5 avril 2007- Les collègues

Mes collègues c’est une colonie de gens bizarres
Il y a Annie, la standardiste qui écorche tous les noms de vos interlocuteurs
Un jour, elle me dit, « je te passe ton frère »
Alors je lui réponds « oui, oui, passe-le moi, il va voir de quel bois je me chauffe celui-là : si longtemps sans nouvelles ! »
Parce que de frère, je n’en ai hélas pas
Il y a Xavier, préposé au courrier
Qui porte des brassières et met du rimmel
Me demande des conseils sur l'achat de collants
Un matin, je lui dis, « Xavier, vous revenez de chez le coiffeur ? Vous avez une nuque superbe »
Alors il passe délicatement sa main sur son cou et, avec un sourire pudique et flatté, me répond : « Vous trouvez ?! »
Il y a mon chef qui part en Tanzanie et me raconte les serpents qui mordent et ceux qui étouffent, ceux qui tombent des branches et ceux qui sont dans l'eau
Il part ce soir, pourvu qu'il revienne car c'est quelqu'un de bien et, un jour, je lui dédierai un poème
Il a la lubie étrange
De collectionner les étiquettes de soutiens-gorge de toutes les collaboratrices de la maison
Qu'il épingle dans un cadre, étiquette, prénom,
date
Il m'a même montré, le plus sérieusement du monde
Comment calculer la taille d'un bonnet
Par rapport à la largeur du dos
Se fixe des challenges, m’envoie en éclaireuse
Lui et moi, on travaille mais on rit aussi
Il s'efforce de caler nos réunions
Dans les créneaux horaires où je peux
Bronzer dans son bureau par la même occasion
Il y a Catherine, à laquelle je demande, « Catherine, il reste des trombones ? » et qui me répond, « non, mais si tu veux, il y a des trombones ».
Il y a Didier, le directeur du journal, un vrai bougon-macquart, soupe au lait à souhait mais lait entier : une vraie crème
Il y a la férue d’équitation et la férue d’éducation
Une p’tite bonne femme porcelaine aux joues roses de poupée
Une psychorigide drapée de dignité
Une perle de bonne humeur, au régime chaque midi, qui porte le prénom du personnage de mon roman, que je n’avais pourtant jamais rencontré auparavant
Et deux juristes croque-mort qu’on malmène gentiment au repas de fin d’année (exclusivement)
Evidemment, y a aussi des méchants et comme les méchants vont par paire pour se (ré)con-forter, ils sont deux: une névrosée d’aigreur et un névrosé tout court
La première en sorcière se cloître dans son beffroi
Et le second, hélas, court toujours
Et puis, à tous les étages, il y a des crocodiles, des tortues, des chats et des lapins en PAIN qui se promènent : c’est la jungle
Le vendredi y a des croissants
En janvier la galette où personne n’a la fève car tout le monde l’avale
Pour ne pas s’encombrer de la lourde responsabilité de désigner un roi
On pourrait en effet, tout le reste de l'année, payer ce choix délicat
On fête les anniversaires qu’on arrose de champagne
On parle beaucoup météo et du mince, y a plus d’saisons
Et puis du, alors Ségo ou Sarko?
On a une cuisine et même la machine à expresso de Georges Clooney
C'est sûr qu'il manque Georges, mais enfin sans défis
La vie serait moins drôle
On a aussi les "ça va? oui, comme un lundi"
Et mon bureau ouvre sur une cour
Où le soleil drague les balustrades
S'unissent sur les murs blancs immaculés
Jeux de lumières subtils
Et à 17 heures précises
L’envol des étourneaux
Fait palpiter mon carré
De ciel

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