26 août-La confiance

La confiance est contrée où peu accostent car il faut accepter d’y devenir aveugle. C’est Œdipe conduit par la main de sa fille Antigone sur les chemins caillouteux. C’est accepter que quelqu’un sache mieux que soi sur soi. Existent bien sûr les cailloux de l’erreur sur lesquels on glisse pour se relever plus vaillant. La confiance, c’est savoir qu’on préfèrera vous perdre pour que vous gagniez. C’est les mots ou les actes qu’on devine juste pour soi, qu’on sait avoir été dits ou commis ainsi par l’autre en fonction de ce qu’il a puisé, profondément, en vous. La confiance, c’est souffrir en sa chair les reproches et rejets de l’autre parce qu’on les sait légitimes. C’est rire et aimer en sa chair, dans toute son âme, parce qu’on devient légitime. La confiance, c’est ôter les œillères, ne pas chercher à comprendre, écouter et répondre en oubliant le "je". Générosité, donner, se donner et accepter de perdre. C’est pouvoir dire je t’aime, j’ai besoin de toi, en sachant que sur ces pierres l’autre se construira, ne les ramassera pas pour vous les jeter à la gueule. Et lorsqu’on a connu cette contrée, on a la force de coloniser toutes les autres. Et on a trouvé une raison d’être passé par là.

22 août- L'ailleurs

Si je n'écris plus ici c'est que j'écris ailleurs mais sans doute l'ailleurs deviendra-t-il ici d'ici peu.

10 août- Juste en passant

Le long de mon rideau de coton perlé, un papillon de nuit s'est posé. Ne bouge plus, non qu'il ait peur, plutôt qu'il est bien là. J'aime ce compagnon du soir, le voir inspire, apaise l'écriture, j'imagine sa naissance, hier ou ce matin, sa venue jusqu'ici. Je l'interroge et il semble sourire des ailes. Si j'avais été atome, un atome seulement, doué d'une conscience, sur lui j'aurais embarqué et aurais pu conter ensuite un beau voyage. Il parait que la poussière de ses ailes est sa vie. Toucher l'aile, ôter la poussière, c'est le tuer. Il est des phénomènes naturels et scientifiques dont il ne faut pas chercher la véracité pour conserver l'image intacte. Dans le cas du papillon, sa poussière de vie, peut-être d'étoile, et peut-être même de l'étoile de Martial, est pure féérie.

9 août- Les yeux

Avec les yeux on voit
Mais on ne regarde pas
Les yeux reflètent
Ne percent pas

8 août- Hantise

Chaque jour, à trop de secondes, hantent les mots et les rythmes des poètes. Passent les jours, sonne l'heure; passent les jours, sonne l'heure; passent les jours, sonne l'heure! Entêtant. Empêchent de penser, encombrent l'écriture. Dans le futur, j'inventerai une opération chirurgicale consistant à délester l'esprit des vers qui le rongent.


Tu es pressé d’écrire/ Comme si tu étais en retard sur la vie
Mais oui, la peau plisse, plie, ploie. Et rompra
Le temps passe, je ne l’attrape pas, le jour décroît, la nuit augmente, je n’entre ni n’encre. Radeau.
Peut-être écrire non, plutôt ne rien faire. Rien. Rien existe. Mais comme il ne faut pas insulter au Néant, mieux vaut alors marcher.
Les pas perdus entraînent au Panthéon : ironie, sur Racine une corneille est perchée, en son bec un fromage. A mon oeil j'accroche l'image sans la réfléchir pour ne pas m'égarer dans la nuit du sens.
Le long des quais, les arbres dégorgent de vert et l’air est parfois si doux qu’on ferme la paupière. Prendre garde à ne pas tomber ni à s’assoupir, jamais je n'oublierai Le Dormeur du Val.
Sur le chemin du retour, vers où qu'importe, la Seine s’étoile de soleil, et sur la rambarde du pont, passent les jours, sonne l’heure. Encore. Ne pas s'abîmer dans la contemplation du passé en flots ou alors accepter de devenir poisson soluble.
Je déambule, erre, martèle les cloisons de mon âme, te parle à toi, toi que je ne connaissais pas, toi qui ne me connaissais pas, et qui n’es jamais là, sauras-tu jamais ce qui me traverse ?
A mesure du périple, Paris devient capitale de la douleur, se transforme en voûte de dédales sombres, et mon luth constellé porte le soleil noir…
J’ai beau m’y apprêter chaque jour, à l’ombre de mes fleurs, me dire qu’on va s’y faire, qu'il n'y a pas de raison, de raison c'est vrai que je n'en connais point, il faut poursuivre la route sans jamais alourdir mes pensées du poids de mes souliers. Dans la rue harponner les yeux des autres, tendre un filin et boire cet alcool brûlant comme la vie. Ici, maintenant, dans la seconde palpitante, tenter d'émerger car je veux voir mon rêve en sa réalité et jusqu’à mon repos, tout est un combat
Suis-je proie ou bourreau, à qui donc sommes-nous ? Qu’importe les questions, je ne suis guère inquiète : l’existence est ailleurs.

