24 avril- La goutte

La goutte d’eau
Mortelle au robinet
Egrène le temps de la nuit
Martèle les pensées
Imbibe les rêves

La goutte d’eau
Vitale au robinet
La nuit ils sont des millions
Dans des sommeils de transe
A rêver de la happer
Sur le bout de leur langue

La goutte d’eau ruisselle
Au coin d’une paupière
Le long d’une tempe
Le corps a chaud
L’âme transpire

La goutte d’eau
Se décuple en milliers
Sur nos têtes en ondée
Pas très loin
Des millions de racines
Taries par manque de pluie
Se révulsent sous terre

Et puis la goutte d’eau
Celle qui
Fait déborder un vase
Sans fleurs

22 avril- Le froid

Le froid s’est immiscé
En l’âme, maison vide
A coupé les sonnettes
Du visiteur, d’alarme
Fiévreux il ronge
Poutres et fondations

Que vienne violent le soleil
Le siffle d’un rayon
D’un coup d’un seul rayon
Comme un trait de crayon
Rature le passé

21 avril- Pour Lychee


Je t’avais donné ce prénom de fruit en raison de l’étoile blanche sur le noir de ton pelage.

Petit tu dormais dans mes cheveux, très vite tu n’as plus supporté l’appartement exigu.
Si tu avais été un acteur, tu aurais été Lino Ventura, besoins de tendresse derrière des dehors de loubard bougon.
Lorsque ces dames, KKhuette et Nadjma sont arrivées, tu as fait ton mâle, tu as fait ton homme, tu grognais, crachais, marquais ton territoire et ça n’a pas marché.
Devant nous tu t’allongeais en carpette pour qu’on te caresse, râlais lorsqu’on s’arrêtait. Tu ronronnais du cou.
Tu nous suivais loin lorsqu’on allait se promener, comme un chien. Tu gambadais à nos côtés. Indépendant, solitaire, tu partais plusieurs jours.
Cette fois-ci, t’es parti bien loin, bien seul et bien vite pépère, même pas eu le temps d’être vieux.
On dira ce n’est qu’un chat, c’est faux, c’était un chat.
Un chat c’est des années, des moments, une personnalité.
Un chat c’est une présence constante et quotidienne.
Un chat c’est des rires, de l’affection, de l’émerveillement constant devant des mimiques, des poses et une beauté féline.
Un chat est un chat, y en a pas d'autres, il y a des chats.
Voilà le quatrième que je ne verrai plus et on ne s’y fait pas, chaque fois ça fait mal même si oui ainsi va la vie.
Alors bye bye Lychee, t’as été un chat heureux je crois, mon premier chat noir, ta place restera. Là.

20 avril-Mes ailleurs

Les steppes de sable rouge ou les forêts d’Asie
Les flots de la mer Morte qui ballottent mon corps

Goûter l'éclat d’un désert

L’envol d’un faucon au-dessus d’une vallée


Mes pas se perdront dans les rues de Porto

Barcelone ou Oslo, d’Alger ou de Vérone

Frôler de l’âme la minute en suspend

Devant l’immensité glacée, une aurore boréale

Et devant l’ours blanc


Retrouver l’Irlande et la côte bretonne

Déguster le bleu, le blanc et le poisson

Des îles Ioniennes

Revoir le rouge, vert et bleu mêlés

La Corse et l’Italie


Découvrir surprise comme un nouveau-né

La course d’une panthère

La gueule ouverte d’un fauve et le regard du tigre

Le cou de la girafe

Sur terre l’éléphant

Dans l’eau l’hippopotame

Ou l'inspiration d'une baleine


Fraîcheur de l’Alhambra

Et les heures de sieste
Un grand verre d'eau fraiche

Relents d’une forêt mouillée

Le souffle frais du soir

Le sucre d’une pastèque

Un coucher de soleil

Sur la Méditerranée


Je sais tous ces ailleurs

Qui crépitent en moi

9 avril- L'exil

L’exil c’est quitter son pays
Forcé
Guerre, dictature, famine
En soi se débat l’idée de liberté
Tentaculaire

Demander l’asile
Laisser là sa famille
Les heures de son enfance

Au revoir mon père
Au revoir ma mère

D’un coup de sécateur
Couper net les racines
Chercher autant que possible
Un pays comme assise
Pour une fesse du moins
Devenir hermétique
Aux injures racistes
Et au monde monochrome
Quand on se sent tigré

L’exil c’est quitter sa ville
Forcé
Economie, goût de la vie, équilibre
Et quérir l’asile
Au creux de mère Nature
Dans les dédales des rues
Laisser tous ses amis
Et son adolescence dormir
Dans le hall d’un immeuble
Trouver et c’est possible
La force de recommencer
De tout réinventer

