17 octobre- Série lettre ouverte à (1)

Cher Martin,
Pendant que tu écris et vogues en mer baltique, tout ça pour revenir et pouvoir crâner en bobo du 11e arrondissement, alors qu’il s’agit de deux activités inutiles et tout à fait dignes d’un intermittent du spectacle, sache qu’ici il se passe des choses. Imaginons d’abord ton périple : il fait gris, froid, humide, ça sent le sel, le poisson et les odeurs de vie d’un équipage confiné là pour des semaines. Tu as du vomir déjà trois fois au moins, sur le pont tu affrontes la bruine pour guetter la trace de MON ours, mais rien. Mais alors, rien de rien, nulle part, à bâbord, à tribord, seulement le ciel où des milliers de canards se sont pendus. Néanmoins, n’oublie pas de dire bien fort les bras ouverts: « je suis le roi du monde ! » à un moment donné, afin de définitivement sceller ton destin à celui du 7e art. Si tu peux, au point le plus haut du navire, crie que tu existes parce que là où tu te trouves, il faut avouer que ce n’est pas une évidence. Tiens, je vais acheter une mappemonde, c’est joli une mappemonde.

As-tu déjà reçu les avances du capitaine du navire ou d’un de ses matelots? Si non, cela ne saurait tarder. A mon avis, remballe jeux de mots, cynisme, humour noir et degrés de conversations si tu veux conserver tes degrés… de latitude. Alors qu’ici… Ici, il pleut mais il fait doux, ça sent les feuilles mortes en tas sur les boulevards, la lessive devant le pressing, le crottin fumant boulevard Sully-Morland. Ce matin, j’ai fait du scooter (tandis que toi, niet), la course avec une mouette, vu la Seine écumer et des canards, pas du tout dépressifs, s’envoler en effleurant la surface de l’eau. Je me suis aussi battue avec une feuille qui m’a littéralement agressée, bref, c’est peu dire qu’il se passe des trucs. Tiens, as-tu vu une seule feuille depuis ton départ ?

Pendant que tu es SEUL à écrire sur ton bateau, j’ai rencontré un voyageur, caressé un chien, parlé à un boulanger et envoyé mes écrits pour qu’ils ne soient plus seuls. Ce week-end, lorsque tu t’éveilleras dans les bras du capitaine Chabal et que tu mangeras tes harengs en petit déjeuner, j’attaquerai vers 12h un petit-déjeuner bien français, avec du PAIN et des croissants. Le soir venu, peut-être savourerai-je la choucroute nouvelle, miam… A propos, hormis les harengs, tu manges quoi ? Dois-tu tuer pour te sustenter ? Les nuits sont longues, non ? Le bruit des flots verts, la cheminée qui siffle, les portes des cabines qui claquent, le lit qui tangue, le maigre repas lyophilisé qui remonte, la couverture trop petite, l’humidité pénétrante et ta lampe de poche cassée. Allez va, j’irai boire un verre à ta santé dans ton bar préféré où il y aura plein de monde pendant que toi tu seras bien tout seul devant ta page blanche. Tu sais, il faut rompre les clichés du poète maudit et s’affranchir de la lueur vacillante de la bougie : nul besoin de souffrir pour écrire (ah, je ris de me voir...)! De fait, à ton retour, si tu reviens car enfin rien n’est moins sûr, tu seras heureux de m’avoir pour amie car je te présenterai alors le cercle des poètes de la Caravane et, éventuellement, faciliterai ton intégration.

Donc non, je ne t’envie pas le loin ni le moins du monde dans ta prison flottante. Si tu peux, envoie-moi un mot juste pour me dire que non, non, en plus tu ne vois ni phoques, ni pingouins et surtout aucun ours blanc. Aucun !

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