En février, mon scooter et moi avons fêté nos un an. Une année chargée, pour lui et moi. Au début, mon scooter s’était dit que la vie avec moi serait douce et peinarde. Né dans la plus belle ville du monde, il dormait bien au chaud, aux côtés d’un compagnon de route et d’une voiture bienveillante. Petit dernier de la bande, ses copains veillaient sur lui, lui prodiguaient des conseils tout en enviant secrètement sa jupe et ses manchons fourrés. En somme, enviaient leur copain d’être un scooter de fille… Mon scooter, durant les premiers mois, il en ramait pas une, traversant Paris jusqu’à République trois fois par semaine et point, évitant tout au plus les manifestants anti-CPE. Sous sa selle pourtant ronronnaient des rêves d’évasion qu’il manifestait parfois intempestivement, orientant ses roues à sa guise et nous perdant dans Paris. A plusieurs reprises, il fit également mine de s’évanouir au démarrage… ooops, mes petits bras tentaient de retenir ses 110 kilos avant que je me retrouve ballante dans la rue, devant cette masse d’acier impossible à relever seule. Il mettait de la mauvaise volonté, caractériel, me lançait un défi. Je pris alors conscience que mon scooter et moi nous étions bien trouvés. Certes, il ne paye pas de mine et il est petit, mais il a, comme moi, une importante capacité de rangement voire d’encaissement et, aux feux, les grosses machines ne font pas les malines, car sous ses airs bonhommes, mon scooter camoufle une nervosité soigneusement entretenue. Il a la hargne chevillée au corps, veut franchir les distances pour aller il ne pas sait où mais il s’en fout pourvu que ce soit quelque part, avaler des kilomètres le museau au vent et contourner les obstacles. Un jour, un automobiliste, sur le pont Henri IV, osa me poser la question : « c’est un 125, ça ? », ce à quoi mon scooter répondit, « comment ça, ça ? Chuis p’tit mais c’est nerveux ». Désarçonné, l’automobiliste ferma sa fenêtre en maugréant. Bref…
Juin marqua pour mon scooter le début d’une nouvelle vie, plus éreintante. Il découvrit Meudon sous un soleil de plomb. Puis les entretiens d’embauche dans les quartiers chics où nous étions, lui et moi, désorientés, tentant de suivre le papier Mappy… avenue de la Grande Armée, rue de Leipzig, avenue Monceau, avant de poser notre dévolu sur l’avenue d’Eylau. Ma monture d'acier découvrit également le Sentier et la rue d’Uzès où il fit connaissance avec un nouveau copain, le scooter tout pourri, cassé, borgne et sale de Gaël. Mon scooter rechignait à devenir ami avec celui de Gaël, mais je lui fis un cours magistral sur la sociabilité et sur les apparences trompeuses. Je lui expliquai que, sous ses 50 cm3, le scooter de Gaël dissimulait un cœur plus gros de générosité que la plupart des 250 cm3, si ce n’est plus. Mais tout de même, il était fatigué: beaucoup de route, des complexes d’infériorité par rapport à ses congénères dédaigneux et rutilants du 16e ; il faisait chaud, je le transformais en tortue, le chargeant d’un tas d’affaires qu’il trimballait de la rue d’Uzès au boulevard Saint-Marcel, où des pigeons le recouvraient copieusement de fientes.
