là, je mets de la musique, regarde mes mails de la nuit en buvant mon café. Il est déjà 7h50 lorsque le rituel s’achève. Alors je me dis que je suis à la bourre et me pose la question « douche or not douche ? ». En général, j’expédie la douche en 5 minutes, attrape les vêtements qui me passent sous la main mais qui ne sont jamais repassés, m’habille, hop lavage de visage, ptite crème hydratante, lavage de dents et passage en revue de l’appartement. Est-ce que j’ai tout ? Mes clés, mon pass, oui ? Alors j’éteins l’ordinateur, les lampes et le radiateur, enfile mon manteau, attrape mon casque et c’est parti. Tout cela est rythmé par les bruits des autres rituels des voisins: lorsque je me lève une douche coule, à 7h50 un réveil sonne (la chance!), à 8h00 la voisine d'en face s'en va, à 8h15 mes voisins du dessus, futures victimes de mon premier triple homicide, prennent la poudre d'escampette, le tout sur fond de musique, de rasoirs électriques et de conversations.

celui qui suit aura compris qu'il est alors environ 8h20 et je suis déjà en retard. Et pas encore réveillée, toujours dans la torpeur, surtout l’hiver, du sommeil. Je monte sur mon scooter et emprunte le trajet que vous connaissez déjà ou plutôt non, car j’ai changé ! J’arrive au Trocadéro avec 10 minutes de retard au mieux et me rue sur la machine à manger mes matins, la pointeuse, pour qu’elle dévore ma carte. A ce moment là, à cet instant précis de la carte dans la pointeuse, le matin s’achève pour moi, c’est le début de la journée. Au bureau, ils aiment bien me voir arriver le matin, ça les fait rire. Pour me qualifier ils emploient l’adjectif « froissé », « t’arrives froissée » disent-ils et ils ont étoffé les murs de notre local café de dessins caricaturaux légendés « Nadia le matin ». C’est beau la vie en entreprise…

Alors, on notera des variantes. D’abord, le vendredi, je suis chargée des croissants ce qui implique je me lève plus tôt encore ! Ensuite, rarement mais parfois, disons tous les trois mois, je ne me réveille pas seule ! Ben oui, j’ai une vie en dehors de ce blog… tous les trois mois, mais cela influe rarement, hélas, sur ce qui suit, mis à part, peut-être que je ne parle plus seule. Variante minime et le matin est un mauvais moment stratégique pour parler. Parfois, encore plus rarement, trois fois par an disons ce qui est presque comme une fois tous les trois mois, je ne me réveille pas chez moi ! (Truc de ouf). Alors là oui, ça fait du changement, ça chamboule tout ! Parfois, c’est les vacances. Parfois, il y a les grèves ou bien je me rends ailleurs dans Paris. Parfois, il y a les toilettes qui débordent. Parfois, on se réveille malade et on ne peut vraiment pas se lever. Et puis parfois, deux fois par semaine, il y a les samedi et les dimanche où les matins n’existent plus.

27 mars-Petite colère

Comment ne puis-je ôter de mon esprit
Tes mains longues et noueuses
Ont pris les miennes et les ont domptées
Patiemment avec l'agilité des rires
Alors, un doigt après l'autre ont fouillé mes tripes
Pour les dérouler et les piquer
Du bout des ongles acérés
Les ont mises au défi du jusqu'où pouvez-vous endurer?
Ont attrapé mon cœur
L'ont malaxé, longtemps, pétri
Soufflé du froid dans des cavités
Où le vide s'était installé
Puis se sont arrêté
Ont laissé mon corps et mon visage
Mon histoire et mon âme
M'ont laissée là moi qui avais espéré
Comme l'écrit Breton que ces
Deux mains c'était

Assez pour le toit de demain
Moi qui avais voulu tout gober
Tes mains, tes yeux

Ton corps, ton âme
Prendre pour apprendre, comprendre
Je ne reviens pas sur le passé

