25 juillet- Chocolat

Hier, j’étais absorbée par le bonheur jubilatoire de ronger deux ongles. Tant et si bien que j’en ai oublié mon blog ! Il faut dire que je les ai rongés méticuleusement, non sans faire preuve de ténacité, comme si la radiosité de mon avenir était en jeu. Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas adonné à cette activité tout à fait salvatrice.

Aujourd’hui, j’aborde une obsession qui me hante depuis plusieurs jours : l’idée de faire fondre du chocolat. Faire fondre du chocolat constitue un moment entre parenthèses. Exemple : vous recevez des gens et décidez de faire un truc au chocolat. Tous les gestes, attraper la vaisselle, sortir les ustensiles, tamiser la farine, etc. sont accomplis mécaniquement sans pour autant être délestés de plaisir. Puis arrive le moment du… chocolat.

Certains demeureront insensibles jusqu’à la fondue finale, c'est parce qu'ils n'ont pas de coeur. Pour ma part, le briser c’est déjà écrire la parenthèse gauche. Les carrés sont petits, laissent des copeaux clairs en poussière surla table. On les casse sèchement et dans l’atome d’instant où le carré se brise, une odeur assaille les narines. Sucré âcre. Pour qu’il fonde onctueusement et parce que j’aime le briser de la paume jusqu’aux doigts, je découpe la plaquette entière, carré par carré. L'odeur reste sur mes mains.

Ensuite, deux techniques selon la recette, soit on le fait fondre à feu doux, soit au bain-marie. J’opte pour la seconde, d’abord parce que j’aime le mot bain-marie, je le trouve évocateur voire équivoque, ensuite parce que le chocolat gagne son élégance drapée de nappes dans cette cuisson. A mesure qu’il fond, s’écrit le contenu de la parenthèse. Les carrés rendent l’âme petit à petit. Résistent d’abord puis s’évanouissent, au fond de la casserole et contre des bords qui ressemblent à des murs qu’ils tentent désespérément de franchir. Raté… Intervient alors la spatule qui apprécie du bout du bois l’onctuosité et ramène au centre les carrés réfractaires pour qu’ils s’incorporent à leurs frères. L’odeur monte qui a perdu sa sécheresse. Au contraire, elle est fruitée, parsemée de parfums en duels, sur fond d’amertume. Sucrée, elle ramène dans son sillage des morceaux de l’enfance, gâteau d’anniversaire ou goûter.

La spatule touille même une fois que tous les carrés ont fondu parce que le chocolat fondu, c'est beau. Liquide, il a de la tenue, du coffre, de l’épaisseur, une palette infinie de marrons et on devine déjà l’instant où, en refroidissant, on le verra virer au brun, voire au noir et tenter de reprendre de la rigidité. Le chocolat est fier, limite hautain et j'aime tout autant l'idée de le dompter que celle de le voir honorer mon foyer de sa présence et de son parfum. Malgré tout, comme il faut cesser de jouer et/ou de s'abîmer dans la pensée pour ne pas cramer (ceci est un adage valable hors chocolat), on finit par enlever la casserole du feu. Alors on place la parenthèse droite en point d’orgue et on… lèche la cuillère ! Sur et sous la langue se chevauchent les temps, le goût du moment présent, délectable, rencontre celui où, enfant, on attendait impatiemment que le chocolat soit enfin fondu pour demander : « j’peux lécher la cuillère ?! » tout en étant déjà pressé de manger le gâteau. Contrairement à d'autres réminiscences de l’enfance, celle-ci ne se teinte pas de nostalgie; on trouve au contraire sa continuité parce que c’est toujours aussi bon : le chocolat comme la cuillère.

Toutefois, malgré la rareté de l’instant, je ne sais pas s’il est très sain, psychologiquement parlant s’entend, de faire fondre du chocolat pour rien. Pour faire fondre du chocolat et lécher la cuillère. Point.

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