Fin août, je décidai de lui octroyer quelques vacances. Il retrouva sa maison d’antan et s’y reposa dix jours durant. Il se vida complètement de son stress et de sa batterie aussi. En rentrant je lui dis : « ressaisis-toi, recharge-toi, il faut aller de l’avant, toi et moi on va affronter l’hiver ». Dans un hoquet lourd de sanglots et de non-dits, il accepta de reprendre la route. L’hiver fut long pour lui. La nuit, il dormait dehors. Impossible de lier connaissance avec ses voisins, une mobylette sénile et une grosse moto bleue sportive et hautaine. Seul, il était seul, et tellement moche que personne n’essayait de briser sa chaîne pour l’enlever et l’emmener sous des cieux plus radieux. A peine quelques clochards s’asseyaient dessus durant la nuit et écrasaient leurs cigarettes sur sa jupe. Chaque matin, tous les matins même, il fallait partir. Petit à petit, mon scooter perdit le moral, traînant des roues, ne trouvant plus l’énergie nécessaire pour démarrer le matin. Le même trajet, toujours. J’avais beau faire en sorte qu’il retrouve le plus possible son copain, le scooter de Gaël, rue Jules Vallès, rien n’y faisait. J’appelais Wahed à la rescousse pour lui faire des appels du pied, lui parler d’homme à homme, via le kick. Pour ses 6000 kilomètres, je lui offris même une séance chez le psychothérapeute MBK: vidange des soucis, regonflage des pneus, la totale… mais non, il était fatigué mon scooter. La pluie avait usé sa jupe, fané son bronze, et il affrontait difficilement les temps de larmes, dérapant sur les pavés saillants des Invalides ou le long des bandes blanches du pont Alexandre III. De mon côté, j’étais bien en peine de le voir amer et résolus donc de lui laisser ses week-ends libres et de prendre le métro. Je lui concédai même dix jours de vacances fin février ; mais mon scooter, regagnant pour l’occasion son ancienne maison, fut submergé par les souvenirs, la nostalgie, la peur de l’avenir et, ne retrouvant plus ses anciens compagnons de route qui lui auraient sans doute insufflé des forces, il devint mélancolique. C’en était trop, s'il eût su écrire, il aurait couché des lettres d'huile sur du papier. Fatigué de rouler, de porter, de donner, mon scooter résolut, dès mon retour, de se suicider en se jetant la tête la première sur la voiture d’un livreur du Bon Marché. Que l’acte ultime devienne symbolique, lorsque le 13e arrondissement affronte le 7e dans un dernier sursaut de vie, et que le scooter anonyme se suicide sur le capot d’un suppôt de la société de consommation. C’était sans compter sur ses propres forces qu’il ne soupçonnait pas. L’avant de la voiture fut pulvérisé, et lui récolta une égratignure. De l’incident, mon scooter sortit ragaillardi, fier de sa capacité de résistance aux chocs et d’avoir symboliquement laminé un empire d’un simple coup de tête. De plus, il gagna au passage une carrosserie neuve et un nouveau phare, ce que je vois comme une métaphore, lumière perçant les ténèbres. Le voici reparti. Nous voici repartis, lui et moi, à l’assaut. Je doute toutefois de sa force morale pour franchir les temps de larmes à venir sans tomber, et envisage donc de le remplacer. Comment lui dire ? Comment lui assurer une vie plus sereine et tranquille, le long de routes qui ne soient pas routine ?
Juin marqua pour mon scooter le début d’une nouvelle vie, plus éreintante. Il découvrit Meudon sous un soleil de plomb. Puis les entretiens d’embauche dans les quartiers chics où nous étions, lui et moi, désorientés, tentant de suivre le papier Mappy… avenue de la Grande Armée, rue de Leipzig, avenue Monceau, avant de poser notre dévolu sur l’avenue d’Eylau. Ma monture d'acier découvrit également le Sentier et la rue d’Uzès où il fit connaissance avec un nouveau copain, le scooter tout pourri, cassé, borgne et sale de Gaël. Mon scooter rechignait à devenir ami avec celui de Gaël, mais je lui fis un cours magistral sur la sociabilité et sur les apparences trompeuses. Je lui expliquai que, sous ses 50 cm3, le scooter de Gaël dissimulait un cœur plus gros de générosité que la plupart des 250 cm3, si ce n’est plus. Mais tout de même, il était fatigué: beaucoup de route, des complexes d’infériorité par rapport à ses congénères dédaigneux et rutilants du 16e ; il faisait chaud, je le transformais en tortue, le chargeant d’un tas d’affaires qu’il trimballait de la rue d’Uzès au boulevard Saint-Marcel, où des pigeons le recouvraient copieusement de fientes.