J'ai tout gommé
Restent la nuit et les heures longues
Les songes agités et les lignes hantées
Le mal et la colère d'enterrer l'inspiration
Et les intuitions féroces de bonheur foulé

26 mars- La pieuvre

C’est ainsi que j’avalai la pieuvre
Dans la nuit a fait son chemin
Jusqu’au bout de mes mains
Et le lendemain sur le papier
Je couchai l’encre noire et bleue
De mes songes entre terre et mer

Esquissai les branches
En tentacules des mondes
Où certains jamais ne trouveraient
L’eau pour étancher leur soif
Mes rêves sont leurs déserts


25 mars -Pluie

Lancinant martèlement
La terre entière mouillée
De gouttes et de brume
Des glaires de mousse
Dégorgent sur les toits
Le village trempé
Au rythme de la pluie
Des feux de cheminée
Des carreaux embués
Vidé, apaisé

20 mars-Croc croc d'île/ d'il?

En ce moment j'ai
La peau du croc croc d'île

Fascinant, terrifiant reptile
Sa gueule ouverte
Est idée de l'abîme
De la mort lente
Croc croc croque
Et pourtant en vous dévorant
Il verse ses larmes
De croc croc d'île ou d'il
La femme les aime en sacs
Lorsque j'aurai des enfants
Je leur lirai les histoires
Que je leur aurai écrites
Exit le loup sanguinaire
Le méchant croc croc d'île
Ou le terrible ours
On n'a pas idée de laisser perdurer
Auprès d'âmes naïves
Pareilles sottises
Faut se mettre à la page
Je leur lirai les hommes
Leurs détritus
Propres et figurés
Qui feront taire à jamais
Le hurlement du loup
Le glissement du reptile
Le grognement de l'ours

19 mars

Alors elle m'a regardée et dit
Vous vous êtes tue tout l'été
Eh bien, écrivez maintenant!

18 mars- Ma barque

L'arche de Noé, le bateau ivre, le radeau de la méduse
Puis ma barque
Il ne faut pas de tout pour faire un monde, ce n'est pas vrai
Il ne faut pas grand chose pour faire le mien
Une poignée d'humains montent sur ma barque
Quelques uns que je n'aime pas
Parce qu'il ne faut pas de tout pour faire un monde
Mais il ne faut jamais oublier les miroirs
Et mes autres miroirs, tous les animaux
Même les moches ou les méchants
Surtout les méchants et les moches
Et ceux qui disparaissent
Climat, braconnage
Tigre, loup, ours, souris, oiseau...
Hop, tout le monde à bord de ma barque
L'éléphant rame avec vigueur
Il craint la mort, quittons la terre
Dans l'ombre du bateau
Sous l'eau, mes poissons
Requin, baleine, pieuvre, ils suivent tous
Même la méduse a été conviée
Etres sans conscience
L'instinct nous guidera
Qu'importe où pourvu que ce soit loin
De ceux dont la conscience
Tranquille
Abattent un homme la tête à terre
Un arbre centenaire
Ou sur la banquise un phoque aux yeux doux
La glace n'est plus que rouge

17 mars- Animal

Sa peau couleur miel
Striée de chemins noirs

Tantôt infimes

Tantôt épais

Ses joues s'ébouriffent

De poils blancs

Qu'on voudrait effleurer
Lui donnent un air bonhomme

Son nez en plaine

Descend vers la rivière

Sa mâchoire fermée

En sourire désabusé
Serre les dents

Ses moustaches blanches

Rideaux de nylon coupés sec

Des grosses pattes

Tendues de muscles velours

Les griffes rentrées

Et des yeux....

