25 septembre - Une histoire!

Je m’appelle Léa. Enfin non, enfin si, c’est simple pourtant, je vous assure. Pour les autres, je suis Léa. Pour moi et pour ceux qui me sont si proches qu’ils sont moi, je suis Leila. Durant des années, instituteurs et professeurs ont écorché mon prénom. J’étais un lait tourné, laaaaaait caillé de la. Ou bien j’étais une princesse aux oreilles en macarons de nattes. Je n’ai jamais été lait ni princesse, Leila ni Léa. Ni pays ni empire, je crois que j’étais juste comme vous. J’étais.

Vous pensez que je suis une enfant parce que j’écris comme une enfant. Que mes phrases sont élémentaires et sans vocabulaire. C’est que je pense ainsi. Ca me calme, ça m’apaise. Ma voix intérieure me parle comme si j’étais un bébé. A voix haute je ne parle pas ainsi sauf aux animaux. Je bêtifie en somme. Ca m’apaise autant que le regard d’un chien. Mes mots simples ordonnent le monde, en douceur et sans heurt. Rien n’existe tant que je ne lui ai pas trouvé un mot simple. Aucune question sans réponse non interdite aux moins de six ans. Viens, nous allons être heureux. Dis, c’est quoi nous ?

Je suis un enfant, je suis Leila, je suis Léa, je suis les autres, je suis comme vous, je suis vous. Je+je+je+je+je = nous. Nous. Nous devrions prendre garde à nous parler comme aux enfants. Doucement. Prononcer distinctement, avec des mots simples. Mon cœur, ma chérie, mon loulou, petit chou. N’aie pas peur, ne crains rien, je suis là et regarde sur le mur, le soleil dessine pour toi des morceaux de chocolat. Se ménager comme un rêve, se fâcher dur lorsqu’on fait des bêtises. Je m’appelle Léa et lorsque j’en ai décidé ainsi j’ai fait une bêtise. Je n’avais pas compris que ceux auprès desquels je pouvais décider de m’appeler je les avais choisis. Qu’on choisit les autres au gré de ce qu’on est, pas selon un prénom ni une identité mouvante. Je n'avais pas compris qu'on ne décide pas. Quel prénom désigne le pays de mon esprit ? Parfois, je suis la Marianne évanescente des paquets de Gitanes. La Marianne aux seins cancérisés, le coeur croustillé par le regard d'un chat.

Je suis Marianne. Les vacances c’est l’absence de parole. Retrouver la valeur des mots et du dire, ne plus parler pour ne rien dire sauf pour rire. Partir au plus près, au plus juste. Partir avec tout ce qu’il faut pour éviter d’adresser un mot ne serait-ce qu’à la boulangère. Economiser jusque dans les produits de première nécessité. Oui, bonjour, et pour vous ce sera ? Un euro dix, merci, bonne soirée, oui, bonjour, et pour vous ce sera ? Elle débite en boucle sa litanie stridente sauf lorsqu’elle parle aux enfants.

Après quelques jours, je recouvre l’espace de mon intégrité. Ne plus parler du tout, ça m’apaise. Ne plus parler du tout et j’entends mon pouls jusque dans mes chevilles. J’entends ma respiration en colonne vertébrale. Ne plus parler du tout, à mesure un pays s’installe qui ouvre ma bouche en sourire. Mes yeux sont des crayons de couleurs, je me tais et des paysages se précisent. Les peuples ont mes boucles brunes et courent en nomades. Dans leurs mains, sur leurs épaules ou sur leur dos, s’accrochent les animaux de ma terre. Ils s’engouffrent dans des courants de vent tiède et le soir, allongés sur le dos, tendent pieds et pattes vers la lune pour que ses rayons les massent. Puis ils s’endorment en amoureux au creux d’eux. Dans ce pays on parle avec les yeux verts ou bleus de la mer ; je n’ai vraiment plus rien à dire ni à ajouter, mieux serait insoutenable. Libérées de l'ancre des mots, les images virevoltent, se posent et je les colle. Je deviens Marianne, identité sans parole qu’on aimerait faire parler. Je deviens liberté, loin des sillons et du sang, moi Leila, je suis lait, je suis la d’une sonate, je suis Marianne, évanescente silhouette d’un paquet de Gitanes. Lorsque je reviendrai et qu'il faudra parler je serai l’enfant sans nom, de la bouche duquel sortent des pièces d’or à la place des mots.

2 commentaires:

nanz a dit…

ça me rappelle, j'sais pas pourquoi, les mots d'un autre ... moi la sans-voix.

Ca compte pas
c'est dégueulasse
on nous a piqué nos enfances
ca compte pas
cette fois-là
on n'avait pas prévu tout ça...

N'y comptez pas
j'vous dirais pas
Où on a planqué les morceaux
Nos allumettes et nos copeaux
J'vous dirais pas, j'vous dirais pas

la suite si t'es sage

N./ a dit…

* Ma nanz, voilà ton premier commentaire écrit ici... Alors merci. Ca veut dire quoi sage, dis, ça veut dire quoi? Sage comme une image? Sage comme des images? Les images ne sont pas sages...Les mots des autres ne m'intéressent pas, les tiens, si, toujours, même si parfois je ne semble pas les entendre, ils font leur chemin. Et je souhaite qu'à l'orée de tes 30 ans ton enfance soit un morceau de toi, plaquette de chocolat, que tu connais et dont tu te serves et pas une lande que tu regrettes... Et puis, puisque enfant sans mot prononcé qui ne soit pièce d'or, je ne puis que t'écrire que... pour notre quotidien, les semaines, les mois puis les années qui passent, pour ta générosité, tes rires, ta douceur, ta sensibilité et tes doutes je t'aime bien fort.