8 octobre - Les escargots

Plusieurs semaines déjà que je me dis qu’il faut écrire ce texte. Mais je recule devant l’ampleur de la tâche et de l'aveu, je me dis aussi que, une fois n’est pas coutume, le fond sera privilégié à la forme et que ledit fond révèle une naïveté frôlant le ridicule. J'ai deux ans, je sais que c'est pas vrai, mais je n'en suis pas sûre.... Pourtant, j’ai besoin de formuler ces moments que je vis dans une grande solitude. Et, comme d’habitude, vous avez le droit de rire (il le faut...). Alors voilà, aujourd’hui je voudrais vous entretenir des escargots.

Entre chez moi et l’appartement de mon amie Nadège, il y a un petit parc, que je longe ou traverse, selon qu’il est ouvert ou fermé. Ceux qui me connaissent savent que me rendre chez Nadège n’est pas anecdotique car j’y vais souvent (en fait Nadège me nourrit, me concocte des petits dîners avec des légumes : merci Nadège :-)). Je rencontre souvent des chats et, dans l’obscurité de la rue Titon, je partage un câlin avec eux sur un bout de trottoir. Je suis parfois contrainte d’attendre que quelqu’un entre ou sorte d’un immeuble pour tenir la porte au chat qui miaule devant. Peut-être écrirai-je un jour sur les trois chats de cette rue.

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à mes escargots. Vous avez pu remarquer que cet été, et dernièrement aussi, il pleut pas mal. Alors sortent les escargots. Partout mais alors partout, je n’ai jamais vu pareil phénomène ailleurs. Il semble que tout d’un coup le parc transpire de tous ses côtés des centaines d’escargots. Résultat, je perds une demie-heure au moins chaque fois à les écarter des passages humains. Un par un je les décolle du bitume ou des allées du parc et les replace sur les feuilles, plantes et herbe du jardin. J’espère chaque fois que le temps qu’il leur faudra pour refaire le chemin vers les souliers des hommes sera suffisamment long pour que des hommes, il n’y en ait plus beaucoup à ces heures de la nuit. L’opération est parfois un peu compliquée par les grilles fermées du parc à travers lesquelles je dois passer le bras pour glisser le gastéropode vers la verdure. J’arrive en retard chez Nadège ou rentre tard chez moi mais, lors de mes opérations de sauvetage, je ne croise jamais personne et évite ainsi d’assumer le ridicule de la situation. Il n’y a personne et c’est normal parce qu’il pleut.

Hier soir, je rentrais (de chez Nadège pour ceux qui suivent) et soudain j’entends un crac sous ma chaussure. Je regarde. Je venais d’écraser un escargot. Croyez-le ou pas, je vécus là quelques secondes de profond désarroi. Je n’avais pas vu. Il pleuvait pourtant, j’aurais du prendre garde. Je n’osais me retourner pour voir dans quel état je laissais la limace par crainte de connaître une nouvelle insomnie. Oui, me disais-je, ce n’est qu’une limace. Mais non, c’est faux et puis d’ailleurs, j’aime bien les limaces aussi, même si je me garderais bien de les toucher à mains nues. Les escargots ont une manière de se recroqueviller dans leur coquille dès qu’on les saisit qui fait d’eux des êtres réagissant au monde. Il y en a des gros, des petits, des moyens et j’aime leurs antennes tendues vers les cieux : elles semblent dessiner des parois invisibles. Je sens dans leur périple hors du parc une sorte de tentative d’avancer, même lentement, et de franchir les frontières. Quelque part, j’admire les escargots et leur maison sur le dos. Alors hier soir, je me suis remise à mon sauvetage avec d’autant plus de ferveur que je venais de tuer un escargot. Il y en avait beaucoup, à tous les angles du parc. Je regardais mes pieds fouler le bitume pour ne pas en écraser d’autres. A ma victime, je demandais pardon. Je demandais à chacun également de pardonner la frayeur en instinct qui les rétractait au fond de leur maison lorsque je les détachais du sol, leur expliquais que c’était pour leur bien. Peut-être est-ce cela le rapport à Dieu ? Je suis cette présence que les escargots ne pourront jamais comprendre ni visualiser. Présence qui annihile en un instant des heures de glissade pour sortir du parc. Ils ne savent pas eux que je leur évite la mort. Mais cette mort fait peut-être partie des conditions de leur espèce que je perturbe. Peu importe. Je relègue ces questions, sauve, momentanément, une bonne trentaine d’escargots. Car, pour me ménager, j’ai intégré très fort en moi que je ne peux rien lorsque je ne suis plus là, que l’important est de faire et de donner tout ce qu’on peut et ensuite...advienne le reste de la vie. Lorsque j’ai estimé avoir fini et nettoyé tous les trottoirs des escargots, je croise des gens dans la rue, assassins d’escargots en puissance et les assaille d’un regard noir. Je crois que, après les bébés animaux, me voici dans la totale incapacité d'avaler à nouveau un escargot.