Tête baissée pour séduire

Ou relevée sondant le ciel

Sur le rideau miel

La pupille noire

Dompte quelque chose chez vous
Qui se tait, s'immobilise
Comme si vous retrouviez l'équilibre
Décidée, féroce
Suave

Son regard...
Suffisamment vécu
Pour se méfier
Suffisamment vécu
Pour savoir
Qu'il faut tenter
La jungle!
Il ondule en serpent
Suivent ses stries
Au ralenti sans un bruit
Son regard fixe
Meut tout le reste du corps
Des pattes ou du ventre
Se colle à la terre
C'est le tigre du Bengale

14 mars-

Ruelles nues
Blessures discrètes
Lointaines et tues
Entends-tu ?
Les fractures
Discrètes
Je rêve toujours
Attends, espère
Nul n’étouffera ces verbes
Pavés pour mes pieds
Ni ma main qui se tend
Se présente trop souvent
Pire que le rien
Mais,
Continuer, imaginer

Mes rues peuplées de tigres du Bengale
Mes arbres colorés du sourire triste des macareux
Mes avenues d'ours blancs
Mes édifices auxquels se suspendent
Des pandas noirs et blancs
Quand la vie se bariole de nuances
Au panneau barré
Fin de ma ville
Peut-être seras-tu là?
Mais,
Loin de tous les vents
De leurs sens et directions
Ma vie suivra son souffle
Qu’importe d’être seule
Ou d’être peu
A bord du bateau
Pourvu de goûter chaque jour
Au sel des flots et parfois aux
Haltes auprès de quelques animaux

13 mars- MerKiiii

A Nora, Gaël, Nadège, Alfred, Cécile, Martin, Wahed, Olivier, Romain, Corentin (liste susceptible d'être allongée).
En amitié je n'ai, grâce à vous, à chacun, pour des raisons différentes, jamais besoin des retours en arrière!

On ne relève pas les fantômes du passé. Si l’envie nous en prend, c’est le présent qu’il faut interroger : on ne se retourne que lorsqu’on ne voit plus le chemin devant. Mieux vaut alors lire les histoires des autres. Les absents sont absents voilà tout, les mots sont la réalité. Petit poucet…retournez-vous et vous rencontrerez l’ogre. La mode est à la résurrection des amis perdus et des anges déchus pour meubler. Mais on a rien à se dire, au nom de quoi d’ailleurs?, plus de moments partagés et ils ont souvent bien changé. Une fois j’ai retrouvé quelqu’un, le même que dix années auparavant : à son contact j’ai recouvré mon intégrité, découvert avoir conservé quelque chose de droit, de pur. Quelque chose d’infime comme une raison de continuer. Mais à se délecter du passé lorsqu’on craint l’avenir ou qu’on est ombre au présent, on risque bien d’oublier de vivre. Les figures parties ont toujours des allures de héros de romans et on réécrit: écrivons plutôt!


Et pourtant. Néanmoins. Toutefois. Quinze ans plus tard je voudrais en retrouver. Pas pour savoir ce qu’ils sont devenus, ni pour dire « eh, reviens, y a de la place ». Pour pouvoir dire à quelques amis de classe, « eh, copain, tu m’as bien manqué » : pas toi, pas vraiment « tu » en fait… nous. Je connais leurs noms. Savoir seulement peut-être s’ils sont toujours là, vivant quelque part, s’ils ont tenu le coup, s’ils sont heureux. Je pense souvent à eux.

Et il en est d’autres que j’aimerais retrouver pour dire merci. Pas forcément retrouver véritablement : au téléphone, dans un mail, dans une lettre… dire tu as compté… finalement. Pour dire dans ce que je suis là il y a un peu de toi tu ne le sais pas je te le dis alors merci. Les années estompent l’expérience, le suc seul demeure. Dans l’intensité, non dans le temps, se jouent les instants perles de l’existence. Une attention, un regard, un sourire, une lettre. La vie vaut pour ses hasards en poésie qui ramènent soudain de loin une flagrance oubliée. Une note, quelqu’un, une lumière, un moment, un regard, une grosse pluie, un mot d’esprit, de l’âme ou du cœur. Il en est qu’on n’oublie pas. Ce soir je me souviens de l’Irlande, sous mes paupières ma grande Bretagne, et je sais que dans le village je retrouverais ta porte. Si je frappais et que ta mère ouvrait je n’aurais rien à dire sauf dites-lui merci… finalement… En anglais.

