Une petite fille ou une fille petite, un petit bout de femme en somme écrase de ses pieds menus, branches et brindilles. Le regard fixe, elle marche, l’esprit tendu vers un ailleurs. Le monde est vaste quand on est petit. Pas de colère, aucune émotion ne transpire et pourtant ses cheveux bruns s’ourlent de sueur. Pour tout bagage elle a les mains serrées, deux poings pour retenir larmes, rires et paroles. Elle enfile le boulevard des Invalides sur ses deux jambes. Le dôme ruisselant de lumière lui lance un rayon en clin d’œil. Marche petite fille, droit devant, et le boulevard se transformera en forêt. La croix dardée du Dieu des hommes t’indique le sentier, glisses-y tes petits pieds. Ne souris pas, ne pleure pas, impassible, traverse les frontières. Petit à petit les arbres se penchent, leurs branches se ramifient et les prairies étendent leur herbe grassouillette, où s’allonger pour dormir à jamais. Elle reviendra. Pour l’heure, la petite fille poursuit, ne regarde à droite ni à gauche. Sur ses oreilles, un filet d’ouate étouffe le murmure venimeux des arbres. Orties et buissons lui coupent le chemin mais elle semble voler comme une idée. On la regarde, les oiseaux ont le souffle coupé et la forêt s’enveloppe de silence. Figée. Taupes et lapins regagnent leurs terriers, l’écureuil en un saut flamboyant grimpe à un arbre qui lui dit viens, viens vite. La vipère s’efface en arabesques. La forêt rétracte griffes, épines et branches pour la laisser passer. De la fillette émane une volonté, autorité d’une reine. Dépassés les contes, elle sait que les animaux, les arbres ni les fleurs ne parlent, dis-moi la rose... Elle ne voit pas que dans son sillage perle la rosée en larmes au bout des tiges et la sève s'envole dans les veines des feuilles. A l’orée du bois s’ouvre la rue Fontaine, les mains de la petite fille se décrispent mais ne s’ouvrent pas. L’échine frissonne et elle enfile la rue Fontaine, écrémée de sucre, de souvenirs à venir. Souvenirs d’adultes qui ne sont pas pour les enfants. Ses pieds percent le goudron, retrouvent les pavés. Sa pupille se rétracte, elle aperçoit le djinn, en miettes d’argent forme un essaim. Au-dessus d’elle il plane, lui indique le chemin. La petite fille accélère le pas, au bout de la rue Fontaine, il n’y a plus rien. Un rocher surplombe la mer, c’est l’immensité, la fin et le début du voyage. Les lames violentes cinglent la roche. La petite fille pose son pied à l’endroit même où l’instant bascule vers l’infini. Elle attend. Le vent sèche ses cheveux. Au-dessus d’elle l’essaim la protège des embruns. Elle attend. Les flots redoublent de violence, grignotent la falaise qui descend. Descend. Ancrée, les pieds enracinés, la petite fille fixe l’horizon. Et le niveau de la terre rejoint celui de la mer. Alors la petite fille dessert les poings. Ses doigts fins parcourent sa poitrine d’enfant. Au creux de ses seins naissants, le long des palpitations de son cœur, elle attrape une clé à une chaîne attachée. La clé est minuscule, l’argent martelé d’inscriptions. La mer s’apaise, devient huile. Les algues se retirent et le sable ouvre les bras d’un matelas soyeux. La petite fille tend la clé ; une vague monte, en douceur, de sa langue blanche d’écume attrape la clé puis se retire. La petite fille plie les genoux, s’accroupit. Elle voit la clé reposer sur l’or du sable. La mer en une vague lui adresse un sourire rassurant. Voilà, tu l’as, je te l’ai dit, mon secret. Chaque fois que je viendrai, ta brise me le susurrera à l’oreille pour que je ne l’oublie pas. Et à présent, je peux devenir grande. L’essaim de miettes d’argent et de bonheur attrape la main de la petite fille et la conduit sur le chemin du retour.
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