Fin août, je décidai de lui octroyer quelques vacances. Il retrouva sa maison d’antan et s’y reposa dix jours durant. Il se vida complètement de son stress et de sa batterie aussi. En rentrant je lui dis : « ressaisis-toi, recharge-toi, il faut aller de l’avant, toi et moi on va affronter l’hiver ». Dans un hoquet lourd de sanglots et de non-dits, il accepta de reprendre la route. L’hiver fut long pour lui. La nuit, il dormait dehors. Impossible de lier connaissance avec ses voisins, une mobylette sénile et une grosse moto bleue sportive et hautaine. Seul, il était seul, et tellement moche que personne n’essayait de briser sa chaîne pour l’enlever et l’emmener sous des cieux plus radieux. A peine quelques clochards s’asseyaient dessus durant la nuit et écrasaient leurs cigarettes sur sa jupe. Chaque matin, tous les matins même, il fallait partir. Petit à petit, mon scooter perdit le moral, traînant des roues, ne trouvant plus l’énergie nécessaire pour démarrer le matin. Le même trajet, toujours. J’avais beau faire en sorte qu’il retrouve le plus possible son copain, le scooter de Gaël, rue Jules Vallès, rien n’y faisait. J’appelais Wahed à la rescousse pour lui faire des appels du pied, lui parler d’homme à homme, via le kick. Pour ses 6000 kilomètres, je lui offris même une séance chez le psychothérapeute MBK: vidange des soucis, regonflage des pneus, la totale… mais non, il était fatigué mon scooter. La pluie avait usé sa jupe, fané son bronze, et il affrontait difficilement les temps de larmes, dérapant sur les pavés saillants des Invalides ou le long des bandes blanches du pont Alexandre III. De mon côté, j’étais bien en peine de le voir amer et résolus donc de lui laisser ses week-ends libres et de prendre le métro. Je lui concédai même dix jours de vacances fin février ; mais mon scooter, regagnant pour l’occasion son ancienne maison, fut submergé par les souvenirs, la nostalgie, la peur de l’avenir et, ne retrouvant plus ses anciens compagnons de route qui lui auraient sans doute insufflé des forces, il devint mélancolique. C’en était trop, s'il eût su écrire, il aurait couché des lettres d'huile sur du papier. Fatigué de rouler, de porter, de donner, mon scooter résolut, dès mon retour, de se suicider en se jetant la tête la première sur la voiture d’un livreur du Bon Marché. Que l’acte ultime devienne symbolique, lorsque le 13e arrondissement affronte le 7e dans un dernier sursaut de vie, et que le scooter anonyme se suicide sur le capot d’un suppôt de la société de consommation. C’était sans compter sur ses propres forces qu’il ne soupçonnait pas. L’avant de la voiture fut pulvérisé, et lui récolta une égratignure. De l’incident, mon scooter sortit ragaillardi, fier de sa capacité de résistance aux chocs et d’avoir symboliquement laminé un empire d’un simple coup de tête. De plus, il gagna au passage une carrosserie neuve et un nouveau phare, ce que je vois comme une métaphore, lumière perçant les ténèbres. Le voici reparti. Nous voici repartis, lui et moi, à l’assaut. Je doute toutefois de sa force morale pour franchir les temps de larmes à venir sans tomber, et envisage donc de le remplacer. Comment lui dire ? Comment lui assurer une vie plus sereine et tranquille, le long de routes qui ne soient pas routine ?
2 commentaires:
Tu veux bien que je te raconte l'histoire de mon 103 SPX noir mat à piston limé et pot d'échappement pryapique, dont le joint de culasse est devenu fuyant, et qui dort en attendant son avènement ?
Le tien et le mien
Un toi et un je
Si c'est pas ton scoot, est ce que c'est un peu toi ?
Nos machines comme métaphores. Alors tu t'embellis, et je pars en morceau. Du coup ces histoires qui personnifient (si l'on peut dire) nos états, ça me file un peu le bourdon.
Comme quoi des histoires tristes peuvent être belles, et vice versa...
Des biz
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