9 juillet-Vie quotidienne

Dans un restaurant café, ambiance cuivrée et zinquée, où il fait bon s’asseoir boire un verre seule pour regarder et écouter, j’attends quelqu’un. Les conversations effleurent l’oreille puis se retirent à la manière de la vague. Je les attrape par miettes, tends l’oreille vers certaines et ça marche. Entendre n’est qu’une question de volonté. Ecouter est une autre histoire.

«Je sais que j’en ai trop demandé, et je sais qu’il était trop tard. On a beaucoup partagé. Tu peux pas savoir, parce que je ne sais pas comment te dire». Une jeune femme, forte, parle à un ami. Pas à son ami, à un ami. Il est de dos.

A côté, une femme d’une soixantaine d’années a la voix de Jeanne Moreau, suffit de fermer les yeux pour être propulsé dans un film de Truffaut. La parole en écume de goudron. Elle n’a pas d’enfants et elle le dit à son amie qui ne pipe mot, écoute et mange, les yeux effectuant un unique trajet de l’assiette au regard de son amie. Comment ces gens se sont-ils rencontrés? Qu'est-ce qui les lie? Peut-être Jeanne Moreau a t-elle convié son interlocutrice à partager sa table il y a peu parce que chacune mangeait seule dans son coin. Ou peut-être sont-elles amies depuis quarante ans.

Menu du jour, pavé d’espadon, carottes vichy et réduction balsamique. Une heure plus tard le serveur est surpris que je le connaisse, le menu du jour ; s’il n’est écrit nulle part dans le restaurant pour être dévoilé ensurprise, il est inscrit dans mon cahier. Le cahier rouge touche à sa fin. Ne reste plus qu’une page. Durée de vie, un an, je sais précisément quand je l'ai commencé, je revis le moment. Il y en a des instants, des histoires et des adresses lovés au creux de ses petits carreaux. Lorsque le cahier est fini, tout reprendre, entrer dans l’ordinateur, revivre l'instant dont il est question et le moment de son écriture, jeter le cahier ou le donner, en commencer un nouveau.

Un groupe d’amis entre, ils sont six. Tous en couple sauf l’éternel retardataire qui se fait huer à son arrivée. Ils parlent boulot, déroulent la semaine et les phrases se croisent. «T’aurais vu sa tête !»; «Il aurait pu passer et moi ça m’a saoulée», «Ca c’est hyper stratégique.», «Oui, c’est un peu ça le gouvernement espagnol.». L’un d’eux a un t-shirt bleu roi et tient sa cigarette comme une femme qui ne sait qu’en faire. Il ne cesse de lui jeter des coups d’œil, semblant vérifier qu’elle se consume pendant qu’il tire dessus. La regarde comme s’il attendait qu’elle lui dise quelque chose. Isoler les conversations, revenir au couple d’amis du début.

«C’est marrant, je suis dans des schémas mais là je suis dans autre chose. Je sais que c’est pas le mec qui baise pas, euh…». La jeune femme cherche ses mots, navigue entre l'indicible, l'intime, les frontières et limites de l'amitié.

Le barman est bonhomme, il sourit, circule entre les tables mais son regard est vide et il percute le portemanteau. Sous coke ? Depuis un certain temps, tout le monde me paraît ivre ou sous coke. La moyenne d’âge c’est trente, trente-cinq, exception faite de Jeanne Moreau. Un cheveu s’est glissé dans l’épingle du capuchon de mon stylo et du coup j’attrape mon stylo avec un cheveu. Le stylo, l’écriture, la plage de temps à venir et déjà passée ne tiennent qu’à un cheveu. A mes pieds, les phares des voitures esquissent des taches mouvantes et humides et j’ai chaque fois la sensation qu’un animal passe.

«Mais à côté de ça, j’suis une nana. J’ai aussi conscience de mes défauts, j’essaie de les travailler », à partir de là, je perds le fil ou le cheveu, car c’est mon tour de devenir interlocuteur, de devenir conversation, objet et sujet d’écoute.
Le blog du jour était long, je sais.

1 commentaire:

Marivaudage a dit…

Je viens de relire ce texte. Je le trouve vraiment TRES TRES bien. Ca me rappelle vraiment Modiano : des bribes de phrase, des personnages un peu flous, des noms propres qui surgissent mais qui n'altèrent l'atmosphère mystérieuse et anonyme de la scène.

bravo !