12 mars 2007- A ma grand-mère

Il y a Paris
Des rues trempées de rouge
Et puis l'aéroport
Le soleil qui pointe
Les couloirs de foule épanchés
Arrivée la chaleur
La soif inextinguible
Sur l'échine des longues files
Impossible d'étancher

J'ai souvenir de la cour
Presque de récré
Carrelée, marbrée
De vert, de blanc, de bleu
Et de fleurs veinée
Kaléidoscope
Vitraux de l'édifice
En leurs coeurs nichent
Les mélopées d'enfants
Sur leurs pétales percutent
Les appels des mamans
Brodés des vapeurs
D'un muezzin en pleurs
Le ciel se froisse à peine
Du vol d'une hirondelle
Et jette ses embruns
De sable, de sel, de crème
Et ses immenses files
D'une lourde paresse

La vieille femme repose
Sourde dans une pénombre close
Des fenêtres lascives
Arrondies de barreaux
Tintent les rideaux
Ronds de perles plastiques

En son corps assoupi
Couve un peu de ma vie
Les traits de son visage
Appartiennent à mon père
Un peu de mon image
Elle a le souffle fort
Cadencé et ouaté
De ceux qui ont vécu
Le sommeil apaisé
Nimbé des rires d'enfants
Les grands et les petits
Les siens poupées arabes

On m'a dit il y a peu
Que tu étais partie
Pourtant au fil(s) de maux
Tu palpites et tu vis
Et lorsque le sommeil
S'invite dans mes draps
Je sens encore ton souffle
Sirocco sur mes bras
Plage de sable brûlant
Etendue de mémoire
Gorgé de vagues
D'une mer écrémée
Les lèvres citronnées
Et la fleur d'oranger
Ma vie à l'eau de rose
Le miaulement du chat
Et puis le lait entier
Qui me fait une moustache

Et chaque après-midi
Repus des rêves de sieste
On sourit en pastèque
On engloutit des pêches
On s'emmielle de coings
On jette des baquets d'eau
On la racle on la pousse
Et on humidifie le moindre
Petit recoin des
Marbres bleu, blanc, vert
Cour aux parfums jasmin
Où assise par terre
Une vieille femme
S'affaire au repas

Sa peau fleure l'ail et la tomate
Cuirassée d'huile d'olive
Entre ses doigts file la semoule
Egrène le temps
Ecosse les pois chiches
Les fèves de ses rois
Ah, des souvenirs j'en ai
Aux yeux larmes de khôl
Les moustiques parasites
Comme la vie sucent et piquent
Les méduses métaphores
Les bonbons de l'amphore
A terre là cassée
Ramassés à pleines mains
Je sers les poings je sers
Quand l'enfant étouffe encore
Tous les cris de son corps
Allez petit cousin,
Oublie, t'es trop petit
On ira voir toi et moi
L'âne et le chameau
Plantés dans ce désert
Qui précède la mer
Ils mâchonnent le temps
Les aiguilles de cactus
Et les chardons ardents
Qui égratignent les pieds
Le long du chemin souffré
Qui mène à la plage

Vieille femme tu reposes
A présent tu disposes
Comme dans toutes les chansons
Je ne t'ai jamais parlé
Jamais rien demandé
Pris ce que tu donnais
J'ai appris à nager
Pas à me laisser flotter
J'ai frotté mon palais
Au piment des mille et une
Vies au creux desquelles
Mon père naquit
Ton pays et ta langue
Ne sont même pas à moi
J'hérite de tout cela
Passé aux remugles de plats
De poissons, de fritures
De légumes découpés
De sauces et de tes mots
Que je ne comprenais pas
Vent d'enfance
Aux allures de vacances
Aux couleurs de l'été
Dans ce pays où rien
Naît à moitié

En moi poussent
Tes racines
Collier de jasmin
Autour duquel s'enfilent
Les grains de sable aux reflets
De terre
De mer
De fraise
Et de mémoire vivante

Aucun commentaire: