30 juin- Carnet de voyage (5)

C’est lundi, les amis sont partis, le week-end est fini. Trop mangé de poissons, trop de plage, pas assez dormi. Je range puis, grand moment, j’asperge la maison de plusieurs bassines d’eau. Ici, on balaie à l’eau qu’on pousse vers les évacuations prévues, au sol, dans la plupart des pièces. On ne lave pas, on rince, le sable, les miettes, tout part et c’est soi que l’on lave, les pieds dans l’eau, durant ces heures de ménage, la maison puis la cour. Mon royaume de l’eau… couchée sur les flots à me noyer dans le ciel, sans l’ombre d’une vague ni d’une méduse. En rentrant de la plage, on se douche au tuyau dans le jardin, on rince maillots et serviettes. Toute la journée on boit de l’eau fraîche et, le soir venu, après les melons et les pastèques, on met les mains dans la vaisselle. Avant de dormir, on peut prendre un bain tiède, fenêtres ouvertes sur la mer pour ne plus trop savoir dans quelle eau on baigne avant de gagner les ondes, infinies en vacances, du sommeil.

Les vacances au soleil sont un retour au corps. S’adapte petit à petit à la chaleur, se découvre baigné de lumière. Pieds nus sur le marbre, le sable ou dans l’eau on retrouve le contact à la terre, redécouvre des points de rencontre, infimes comme autant de terrains de dialogue. Le sable polit, abrase, le vent décoiffe, le ressac tendre ouvre grand les oreilles et on sent les courants de la mer, ici tièdes et là frais. L’après-midi, allongé de tout soi sur le lit et non blotti, on fait la sieste, pour seul vêtement la brise de la mer filtrée par les volets entrebâillés. Le soleil donne bonne mine, en nageant ou en faisant la planche on s’étire en chat. Entre femmes, on s’occupe de ses cheveux, bouclés de sel, en faisant le henné, on enlève les peaux mortes au hammam, on s’enduit d’huile d’olive pour hydrater sa peau, on s’épile au sucre, on se met du vernis et on mâche des racines pour nettoyer la bouche. C’est le cerveau qu’on lave à mesure que le corps se détend, en témoignent les conversations entre marques de rouge à lèvres et tu savais que Julien Doré était avec la nana de la météo sur Canal ? Et comme il faudra rentrer, on se promet chaque fois de ne pas oublier, tout au long de l’année, de réitérer ces cérémonials… souviens-toi l’été dernier… mais à Paris l’eau est surtout dehors, en pluie.

29 juin- Carnet de voyage (4)

Chaque jour ici, un petit nuage tente de se coucher sur la montagne. L’enveloppe avec tendresse. Mais la montagne, elle, aime une mer vers laquelle elle se jette, délicatement, d’abord en pointe puis en petits rochers. Le petit nuage cherche à l’amadouer, de marron et de rouge, d’herbe et de fleurs. La mer, elle, puissante et capricieuse, dit oui puis non, non puis oui, en rouleaux, amante d’un ciel sans nuage. Alors, le soir, le nuage triste et dépité, après s’être effilé tout au long de la journée, amoureux éconduit ne laisse jamais le ciel et la mer passer la nuit ensemble. S’élance avec courage, entre le ciel et la mer se fait voile en écharpe, chaque soir, y met ses dernières forces. Brume cotonneuse du soir au matin, du bleu profond au rouge irradiant.

26 juin- Carnet de voyage (3)

Sais-tu dame aux énormes lunettes
Avachie sur la plage les seins à l’air
Que sous ce sable se cache mon enfance ?
Et que devant toi la mer déploie les bleus, les verts
Des yeux des hommes aimés ?

Ici les chichis, les jeux de ballons
Les bouées, mes cousins petits garçons
Les méduses et la peur du scorpion
Les premières brûlures et sensations de noyade
Là s’arrêtent tous mes sentiers vers la mer

L’enfance est bribes ocres roulées en vagues à l’âme
Tout au long de la vie nous sommes personnages
Car la peau se hâle à mesure du chemin
Certaines miettes de l’existence
Flottent paysage, odeur ou bien chanson

22 juin- Carnet de voyage (2)

La plage en fin de journée, foulée
Le sable dessine des vallons
Epaules de femmes
Vallées d’un désert pour fourmis
Les enfants, profitant du dimanche
S’éloignent
Les oiseaux récupèrent le ciel
Et lui, retrouve sa mer
Paisible et claire
Le soleil fatigué
Largue ses derniers rayons
Soyeux et sans brûlure
C’est l’heure que je préfère
Pour me jeter à l’eau

19 juin - Carnet de voyage (1)

Je suis à Haouaria (allez hop, tout le monde sur Google Maps), dans le Nord de la Tunisie. Nous sommes venues depuis Tunis, en 4x4 des années 80, du genre tout le monde se range devant ce tank. Pas bien rassurée au départ, j’apprécie finalement la conduite de l’engin, notamment sur les pistes et routes défoncées d’ici. Le voyage est beau. Traversée de montagnes, petites mais verdoyantes, route le long de champs tout juste moissonnés, vision du sable rouge, par les fenêtres le vent atténue la chaleur. Il y a dans les paysages une anarchie de couleurs et de formes, champs contre terre battue, collines contre terrains plats, arbres contre cultures, bleu de la mer contre le vert de la végétation. J’aime ce côté non rangé. Je sens des odeurs familières mais lointaines... mélange de cactus, de foin, de palmiers sur fond d’aridité. Sur le bord des routes, des enfants brandissent des galettes de pains. Par erreur, nous faisons un détour par Korbous, ville des thermes où trois sources d’eau chaude se jettent dans la mer. Sur le chemin, la mer surprend au détour d’un virage. Elle éclate, la baie toute entière scintillante de lumière à la fin de l’après-midi. Entre Korbous et Haouaria, des hommes traversent sous les roues des voitures, marchent, mais où vont-ils ou d’où viennent-ils ?, ou sont assis au bord de la route. Il y a forcément un sens… Des femmes aussi, âgées, aux visages tannés, les cheveux remontés sous des foulards rouges, pas voutées mais repliées sur elles-mêmes, sont là, dans les champs, les chemins ou sur le bord de la route. Tous nous regardent passer, partir. Il y a beaucoup de moutons et de chèvres accompagnés de leurs bergers. Dans les villages, des poules picorent un peu partout.

Ici, c’est une Tunisie loin du tourisme. Le village est paisible, sinueux de ruelles, agréable. Le minaret est sobre, élégant, vert, les gens calmes et gentils. Malgré les creux et les bosses de routes, l’ensemble est doux. On croise et on entend, tout au long de la journée, des moutons, des vaches, des chevaux, beaucoup de chiens, des coqs. Pas de chats en revanche mais beaucoup d’oiseaux, toile de fond sonore du matin au soir. Il y a aussi beaucoup d’ânes qui broutent ou transportent personnes et marchandises. Sans parler de montagnes, mais plutôt de grosses collines, le paysage est vallonné et joue des teintes du vert sapin au marron clair, des cultures de légumes aux blés moissonnés. Ballots de paille, terre brune, sable, cactus et maisons blanches. Il y a ici tant de couleurs… Aujourd’hui, jour de marché, sont amoncelés dans la rue des kilos de pastèques, tomates, melons, pêches, pommes de terre, piments, fraises et prunes. Beaucoup sont ouverts pour laisser voir leur qualité et les ruelles sentent les fruits. Quant à la mer… La plage est déserte, à peine quelques familles du coin. Une étendue de sable fin, propre, pour une eau limpide où tous les bleus se sont donné rendez-vous, du marine au turquoise en passant par le bleu roi ou lapis… A l’horizon, le ciel, du bleu au blanc, azur, l’embrasse et offre un violet pastel. Sur la plage, il y a un petit restaurant où manger du poisson ou boire un café, tranquillement. La côte, au-dessus d’Haouaria, offre un très beau panorama sur la baie, sur l’écume blanche et crémeuse des flots qui se heurtent, en contrebas, sur la roche rouge. Le soir, la nuit vient tôt, une brise fraîche s’invite à la maison, j’entends le murmure nocturne des flots et la lune se hisse haut.

14 juin- Le temps....

... a manqué. Mais voici quelques images des bribes du 16e, la tour Eiffel, le balcon, les bouchons, mon pigeon en flagrant délit de vol de brindilles, son nid et Mme Pigeon. Cher lecteur, je pars en vacances, écrirai moins souvent mais t'apporterai la mer.


9 juin- Bribes de 16e (2)

Voici ma dernière semaine dans le 16e arrondissement, alors je continue… Après quelques échantillons d’humains, voici les animaux du quartier.

Les étourneaux tout d’abord, au sujet desquels j’avais écrit l’année dernière si ma mémoire est bonne. Ils sont là l’hiver, quelques minutes avant 17h puis entre 16h30 et 17h à mesure que les jours raccourcissent. Quatre mois durant, ils étaient mon horloge et leur vol, en groupe épais et virevoltant, mon morceau de nature sauvage dans la cour de l’avenue d’Eylau. Ils étaient beaux ces étourneaux, j’aimais leur vitesse de groupe en fusée, l’idée que leur envolée me renvoyait chaque soir : l’étourneau n’existe pas seul, il n’y a pas un mais des étourneaux. Je regrette de ne pas avoir noté, comme pour les hirondelles, le premier puis le dernier jours où je les voyais.

Toujours niveau oiseaux, j’observe, tous les matins depuis plusieurs mois, un énorme pigeon, propre sur lui, un pigeon version 16e. En toute discrétion, il se pose chaque matin sur les jardinières de l’immeuble d’en face et, de son bec en sécateur, coupe des herbes pour confectionner un nid qui ne semble jamais être fini. Mon pigeon (MON pigeon), je l’ai prénommé Sisyphe. Il a élu domicile au creux d’une corniche de fenêtre, tout à fait laide mais douillette et, il y a peu, j’ai enfin aperçu la raison de tant de labeur matinal, j’ai vu Mme Pigeon qui n'a franchement rien d'exceptionnel.


Côté animaux à quatre pattes, le chien est l’espèce prédominante de l’arrondissement. J’en vois beaucoup et en connais quatre. Vers 10h chaque matin, promenade de deux lévriers anglais. Ces chiens ne sont pas beaux, mais comme je ne fais pas plus de discrimination physique pour les hommes que pour les chiens… je les aime bien quand même. Ces chiens sont promenés par des « gens de maison » comme on dit. Cela se voit : l’homme qui les promène ne semble guère avoir conscience de la majesté de ces canidés et fume négligemment sa cigarette en attendant que les besoins se fassent. Ces chiens ne semblent pas toucher terre, ils foulent le bitume comme on marche sur de la soie (enfin, j’imagine). Même leur bout de nez… leur tête est si longue qu’il semble toucher les nuages. Ils ont un port altier, de l’allure mais ils n'ont, en revanche, pas l’être des gros fêtards. Ils croisent parfois un autre chien et le toisent avec superbe.

Celui-ci arrive vers 10h30, lui aussi à la laisse d’un « gens de maison ». Alors lui, c’est un bouledogue, ocre et blanc. Ras la terre, sa langue pend car il a toujours la gueule ouverte comme s’il avait soif et un petit filet de bave entre les canines. Il a des yeux marrons et globuleux tout à fait inexpressifs, des petites pattes bourrelées et il roule des fesses. Il marche assez lentement et semble dubitatif. Il se dandine. Autant le dire, il n’est pas très beau mais par contre, il a l’air d’être sympa : les gens (pas de maison, de la rue), des enfants, s’arrêtent pour le caresser et il attend, patiemment, que ce soit fini. Ce chien, c'est un chouette chien.

Enfin, dans un magasin juste en bas, qui vend des ustensiles de cuisine et où la première poubelle, bas de gamme, vaut 250 euros (sans compartiments de recyclage), il y a un labrador blanc. Depuis deux ans que je fréquente le quartier, je n’ai jamais vu ce labrador en position debout mais toujours affalé à l’entrée, en carpette. Il est beau, n’a pas l’air méchant du tout, juste un peu lascif et désabusé, les yeux fermés ou levés vers le ciel.


Et puis dans mon 16e, il y a un chat. Seulement un et encore il n’est pas toujours là, je le soupçonne d'être seulement de passage parfois à Paris mais de faire sa vie de chat ailleurs. Il habite le rez-de-chaussée d’un immeuble dans une rue derrière et se trouve parfois derrière la fenêtre. C’est un chat normal, un chat « de base », mignon, blanc et marron écaillé. Lorsque je fais des mouvements avec ma tête derrière les carreaux, il les reproduit comme pour me faire un énorme bisou du bout de son petit nez humide. Si je reste un peu à poursuivre mes mimiques, il finit par se mettre sur le dos, sur le bord de la fenêtre, et à se tortiller comme si je lui grattais le bidou. Ainsi lui et moi nous sommes-nous prodigué quelques câlins par procuration. Voilà, et avant de partir j’essaierai d’illustrer ce blog…

4 juin- Anecdote

A présent, bribes de 20e arrondissement, rue Saint-Blaise précisément. Il y a peu, j’attendais dans cette rue lorsque je vis une vieille dame avec sa canne blanche. Aveugle, semble-il par maladie, elle remontait la rue en maugréant, manquant tous les cinq pas de rentrer dans un scooter garé là ou un poteau, planté là. Lorsqu’elle approcha de moi, je distinguai ses paroles, « sales bougnias, à mort les bougnias, trop de bougnias ». De ce goût là, scandé, répété comme une obsession. Et c’est là que la scène devint digne d’intérêt car, du premier instant où je l’observai jusqu’à celui où elle disparut de ma vision, à trois reprises au moins des personnes –pas moi, ça certainement pas- lui permirent de ne pas trébucher puis l’aidèrent à traverser la route, et toutes étaient arabes…

1er juin- Ruban

Le corps scellé au sol se détend, retrouve ses parcelles propres au contact de celles de la terre ou du sable. Les oreilles se gorgent de pépiements d’oiseaux ou du ressac. Le soleil clôt les paupières, le vent effleure les joues et la brise du monde envahit depuis le nez jusqu’aux pieds. Une flagrance fraîche ourlée de soufre s’insinue en flux et remet tout à sa place. Alors la vie devient un ruban qui danse. Bigarré des bribes d’existence, nuances claires et sombres, et des couleurs de vos yeux. Danse, dessine ses traits au néant, devant mon âme, invisible gymnaste. Juchée sur cet instant fébrile, plus rien n'a d’importance pourvu que le ruban danse.