Morale : vous la connaissez mais je voudrais prendre la peine de m’en assurer. Les relations essentielles sont comme le grand vin. Il faut leur laisser le temps de mûrir, de prendre de la bouteille, des zones d’ombre, avant d’en explorer tous les parfums. Et parce qu’il est nettement plus onéreux de se procurer aujourd’hui une bouteille vieille de quinze ans, mieux vaut parier sur l’avenir, le voir et investir dès maintenant sur un crû prometteur (moyennant un peu de flair et quelques erreurs qu’on ne répètera plus). Tellement plus simple de vous dire au présent vous comptez tant… merci! Chaque jour je goûte la saveur de votre présence, la ravive en votre absence et c’est ainsi que, ensemble, dans quinze ans, nous ouvrirons la bouteille.

Zêtezémus?

12 mars- La cruche

Y a une cruche sur la table
Vous l’avez saisie vous l’êtes passée
De main en main
L’avez remplie, remplie
Vous êtes servis l’avez passée
De main en main
Vous avez réchauffé son anse
Lui avez donné corps
Elle vous a saoulés
Vous a ouvert les portes de l’oubli
Et c’est vous maintenant partis
Qui l’avez laissée là
Seule, vide sur la table

11 mars- Le poème

La poésie est partout, libellule, agrumes, pollen, particules de lumière, peau sur le lait… virevolte… saisir son évanescence. Sans forme.

En vers ou en prose, mes amis n’aiment pas les poèmes ce que je regrette amèrement, on s’en doute à la lecture de ce blog. C’est sur lui que je voudrais m’étendre aujourd’hui comme sur une plage.


Le poème est minéral, pierre précieuse ou sculpture taillée sur un bloc de pierre sans âge. Beaucoup d’outils pour le faire naître, petit ou grand : les cinq sens en alerte, conscience et inconscience en ballet, patience. Les vagues de souvenirs, faits et sensations mêlés se conjuguent au présent, parfois à l’avenir lorsque des yeux l’inspirent.


Chaque mot y prend sa place, entière. Le poème seul le met en perspective, lui octroie son épaisseur, sa polysémie, ses origines, ses sons, sa longueur et son rythme. Le poème seul confère au mot une véritable sociabilité : lui fait tenir la main de son voisin, l’enjambe ou l’isole. Alors, le mot choisi, lié ou délié, s’exprime, parle, exhale : il faut lire à haute voix, se laisser ballotter, s’endormir ou courir le long des palpitations du poème. L’association incongrue de deux mots en fait naître un troisième. En surface, quérir le sens ou plonger pour être envahi par l’essence.


Le roman, le film, la nouvelle : histoire en intrigues, personnages et péripéties. Une histoire qui touche et émeut. Le poème c’est notre histoire qu’il éveille, non celle vécue les yeux ouverts, celle filigrane de sensations qui court en mille-pattes sur l’échine de l’âme. Il fait tressaillir, frissonner une sensation oubliée. Plus les mots y sont faibles et plus ils sont forts, creusets où puiser ou se trouver. Qui n’aime pas les poèmes a fermé une porte de lui-même. On ne peut ne pas aimer les poèmes lorsqu’on aime les chansons, la musique, on n’a juste pas trouvé ses poètes ou ses poèmes. Le poème est un tableau et devrait être exposé comme tel.