Je suis vraiment contente de déménager dans deux semaines, il y aura moins d’escargots là-bas, c’est sûr. Il y aura sans doute des oiseaux et je leur mettrai des blocs de margarine pour l’hiver, c’est moins compliqué que les escargots.

Je sais que si un jour un de mes amis se trouvait avec moi, il m’aiderait dans ma tâche et c’est pour cela que j’aime mes amis et que je suis fière d'eux. Lorsque j’étais encore plus petite qu’aujourd’hui, mon père me disait qu’un ami c’était quelqu’un capable de ne pas poser de questions devant un cadavre qu’on lui demande de transporter. Je n’en suis pas là, du moins pas au sens propre. Mes amis ce sont ceux qui, sans poser de questions ni contredire des raisonnements qui n’en sont pas, décolleront patiemment les escargots du bitume, attendront avec moi devant une porte pour faire entrer un chat, suivront un chien perdu dans la rue pour le recueillir ou pouvoir lire son collier.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci de rester cette enfant de deux ans, quoiqu'il t'en coûte.

Anonyme a dit…

Loin d'avoir deux ans, je fais encore ce genre de choses, y compris devant les "ON" qui pourrait me voir et écraser un rictus.
Avez-vous pensé à reposer l'animal dans la direction où il pointait ses cornes: en direction de son but ?
Les oiseaux (à la campagne) posent le problème des chats...Eux aussi, mais au deuxième degré, aiment qu'on mette de la margarine...

Mick Kelly a dit…

J'aime beaucoup ce que ce texte dégage. Je ne trouve rien de ridicule dans ces moments que tu racontes au contraire, je suis toujours touché de croiser quelqu'un qui à un regard comme le tient.
Belle nuit :)

Anonyme a dit…

C'est là une belle confession. Cette empathie avec les formes de vie, même les plus frustres trahit un cœur sensible et sauf. Sauf de la froide indifférence, de l'indifférence glacée. Et ça,
j'aime !
Merci pour eux kahouette !

N./ a dit…

J'étais en vadrouille à Niort, pour changer...(clin d'oeil à ceux qui savent que j'y passe du temps, trop de temps. Enfin, certains trajets en train apaisent). Me revoici donc et je trouve vos commentaires. Ben dis donc, ça fait plaisir, je suis touchée en fait (chut, faut pas le dire...)
* Marie-b. Savoir que tu es là, car c'est bien toi n'est-ce pas?... et puis la formule ramassée et dense de sens car, eh bien, tu me connais... Merci, ça m'a émue.
* Joruri, vous seriez donc de mes amis, c'est sûr, un ami maniaque :-) J'évacue tout de suite votre idée de sens des cornes, histoire de ne pas compliquer davantage mon existence ni d'encombrer mon âme de nouveaux questionnements existentiels... J'habite en ville, donc les oiseaux ne poseront pas de problème aux chats que je n'ai plus. J'en parlais il y a peu d'ailleurs, de ce sens inné qu'ont les chats des oiseaux. Un chat d'appartement qui découvre la campagne est immédiatement émoustillé par l'oiseau (moins par l'écureuil par exemple), même s'il n'en a jamais vus. C'est l'amour chat... Quant à votre deuxième remarque, voilà qui incite à partager davantage des expériences, au premier abord naïves, mais dont les lecteurs comme vous font ressortir l'épaisseur. Merci pour tout donc.
* Mick, j'apprécie autant tes incursions ici que les miennes sur ton blog, que je vais d'ailleurs ajouter à mes univers, si tu y consens. Comme je te l'ai dit dans mon dernier commentaire, les moments et émotions que tu partages, me parlent souvent, j'aime leur intimité, leur douceur et leur pudeur, avant la recherche des beaux mots ou de la formule éclatante. A bientôt donc et d'ici là, je te souhaite de très belles nuits.

Mick Kelly a dit…

Tu peux bien sûr tendre un fil jusqu'à chez moi! J'en serais honoré et ravis! Mais tu n'avais pas à me demander mon accord :)
Et surtout, soit libre de supprimer ce lien si à l'avenir mon blog te plait moins.
Merci en tout cas ce que tu dis de mes murmures. Tes mots me touchent :)
A bientôt!