L’exil c’est te quitter
Forcé
Crainte de se tromper
Angoisse du devenir
Ne pas t’entraîner
Dans ma seule existence
Ses choix et ses erreurs
C’est te dire je m’en vais
Non que je ne t’aime plus
Chaque jour je goûterai
L’âpre culpabilité
Et le poids du mot « si »

L’exil c’est ajourner le temps
Forcé
Pour croire en la possibilité
De poser ses deux fesses
De trouver un pays ou
Une nature apaisante ou
Une épaule bien ronde
Se dire c’est pas maintenant
Bon,
Ce sera
Plus tard
On pourrait bien à force d’y croire
Laisser dans ce pays
L’exil
Sa peau

Mais ce soir pour mon âme
Fatiguée de penser
Et de lustrer la vie
De la brosse des songes
Pour mon cœur
Fatigué des blessures
Et de justifier
Les infimes fêlures
Pour mon corps
Fatigué de lutter
Contre tous ces assauts
Je demande une minute seulement
L’asile

8 avril- Au lecteur

Lecteur, j'ai moins le temps en ce moment,
travail et recherche d'appartement
dans le 11e arrondissement
(de Paris, on l'aura compris).
Il me faut renoncer pour l'heure
à mon texte quotidien,
mais ce n'est que partie remise
et je vais revenir vite !

6 avril-

A tes pieds, en guenilles
Ta célébrité, ton talent et tes heures dorées
A tes pieds, en chiffons
Tes amours, amitiés et toutes tes familles
A tes pieds, en flaques
Ta beauté, ta jeunesse, l’éclat de ton regard
A tes pieds voilà tout
Toi qui connus les fleurs et les femmes à genoux
Devant, derrière : personne
A droite, à gauche: personne
Où sont les projecteurs?
C’est que tu n’as pas bien lu Dorian
N’as pas voulu comprendre
As laissé filer la vérité
Des amis, des femmes
Des sentiments
Au nom d’un talent
Que louaient des sirènes
Au nom d’une beauté
Qu’ont tétée les sirènes
Eh bien voilà maintenant…
Tu aurais pu le devancer
Ce maintenant
Au lieu de te griser de ta propre substance
Sans la renouveller
Au lieu de te griser de ta propre apparence
Sans croire à la chape du temps
Tu t'es crû immortel et, lâche,
N'as défié personne
L’histoire n’est pas nouvelle
Les modes sont éphémères
Tes airs sont galvaudés
Et tes notes sont des cases
Où nichent des mélopées
Ecoeurantes guimauves
Tu n’as pas entendu Dorian Gray
Tu te tournes vers moi semblant me découvrir
C’est trop tard: j’étais là
Vous chantiez, j’en suis fort aise :
Eh bien ! dansez maintenant

3 avril- Printemps

Ce soir sur le pont Alexandre III
J'ai roulé sur un pigeon écrasé
Alors je me suis demandé
S'il avait eu le temps
De humer le premier jour
De printemps aujourd'hui
Ce matin la pluie de la nuit
Exhalait le vert place de la Concorde
Le chèvrefeuille le long des grilles
Des Tuileries
Toute la journée
Les rayons du soleil
Ont soutenu les branches lourdes des arbres
Dégorgeant de blanc, de rose, de vert
C'est rare de pouvoir dater
Une première rencontre
Un premier baiser
Le début d'une amitié
Un jour où tout a commencé
Aujourd'hui 3 avril était le premier
Pour certains le dernier
Jour de printemps
Et je déteste finalement
Ce pont Alexandre III
Les flics y sont tout le temps
Les pigeons y sont morts
Et ce week-end il pleut

2 avril- Grisaille

Il y a un voile dans ton regard
Comme de la buée prête à perler
Qu’as-tu ?
Le vide s’est abattu sur ton front
Est-ce la fatigue, la pluie, l’ennui
Les amis qui sont partis ?

Ceux dont tu as préféré quitter les chemins
Plutôt que de te justifier
Plutôt que de vivre avec eux les choses à moitié
Et tu croyais quoi ?
Qu’on ne perd qu’une fois
Et qu’à trente ans c’est fini ?
Joue, relance la roulette

Tu ne perds que ce tu as
Lance-toi, vole et prends
Tu ne perds que ce que dont tu as rêvé
Espère toujours ou ne te lève plus
Alors tu rencontreras les déceptions
Le sentiment couperet de ne pas avancer
Oui, mais pas d’amertume
Car alors tu auras glané
Des moments où te suspendre