Aujourd’hui, je vais vous parler des matins, de mes matins qui doivent ressembler aux vôtres et dont les minutes s’émaillent de gestes rituels. Tout d’abord, je n’aime pas le matin, j’en aime certains et dans l’ensemble je suis tout de même heureuse qu’il se présente chaque jour, c’est plutôt bon signe. J’aime les matins de départ tôt en vacances l’été. J’aime les matins d’hiver qui me surprennent par leur beauté, leur lever de soleil en nappes rouges sur Paris, et me donnent, dès les premières heures de la journée, une raison de m’être levée. Mais dans l’ensemble, je bannis le matin : l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, quel avenir ? Je suis sûre que les idées qui ont changé le monde (il y en a !) ont été pensées, étoffées, écrites durant la nuit. Bref.
Mon réveil sonne à 7h15 tapantes. Mais je suis déjà éveillée depuis vingt minutes au moins par le charmant bambin de mes chers voisins qui semble, lui, adorer le matin, vue l’énergie qu’il met dans sa danse de réveil, parcourant en sautant chaque centimètre carré de l’appartement. A 7h15, lorsque mon réveil m’intime l’ordre de me lever et de marcher sur une mélopée surannée de RFM, voilà donc déjà vingt bonnes minutes que je maugrée dans mon for intérieur et déplore une fois de plus la perte de mes boules Quiès durant la nuit. Après l’évocation de cette perte, s’ensuivent les pensées rituelles, les pfffffff en veux-tu en voilà, j’ai pas envie d’y aller, et si j’y allais pas, et si je disais que j’ai eu une panne de réveil, ah mais oui mais quand je serai réellement crevée ou que j’aurai réellement une panne de réveil… c’est crier ou loup blanc, etc. Je réfléchis donc intensément non sans me replier de plus en plus résolument au cœur même de ma couette. Puis en un instant, mue par un ressort de ma raison, je me lève. Je me lève, je bouscule nounours, il ne se réveille pas et il a bien raison. J'ai bien noté de toute façons que, depuis une vingtaine d'années, nounours est beaucoup moins solidaire.
Dès que je suis sur mes deux pieds, j’enfile les chaussons et le gilet de mémé et me dis, ah, enfin il pleut ! Faux : je me dis, merde, il pleut encore ! Hagarde, l’œil gauche encore fermé je me rends dans la cuisine, pièce sans laquelle aucune suite de journée ne peut décemment être envisagée car là se prépare le café. Et hop, gestes rituels : j’allume la bouilloire, découpe le pain pour le griller, vide l’égouttoir puis presse deux oranges. Durant cette phase culinaire il peut survenir des choses de la vie ordinaire mais qui peuvent revêtir, parce que c’est le matin et uniquement pour cela, une dimension tragique ou prémonitoire, par exemple, on casse un verre. Et puis il y a les événements purement matin et petit-déjeuner, par exemple, on fait tomber le pot de miel par terre ou, en pressant le café dans le Bodum, il vous gicle dessus. Ou encore, on ouvre le frigo et on se dit, merde, j’ai plus de beurre. Eh bien, de tous ces petits détails dépendent la suite de la journée, voire de votre avenir car une courte phrase de mauvaise humeur le matin à votre arrivée au boulot peut s’avérer lourde de conséquences. Bon, mettons que tout se passe bien.
Sur mes tartines je mets du beurre et du miel, on l’aura compris, je les trempe dans un grand bol de café, je les engloutis, avale mon jus d’orange puis prends mon bol de café pour retourner vers mon lit. Là, je mets de la musique, regarde mes mails de la nuit en buvant mon café. Il est déjà 7h50 lorsque le rituel s’achève. Alors je me dis que je suis à la bourre et me pose la question « douche or not douche ? ». En général, j’expédie la douche en 5 minutes, attrape les vêtements qui me passent sous la main mais qui ne sont jamais repassés, m’habille, hop lavage de visage, ptite crème hydratante, lavage de dents et passage en revue de l’appartement. Est-ce que j’ai tout ? Mes clés, mon pass, oui ? Alors j’éteins l’ordinateur, les lampes et le radiateur, enfile mon manteau, attrape mon casque et c’est parti. Tout cela est rythmé par les bruits des autres rituels des voisins: lorsque je me lève une douche coule, à 7h50 un réveil sonne (la chance!), à 8h00 la voisine d'en face s'en va, à 8h15 mes voisins du dessus, futures victimes de mon premier triple homicide, prennent la poudre d'escampette, le tout sur fond de musique, de rasoirs électriques et de conversations.
celui qui suit aura compris qu'il est alors environ 8h20 et je suis déjà en retard. Et pas encore réveillée, toujours dans la torpeur, surtout l’hiver, du sommeil. Je monte sur mon scooter et emprunte le trajet que vous connaissez déjà ou plutôt non, car j’ai changé ! J’arrive au Trocadéro avec 10 minutes de retard au mieux et me rue sur la machine à manger mes matins, la pointeuse, pour qu’elle dévore ma carte. A ce moment là, à cet instant précis de la carte dans la pointeuse, le matin s’achève pour moi, c’est le début de la journée. Au bureau, ils aiment bien me voir arriver le matin, ça les fait rire. Pour me qualifier ils emploient l’adjectif « froissé », « t’arrives froissée » disent-ils et ils ont étoffé les murs de notre local café de dessins caricaturaux légendés « Nadia le matin ». C’est beau la vie en entreprise…
Alors, on notera des variantes. D’abord, le vendredi, je suis chargée des croissants ce qui implique je me lève plus tôt encore ! Ensuite, rarement mais parfois, disons tous les trois mois, je ne me réveille pas seule ! Ben oui, j’ai une vie en dehors de ce blog… tous les trois mois, mais cela influe rarement, hélas, sur ce qui suit, mis à part, peut-être que je ne parle plus seule. Variante minime et le matin est un mauvais moment stratégique pour parler. Parfois, encore plus rarement, trois fois par an disons ce qui est presque comme une fois tous les trois mois, je ne me réveille pas chez moi ! (Truc de ouf). Alors là oui, ça fait du changement, ça chamboule tout ! Parfois, c’est les vacances. Parfois, il y a les grèves ou bien je me rends ailleurs dans Paris. Parfois, il y a les toilettes qui débordent. Parfois, on se réveille malade et on ne peut vraiment pas se lever. Et puis parfois, deux fois par semaine, il y a les samedi et les dimanche où les matins n’existent plus.