Car on ne lit pas un recueil de poèmes. On en prend un, on s’en délecte, on le laisse faire son chemin, complètement. La lecture du poème exige la patience comme l’enfant se délecte longuement du berlingot. Un second, demain peut-être, ou un autre jour. Le poète, ses poèmes, c’est comme la poésie : ça se saisit, évanescent, sur l’instant. L’envie soudain d’un poème, tendre le bras, attraper le livre, ouvrir à n’importe quelle page. Le recueil de poèmes est un livre d’images mouvantes.


Pour clore, après Brauquier et d’autres évoqués sur ce blog, voici un poète à découvrir : la lecture de ses longs poèmes en prose peut sembler décourageante mais à chaque page il est un, deux ou trois mots, qui touchent. Voici ce qu’il écrit sur la poésie :

« Mais qu’est-ce que la poésie

Le proverbe ne le dit pas

Elle est peut-être je m’avance

Les sables ici sont mouvants

Elle n’est peut-être

Que ce qui ne s’oublie pas

Ce qui ne se découvre que les yeux fermés

Le jour et la nuit ensemble

Derrière une porte condamnée

Qui ne peut jamais s’ouvrir

Que si on ne la force pas

Le poète est celui-là qui ne cherche pas mais trouve

Par haute fidélité

A ce qui n’existe pas

Comme l’homme existe et s’en va. »

Georges Perros- Poèmes bleus


10 mars- (Sans titre)

Ce n’est pas le temps qui manque
Ni lui qui fait défaut
Mais tes pas dans la rue
Qui marchent près de moi
Sans lesquels le temps n'existe pas

Je voudrais étancher le besoin
La nuit de retrouver mes semblables
Me dire tout le monde est là
Me dire ils sont comme moi
Et je suis, là

Et si un matin je me réveillais seule
Personne dans les rues
Personne pour me lire
Et personne à qui dire
Vous êtes là, vous êtes comme moi
Faudrait-il alors raconter une histoire?
Il était une fois...

Il était une fois moi, là
Le néant caché au creux de mes sourires

La peur dissimulée sous l’aisselle de mes rires
Je m'envole sur les paroles en l’air
Et regarde Paris parée de ses lumières

6 mars- Avec vous

C'est un p'tit texte de rien du tout
Et je vais l'écrire avec vous
Il tient dans la paume de vos mains
Comme une cocotte en papier
Ses feuilles en duvet blanc ébouriffé
Il a les oreilles roses arrondies
Ouvertes à tous les vents
Ses pattes brunes
Chatouillent vos lignes de vie
Et son museau gris humide
Hume les effluves de votre existence
L'évidence verte de ses yeux
Protégée par des longs cils
Et dans la paume de vos mains
Petit texte de rien du tout
Cocotte en papier
Vous sentez les pulsations
Fragiles de son coeur bleu
Laisse de l'encre sur vos doigts

5 mars- Assez

Assez de
Ceux qui
Remâchent, ressassent
L'histoire et leur passé
Ceux qui
Qui n'ont pas su huiler
Les rouages de l'existence
Cherchent encore la main
De leur maman
Ceux qui
N'ont pas encore regardé
Leur reflet dans leur glace
Pour envisager une place
Ceux qui
Se cachent
Dans les limbes de l'ombre
Entrent dans l'arène
Et fuient par les gradins
L'absence les émascule
Assez, plus de temps
A perdre pour soigner, panser
Penser pour vous
Je ne suis pas vous

Ni à vôtre place
Vous n'êtes pas mes amis
Et le phoenix renaît de ses cendres

3 mars- Couleurs

Cavalier de l'aube bleue
Dans la clairière d'un désert
Gorge-toi des jeux de lumière
Laisse ta monture s'abreuver
A la source clarsemée de soleil
Dénoue les étoffes qui étouffent
Ta peau basanée caramel
Ote les bottes élimées par le vent
Et le rouge turban
Qui retient ta chevelure
C'est le repos du guerrier, cavalier
L'heure de libérer
L'escarbille orangée de ton regard vert
Vers le voyage mauve des nuages
L'immensément ailleurs
Heure de l'échappée belle