6 janvier

Il me demande ce qui me fait le plus peur. Dehors, il neige vraiment. Je lui réponds la mort des miens, douleur sans frontières. Demain, ça glissera dehors, peut-être devrais-je renoncer au scooter. Il m’interroge sur ma propre mort, je lui dis que je ne la crains pas, sans doute parce que je n’ai pas suffisamment grandi pour l’envisager. J’allume une cigarette. Demain sera toujours mieux. On fera une bataille de boules de neige. Demain, ça glissera dehors mais il faudra aller travailler. Demain c’est tout à l’heure, si loin parce qu’il me demande. Si ce qui compte c’est aimer. Oui, quelqu’un, plusieurs, un projet, un livre, un oiseau à ma fenêtre, le regard fissuré de tendresse d’un chat. Cela faisait bien longtemps que demain ne m’avait pas semblé si loin. Bardamu a connu ce froid qui règne dehors et il l’a gardé en lui. Tu me demandes encore ce qui me fait souffrir. L’incompréhension, la mienne devant toi ou devant le monde, la vôtre, la tienne, l’incompréhension est pli de l’impuissance. A mesure que la neige recouvre Paris, ta présence s’insinue en moi, chez moi et je songe à ceux qui dorment dehors. Le monde est vaste, dit-il, non, le monde a mes limites, le jour où je fermerai les yeux il disparaîtra. Il y a deux ans déjà nous avions toi et moi parlé longuement durant la nuit. Une nuit d'hiver aussi. Doucement pour ne pas froisser le sommeil des autres, ceux qui roupillent sans se douter que non loin s’échappent des secrets. Confidences ouatées d’une ville assoupie. As-tu déjà connu la mort ? Oui, elle a plusieurs visages. Je lui demande si je devrais régler quelque chose à l’issue de cet échange. Il me répond non j’aime t’écouter parler. Il dit je, moi aussi. Et la solitude, interroge-t-il. Alors, je mens, tout ne se dit pas. Il est des contrées qu’on n’a pas explorées suffisamment loin encore pour les délimiter de mots. Ou trop sauvages. J’ai eu la grippe tu sais, dans la fièvre, j’ai revu ton visage. J’ai eu la grippe, j’avais froid tout le temps, mais il fallait sortir tout de même faire des courses. Demain matin, tout à l’heure, je me dirai que j’ai rêvé. Comme toujours. Il me demande si j’ai déjà écrit seulement pour dire ce que je suis. Non, je ne veux pas. Je rêve d’écrire mais n’écris pas pour de vrai. Je ne suis pas des mots. Pourquoi alors ? Pour maintenant par exemple, pour que ta voix franchisse l’aurore. La tour Montparnasse a disparu dans la neige. Hugo s’est transformé en monstre. Non, Hugo était marionnettiste de tous ses personnages, il ne les a pas investis, ne s’y est pas mis en danger. Il en a fait des êtres autonomes. Mais je peux te parler d’autres, j’en lis un en ce moment justement qui… T’ouvrir des poèmes ? Je ne lis pas tu sais bien, lis-moi toi quelque chose de toi. Il fait noir, je ne vois rien, je ne veux pas allumer. Sur mon ordinateur alors, je te lis la première page de Sur le Fil, j’aurais pu te lire un poème que j’ai écrit sur toi et la place Vendôme. Tu m’as laissé un des mes plus beaux souvenirs. Mais tout ne se dit pas. J’aime la vie pour ces moments surprenants où tu surviens quand je ne t’attendais pas. Tu as écrit un livre et l’as fini hier. A l’autre bout de quelque part, ta voix ravive tes yeux verts. Tu sais, j’ai changé, je peux maintenant soutenir ton regard. C’est que, à l’aune d’autres yeux et de vieux souvenirs, j’ai sondé depuis la profondeur de mes faiblesses. Et des joies en feux. Je ne joue plus joues-tu. Je ne te crains pas, je voudrais… mais j’aimerais ne plus parler et si je te revois, je saurais te dire.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Au temps des "je vous souhaite", "bonne année" et autres meilleurs vœux, j'adore ta manière de nous faire parvenir les tiens.

L'année commence bien.

N./ a dit…

Marie-b., j'ai le rouge aux joues... Disons que l'année s'amorce bien, souhaitons qu'elle commence bientôt...
Quand est-ce que tu passes par chez moi? En attendant, merci de passer par là, je te souhaite plein de choses.

Anonyme a dit…

Tout est entre les lignes. Les lignes ne sont que le silence qui délimite un verbe murmuré.

Anonyme a dit…

Ce n'est pas vraiment commentable.
Ecoutable, oui.
:)

N./ a dit…

Joruri, oui...