7 août- Le monstre

Le monstre calciné
Clopine mais marche encore
Sur ses pattes de cendres
Les yeux suintant de suie
Approche sarcastique
Je recule mais glisse
Il sait qu’il a gagné
Je peux crier hurler
Pas même un écho
On m’a abandonnée
Laissée là quelque part

D’une claque
Me plaque à terre
Bitume luisant de pluie
Dans une flaque
Claque plaque flaque
Les lèvres se fendent
Et pour me défendre
Je voudrais d’un rire
Le pourfendre
Mais son souffle piqueté
De pics de glace
Mitraille ma langue
Et il éclate
En ricanements lugubres

Une à une sort les griffes
Armes affûtées du crime
Les coule dans ma gorge
Le long des rigoles
Des histoires à venir
Que je n’ai pas su dire
Du bout de l’ongle
Prolonge le supplice
Fouille les intestins
Ex-tripe mes rêves
Des visages paysages
Tes yeux dans ma main
Des bras je sers mon ventre
Pour le retenir
Et fais monter les larmes
Pour qu’il ne les ait pas

Ses contours sont flous
Il est fumées de souffre
Une échine en crinière
Qui se darde d’épines
Canines jaunes de vampire
Dégoulinantes de bave
Avance sa gueule béante
Tout contre mon visage
Je tente bien de bouger
Ou de m’évanouir
Mais il n’y a plus d’espace

Dans mon cou
Sur mon sein
Il plante sa mâchoire
Tout entière
Arrache mes mots
Des parcelles de mémoire
Des visions d’avenir
Et je ne me réveille pas

6 août- Sans titre

Par delà les barrières
A un poste de douane
Les frontières s’effacent
Les guerres pas
Exhalent l’haleine fétide
Le long de vos boyaux
Eteignent les réverbères
De vos rêves en joyaux
Vous mourrez glacés
Dans l’aile d’un avion
Ou happés par les flots
Mirage d’un radeau

Mais il faut bien mourir

A coups de hachette
Rafales de mitraillette
Brûlé dans des brasiers
Torturé, humilié
On a tué les vôtres
Et baissé votre tête
En la rivant au sol
Et vous ne voyez plus
La femme au-dessus d’une flaque
Des mains recueille l’eau
Pour ses cinq enfants
Qu’elle élève en soldats

Flottent les drapeaux
Déroulent les tapis
Des belles cérémonies
L’Histoire tourne
Le soleil aussi
Et puis l’hégémonie
Restent le aujourd’hui
Le maintenant ici
Mais vous ne les craignez guère

Survivre est antichambre
Du il faut bien mourir
Et pour vous mourir bien
C’est servir par delà les barrières

Au poste de Cerbère
Faire voler
La barque en éclats

2 août- Au lecteur

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2 août- Pour mon soldat inconnu

Tu as fière allure
Lorsque tombe
Ton harnais qui jamais
Ne plie sous le joug
Tu me vois me saisis
Au recoin de tes lèvres
Mais tu n'as pas compris
Que si tu veux m'aimer
Faudra me prendre comme ça

Arrête de parler
Je ne suis pas serpent
Ondulant sous la flûte
Et tu n'auras pas su
M'ôter les rênes des mains
Tu m'as cru princesse
Future reine d'un royaume
Que tu n'imagines plus
Et je ne suis qu'un être
Lancé à bride abattue

Le long de tes chemins
Garde ton butin
La selle et puis les mors
Les présents aux pieds
La rose des sables aux dents
Et les lances enflammées
Je n'ai pas le goût
Des regards en arrière
Et ne suis guère du genre
A reprendre mes affaires

Légère je repars
Ne laisse rien au hasard
Je me hisse et arpente
La corde de mon souffle
Heurté et haletant
Porte des coups d'épée
Dans l’eau sous mes paupières
Eclatent en étincelles
Jusqu'à l'éblouissement
Où je croise les voiles
Des fées que tu combats

La vie est un tournoi
Pour que je devienne
Ce que je veux
Qu'il advienne de moi

Forgerai une armure
Ruisselante d'espoirs
Radieuse de tes sourires
La parerai de tes rires
De mots enrobés
Et de ton adoubement
Quand j'arrive à genoux

Lors de la chevauchée
Je terrasserai
Ennemis héréditaires
Monstres étoilés de nuit
Langueurs ensorceleuses
Et peut-être te ferai-je
Digne chevalier
Chevauchant le temps
En rides sur mon visage

Mais tu as froid aux yeux
Toi l'ami de toujours
Toi mon amant d'un jour
Tu sens venir l'instant où
S'étiole l'amour en bave
Je te laisserai sur place
Devenir statue de glace
Sans toi, il faudra bien un jour
Etancher la soif des départs
Et les rêves de mieux
Trouver une clairière
Entre ombre et lumière
Où coule une rivière
Dire c'est pas si mal
Pour l'ultime repos
D'une vie éprouvée
En verre sifflée
Même si j'avais rêvé des flots

1er août-

Ecrire la vie des hommes
Projet fort prétentieux
Ou alors un p’tit homme
Sa route vers la vie
Je choisis donc la femme
Se promène légère
Dans une robe printanière
Froufroutée par un souffle
En guise de tourments
Chez elle tout passe
La migraine comme le reste
Voit sa vie en caps
Obstacles à franchir
Les trente ans puis l’enfant
Ses cinq puis ses dix ans
Les titres d’une carrière
En son cœur des questions
De très grande importance
L’agitent pour qu’elle palpite
Tout aussi éphémères
Que la lucidité
Certes elle est tendresse
Mais qu’elle l’oublie
Et elle laisse à jamais
Des bleus à l’âme
Cailloux du p’tit poucet

Pour l’homme la vie
Se passe d’échéances
Il entre en sa conscience
Les doutes bulles de vide
Lestées de responsabilité
Car on lui a appris
Depuis sa tendre enfance
Et des siècles d’Histoire
A ne pas rechigner
Ni à craindre la vie
Auteur et scribe l’écrire
Pour un, pour deux, pour trois
Surtout pour tout un toit
De la mère à la femme
Légères et printanières
Mais écrire la vie des hommes
Projet fort prétentieux
Ou alors d’un p’tit homme
Ou alors d’un seul homme